Ces compétences qui quittent massivement le pays : Il n’y a pas que les médecins…

07/02/2022 mis à jour: 02:00
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Photo : D. R.

On ne compte pas le nombre de cadres et de diplômés hautement qualifiés qui quittent le pays : informaticiens, ingénieurs pétroliers, polytechniciens, pilotes, architectes… Mais aussi des artistes, des musiciens, des influenceurs, des journalistes, des sportifs de haut niveau… Et la cartographie des pays de destination ne se limite plus à l’ancien colonisateur.

Décidément, la publication ce vendredi 4 février des «listes des praticiens ayant satisfait aux Epreuves de vérification des connaissances (EVC)» par le Centre français de gestion des praticiens hospitaliers (CNG), aura suscité de vives réactions, mettant la Toile en effervescence.

Et pour cause : les listes des lauréats révélaient que près de 1200 médecins algériens de différentes spécialités, parmi les candidats qui ont concouru, ont réussi leur «EVC», un succès synonyme de poste garanti en France.

Et autant dire qu’aucun d’eux ne laissera passer une telle opportunité. «Les lauréats algériens représentent plus de la moitié des effectifs reçus, soit 1200 sur les 1993 postes ouverts cette année» précise El Watan d’hier.

Cela en dit long sur l’acharnement affiché par nos médecins à partir. Et cette tendance ne date pas d’aujourd’hui. «Sur les 94 nationalités représentées en 2018, près de la moitié des candidats inscrits (47,64% en 2018, contre 41,73% en 2017) vient d’Algérie (dont plus de 50,8% de femmes). Pour rappel, les candidats algériens représentaient 41,81% en 2016, 39,97% en 2015 et 41,6% en 2014», souligne un bilan du CNG de l’année 2018, toujours selon El Watan d’hier.

N’hésitant pas à partager son ressenti et expliquer ses motivations, une médecin lauréate qui est manifestement déjà installée en France, écrit sur son compte Facebook : «On m’a souvent demandé pourquoi je suis partie. D’abord, on ne part que dans la douleur et le déchirement. On ne part que si l’on perd foi. Je suis partie non pas à la recherche de la gloire, mais seulement d’une position antalgique. Je ne suis pas fille de riche, j’ai pris, par la force des choses, l’ascenseur social sans grande ambition sinon la liberté de penser et d’agir, et pour atteindre cela, il m’a fallu bouger un peu.»

«Harga légale»

L’information, nous le disions, n’est guère passée inaperçue à en juger par le traitement médiatique qui lui a été réservé et les flots de commentaires fiévreux que cela a suscités sur les réseaux sociaux.

Et si d’aucuns s’en sont émus, c’est parce que ces 1200 Algériens en blouse blanche viennent conforter un peu plus ce triste diagnostic qui atteste que le pays se vide chaque jour un peu plus de ses forces vives. Et par-delà le corps médical, il faut dire que le phénomène touche, dans des proportions inégales, différentes catégories socio-professionnelles.

C’est ce qu’on appelle «la fuite des cerveaux», un sujet largement débattu et rebattu. L’une des images qui nous sont venues immédiatement à l’esprit à ce propos, c’est cette foule compacte d’étudiants qui avaient pris d’assaut par milliers, comme des pèlerins enlaçant la Mecque, les bâtiments de l’Institut français d’Alger (ex-CCF) le 29 octobre 2017.

Ces étudiants étaient tous candidats à une «harga légale» pour paraphraser l’avocat Amirouche Bakouri. Ils étaient venus passer le Test de connaissance du français (TCF) à Campus France, étape indispensable pour pouvoir postuler à un visa d’études leur permettant de poursuivre leur cursus sur l’autre rive.

Bref, le constat est là : dans cette Algérie post-hirak, le rêve numéro 1 de pans entiers de notre jeunesse, de nos cadres, de nos élites, c’est celui-là : partir. Ce constat est illustré également de façon patente par les flux spectaculaires de harraga dont le nombre a explosé depuis cet été.

C’est l’un des symptômes les plus frappants de ce malaise général que nous ressentons tous. Un jeune harrag de 25 ans qui a tenté de gagner l’Italie avant d’être expulsé vers la Tunisie, a purgé une peine d’emprisonnement de 6 mois au pénitencier d’El Mornaguia, près de Tunis, avant de revenir au bercail. Nous lui avons demandé pourquoi il était parti, il nous a simplement rétorqué : «Bayna» (C’est évident).

Et de nous assurer dans la foulée qu’il n’hésiterait pas à retenter le coup malgré toutes les malheureuses péripéties de sa traversée ratée. «Si l’occasion se présente, je n’hésiterais pas une seconde !» martèle-t-il avant de nous confier : «Je suis en train de me préparer pour l’été prochain».

Et l’on ne compte pas le nombre de cadres et de diplômés hautement qualifiés qui quittent le pays : informaticiens, ingénieurs pétroliers, polytechniciens, pilotes, architectes… Mais aussi des artistes, des musiciens, des influenceurs, des journalistes, des sportifs de haut niveau…

Et la cartographie des pays de destination ne se limite plus à l’ancien colonisateur, mais s’élargit à d’autres horizons : Canada, Allemagne, Angleterre, pays du Golfe et même la Chine et des pays du Sud-Est asiatique comme la Malaisie.

En évoquant les informaticiens, il convient de méditer ces propos d’un expert en cyber-sécurité, Abdelaziz Derdouri, qui était l’invité de Hakim Laâlam dans son émission, «LSA Direct», sur le site du Soir d’Algérie. C’était le 10 décembre 2020. L’expert souligne : «On a les meilleurs informaticiens dans le monde. Qui fait informatique aujourd’hui chez nous ? C’est le bachelier qui a 16 ou 17 ou 18 de moyenne dans certaines matières qui peut aller à l’Ecole nationale supérieure d’informatique ou à l’université de Bab Ezzouar. Ce sont les meilleurs enfants de l’Algérie»

Et de faire cette révélation : «D’après une discussion que j’ai eue avec un enseignant, quand une promotion finit sa formation, dans les trois années qui suivent, 80% de cette promotion quitte le pays. 80% ! C’est énorme. (…) On parle souvent du départ des médecins, mais pour les informaticiens, c’est moins médiatisé mais l’hémorragie est plus forte.»

Cela nous fait penser également à Sonatrach qui a perdu énormément de compétences. Son ancien PDG, Abdelmoumen Ould Kaddour, aujourd’hui tombé en disgrâce, avait déclaré le 14 mai 2018 lors d’une journée d’étude au Sénat : «Au cours des trois dernières années (2015-2018, ndlr), nous avons perdu 10 000 cadres à Sonatrach». Et de relever avec impuissance : «Il n’y a pas moyen de maintenir chez nous ces cadres face à la concurrence des firmes étrangères.»

Signe des temps : même le présentateur emblématique du JT de 20h, Khaled Benahmed Khalfaoui, a fini par mettre les voiles, «n’en pouvant plus de l’Algérie idyllique du journal de 20h», le chambrait-on gaiement sur les réseaux. Khaled a rejoint tout récemment la chaîne Al Arabi basée à Doha, au Qatar. C’est le dernier d’une longue liste de journalistes qui ont quitté les chaînes de télévision publiques pour rejoindre Al Jazeera, BeinSport, MBC, Al Horra, France 24, et d’autres médias internationaux, notamment dans le Golfe.

En parlant des journalistes, nous songeons à notre ami Khelaf Benhadda, ex-présentateur de l’émission «Oulach El moudjamala» (Sans complaisance) sur Essalam TV dont l’émission a été censurée. Ses positions politiques lui ont valu toutes sortes de tracas, et même une convocation devant le juge. Des pressions qui l’ont poussé lui aussi à partir.

Le 17 septembre 2021, il postait ce message déchirant sur sa page Facebook, depuis l’avion qui l’emmenait en exil : «Je ne sais pas quoi te dire, Algérie. Je veux te dire beaucoup de choses… Je t’ai tant aimée mon Algérie. Mais le prix (que j’ai payé) est très cher : prison, persécution, censure, peur… Dur d’être journaliste en Algérie, très dur même. C’en est un peu trop. Au revoir mon cher pays.»

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