Brahim Guendouzi. Professeur en économie : «La révision de l’accord d’association s’avère opportune»

22/09/2024 mis à jour: 14:09
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Analysant l’affaire El Mordjene dans cet entretien, le spécialiste en commerce international, Brahim Guendouzi, estime que la révision de l’accord d’association Algérie-UE est opportune pour explorer de nouveaux domaines de coopération et de partenariat. Il s’agit, dans le même sillage, d’apporter tous les correctifs aux insuffisances constatées après près de vingt-cinq ans d’application.

 

Propos recueillis par Nadjia Bouaricha

 

Au vu des raisons invoquées, l’interdiction par l’UE du produit El Mordjene sur le territoire européen est-elle justifiée ?


L’interdiction de la pâte à tartiner El Mordjene sur le marché français vient de mettre au grand jour toute la sévérité de l’arsenal juridique commercial de l’Union européenne qui protège ses marchés de la concurrence étrangère. Le produit El Mordjene, fabriqué à base de lait par une entreprise algérienne, ayant été introduit en France par un importateur, en faibles quantités, est passé inaperçu. La qualité de la pâte à tartiner El Mordjene ainsi que la campagne publicitaire dont elle a bénéficié ont fait d’elle un produit star auprès des consommateurs en un laps de temps. La demande a pris de l’ampleur et l’offre n’a pu y répondre pour introduire d’autres quantités. Les analyses de laboratoire effectuées sur la pâte à tartiner en tant que produit alimentaire font ressortir qu’elle est fabriquée à base de lait. 

 De ce fait, les exigences européennes d’introduction sur le marché nécessitent le respect des normes sanitaires liées à la santé animale et à la sécurité alimentaire. En réalité, l’interdiction d’introduction du produit El Mordjene sur les marchés européens vient du fait qu’en Algérie, l’inexistence d’un laboratoire agréé par l’Union européenne ne permet pas un contrôle conforme aux normes européennes de la production et la transformation des produits laitiers. Aussi, les concurrents d’El Mordjene et les associations de protection des consommateurs sont susceptibles de saisir l’organisme régulateur de la concurrence pour non-respect des normes sanitaires applicables aux produits de consommation à l’importation. D’où la problématique de la «fermeture» des marchés européens aux produits étrangers, dont ceux d’origine algérienne.


Cette affaire accentue-t-elle la tension commerciale entre l’Algérie et l’Union européenne ? En juin dernier, pour rappel, l’UE reprochait à l’Algérie de protéger ses produits en interdisant l’importation de certaines marchandises, alors que le Vieux Continent est l’un des marchés les plus fermés aux produits venant hors de ses frontières…

 

Effectivement, la direction générale du commerce de la Commission européenne a saisi le Conseil d’association, par une note verbale, d’un différend existant entre l’Algérie et l’Union européenne, en matière de commerce extérieur et d’investissement. Les griefs mentionnés se rapportent à un ensemble de mesures prises en 2021 par le gouvernement algérien et ayant entravé, selon la note, les exportations et les investissements de l’Union européenne en Algérie. 

A titre de rappel, des mesures de sauvegarde prévues par l’article 11 de l’Accord (tel le droit de douane additionnel de sauvegarde -DAPS- touchant près de 1000 sous-positions tarifaires) ont été mises en place dans le souci de prémunir le marché national des dommages du démantèlement tarifaire par rapport à son tissu productif, notamment de la concurrence déloyale qui en suit. 

A ce sujet, autant l’Algérie agit par l’intermédiaire de son tarif douanier et de mesures de type administratif (autorisations d’importer) pour protéger sa production nationale, autant l’Union européenne privilégie la protection non tarifaire à partir de normes techniques, normes sanitaires et règles d’origine, pour préserver ses marchés de la concurrence étrangère. Cette différence d’approche se répercute plus sur les produits algériens qui n’arrivent pas à se placer sur les marchés européens, aggravant ainsi le déséquilibre commercial entre les deux parties contractantes.


N’y a-t-il pas urgence à revoir les dispositions de l’accord d’association ?

Le Président algérien a demandé une révision de l’accord d’association Algérie-Union européenne, «clause par clause», car considérant que la question de fond se pose en termes de déséquilibres flagrants des échanges commerciaux au détriment de l’économie nationale, des difficultés d’accès aux marchés européens et de la faiblesse des flux d’IDE à destination de l’Algérie. De l’autre côté, la note de la direction générale du commerce de la Commission européenne faisant part de l’existence d’un différend commercial avec l’Algérie, et voulant s’engager dans une procédure d’arbitrage, ne milite pas en faveur d’une démarche consensuelle portant sur la nécessité d’un nouveau regard sur l’accord d’association. 

La conjoncture actuelle se caractérisant par des évolutions majeures aussi bien dans les économies de l’Union européenne qu’en Algérie, et que l’accord n’étant pas figé dans le temps, sa révision s’avère opportune pour explorer de nouveaux domaines de coopération et de partenariat, et en même temps apporter tous les correctifs aux insuffisances constatées après près de vingt-cinq ans d’application.

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