L’alerte a été donnée lorsqu’un groupe de chercheurs affiliés au programme dédié aux coraux à la NOAA, après avoir obtenu des rapports confirmés sur des phénomènes de blanchissement dans 74 pays ou territoires, dans les hémisphères Nord et Sud, mettaient en garde : «La planète se trouve actuellement au beau milieu de l’épisode de blanchissement le plus massif jamais enregistré.»
Ahmed Badani, ministre de la Pêche et des Productions halieutiques, en marge d’une visite de travail dans la wilaya d’El Tarf, fin juillet dernier, avait déclaré «(...) La décision de réouverture de l’exploitation du corail rouge en Algérie, dont l’étude est actuellement en cours au ministère, a atteint un stade avancé, elle relèvera des prérogatives du gouvernement après le débat, à son niveau, de ce dossier.»
De report en report, pour des raisons législatives, techniques, logistiques... ; «avant fin 2012, avant fin 2014, avant fin 2015, avant fin 2016, avant fin 2017, début 2021... début 2024, avant fin 2024», la relance de la pêche au corail rouge, interdite depuis début 2002, date de son interdiction après 5 ans d’exploitation, pourrait attendre encore, le temps de voir comment vont évoluer les choses de l’autre côté de la Méditerranée.
En effet, les considérations sont, cette fois-ci, de nature et de dimension, toutes autres : La communauté scientifique mondiale, représentant plus d’une cinquantaine d’institutions et organisations internationales et des chercheurs, océanologues et climatologues d’au moins une soixantaine de pays, est en état d’effervescence collective.
Et pour cause, le phénomène de blanchissement mondial des coraux, qui a atteint un niveau record jamais égalé et qui se répand de manière spectaculaire à travers plus d’un océan du globe.
Inquiets, des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des experts de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) ainsi que d’autres organismes, des laboratoires et autres instituts de recherches en biologie et environnement marin des quatre coins du monde seraient à pied d’œuvre pour étudier la mise au point puis en place d’«un système mondial permettant de suivre la tendance d’évolution et de cartographier ce phénomène sans précédent», nous apprennent des sources universitaires du Département des sciences de la mer/université Badji Mokhtar et du Centre de recherche en environnement (CRE).
L’alerte, faut-il le rappeler, a été donnée, mi-octobre dernier, lorsqu’un groupe de chercheurs affiliés au programme dédié aux coraux à la NOAA, après avoir obtenu des rapports confirmés sur des phénomènes de blanchissement dans 74 pays ou territoires, dans les hémisphères Nord et Sud, mettaient en garde : «La planète se trouve actuellement au beau milieu de l’épisode de blanchissement le plus massif jamais enregistré.
Les coraux subissent actuellement l’épisode mondial de blanchissement le plus massif jamais recensé à cause des températures élevées des océans. Plus des deux tiers des récifs coralliens, dans l’Atlantique, le Pacifique et l’océan Indien, sont touchés par le stress thermique, un phénomène lié au changement climatique qui menace la survie de récifs riches en biodiversité».
Pis encore, ce nouvel épisode, principalement causé par l’augmentation de la température des océans du fait du changement climatique, serait toujours en progression. A en croire le constat dressé par l’agence gouvernementale américaine, «durant la période allant du début janvier au début octobre de l’année en cours, environ 77% des récifs coralliens du monde ont été victimes de stress thermique à des niveaux compatibles avec le blanchissement». Pourcentage en évolution continue.
Pour l’instant, pas de signes dans nos fonds mais…
Qu’en est-il de l’Algérie qui possède la plus grande réserve de corail rouge, le plus beau et le plus prisé, en Méditerranée ? «A El Kala, autrefois baptisée capitale du corail, le rouge, Corallium rubrum, certainement le plus beau de la Méditerranée puisque recherché et exploité depuis des siècles, n’a pas donné jusqu’à présent des signes de blanchissement», rassurent péremptoirement les professionnels qui ont pignon sur rue dans la petite ville côtière à l’extrême est du pays.
«On connaît bien par ici le corail blanc, le corail noir mais, pour l’instant, pas de trace de corail rouge qui a perdu sa couleur rouge sang pour devenir blanc», insistent-ils avec une note d’humour «le blanchiment d’accord mais pas de blanchissement !».
Nos coraux, seraient-ils menacés par ce phénomène ? «Le blanchiment des coraux provient de l’élévation de la température de l’eau de mer et celle de la Méditerranée augmente de 0.4°C par décennie depuis 1980. Le 15 août, la température médiane quotidienne de la surface de la mer Méditerranée a atteint 28,9 °C, battant le record de 28,71 °C mesuré le 24 juillet 2023, selon des chercheurs de l’Institut des sciences de la mer (ICM) de Barcelone et de l’Institut catalan Icatmar.
A ce rythme-là, le blanchissement devient inévitable comme c’est déjà le cas dans de nombreuses régions du monde, et l’exemple le plus frappant et médiatisé est celui de la barrière de corail qui est le plus grand organisme vivant sur terre avec ses 3000 km de longueur le long de la côte est de l’Australie», nous explique Rafik Baba Ahmed, enseignant chercheur dans la conservation de la biodiversité.
Toutefois, tient-il à souligner, «sur le littoral d’El Tarf de 90 km, le processus pourrait s’accélérer avec le rejet en mer des eaux de refroidissement de la centrale thermique de Koudiat Draouch (30 km à l’ouest d’El Kala), dont les eaux surchauffées sont poussées par un courant constant vers le golfe d’El Kala et ses meilleurs gîtes de corail et pas seulement.
Le rejet des eaux des centrales est le cas le plus typique de pollution thermique. Différemment de la mer où la température varie naturellement entre le jour et la nuit et entre les saisons, les eaux de la centrale sont rejetées à température constante, ce que ne supportent pas les coraux et les espèces à qui ils servent d’habitat».
Scientifiquement parlant, qu’est-ce qui peut provoquer le processus de blanchissement du Corallium Rubrum ? «Lorsque les coraux sont stressés par des changements dans des conditions telles que la température, la lumière, ils expulsent leurs zooxanthelles, des algues symbiotiques vivant dans leurs tissus, leur fournissent les nutriments dont ils ont besoin.
Privé de ces algues, le corail perd sa couleur et son alimentation, devenant ainsi complètement blanc», expliquent les scientifiques du service national des océans de la NOAA. Ce phénomène risque-t-il d’être fatal pour cet Octocoralliaire à la croissance extrêmement lente ? «Si le blanchiment dû au stress n’est pas sévère, les coraux se rétablissent». Par contre, les épisodes sévères, prolongés et récurrents peuvent provoquer la mort du corail, mais les récifs peuvent récupérer si les températures baissent ou si d’autres facteurs comme la pollution ou la surpêche régressent», précise-t-on.
Échelle et gravité du nouvel épisode
S’agissant des conséquences qu’est susceptible d’avoir un tel événement qui serait le quatrième depuis 1998 ? «Après deux épisodes en 1998 et 2010, le précédent record avait été recensé entre 2014 et 2017, durant lequel 65,7% des récifs coralliens de la planète avaient été touchés.» Ainsi, en moins de temps, ce dernier record vient d’être dépassé de 11,3%, considérant les proportions de blanchissement atteintes en 2024 (77%).
L’étendue économique en est non moins frappante : pas moins de 850 millions de personnes dans le monde dépendent des récifs coralliens pour travailler et s’alimenter. Pas que, ces récifs, où vivent jusqu’à deux millions d’espèces, abritent des écosystèmes très riches et diversifiés.
D’origine naturelle ou humaine, les atteintes récurrentes à sa zone de vie constituent un danger réel aussi bien pour le corail lui-même que pour l’ensemble des espèces végétales et animales s’épanouissant à sa périphérie. En bonne santé, les récifs coralliens peuvent protéger les communautés contre les effets du changement climatique, tels que l’érosion des côtes, les inondations et les ouragans mortels, rappelle, une fois encore, l’ONG de défense de l’environnement WWF.
Et «l’échelle et la gravité de ce nouvel épisode mondial de blanchissement massif du corail témoignent, justement, clairement des dégâts du changement climatique», déplore-t-elle. Parmi ces dégâts, les plus perceptibles, étant le réchauffement des océans dont le rythme aurait presque doublé en 20 ans, selon l’observatoire Copernicus, programme de l’Union européenne dédié à la collecte de données actualisées sur l’état de la Terre.
D’où la multiplication et l’évolution de l’intensité des canicules marines ayant touché 22% des océans du globe, notamment en 2023. Réchauffement que le GIEC, organisme intergouvernemental chargé d’évaluer l’ampleur, les causes et les conséquences du changement climatique en cour, explique par les «plus de 90% de l’excès de chaleur du système climatique, provoqué par les émissions massives de gaz à effet de serre de l’humanité, que les océans ont absorbés depuis 1970».
Reliée à l’Atlantique par le Détroit de Gibraltar, la mer Méditerranée qui abrite de grandes réserves de corail rouge, l’Algérie en tête, n’y a est pas à l’abri.
Elle est continument traversée par les vagues de canicules marines de ces dernières années. Depuis l’annonce de ce nouvel épisode inédit de blanchissement mondial des coraux, c’est le branle-bas de combat à la Commission Générale des Pêches pour la Méditerranée (CGPM) qui compte 23 Etats membres dont notre pays.
Une folie s’est également emparée du marché international du corail rouge et rose, deux espèces faisant partie des coraux précieux menacés et protégés par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) ou convention de Washington (184 Etats parties).
Rengainer la «croix de Saint-André»
C’est dire qu’en attendant la baisse des températures et le rétablissement des récifs, notre ministère de la Pêche devrait s’appuyer sur les seuls développement de l’aquaculture marine et continentale, développement de la pêche en haute mer ainsi que le renforcement des capacités nationales en construction et réparation navale, en plus du soutien aux professionnels du secteur de la pêche et de l’aquaculture, pour pouvoir mener à bon port sa stratégie à l’horizon 2030, le 5e axe, faut-il le souligner, portant sur la relance et la valorisation de l’exploitation du corail rouge.
Pour leur part, les réseaux mafieux transnationaux spécialisés dans le commerce illicite du corail et leurs fournisseurs braconniers, ils risquent de s’en trouver contraints de rengainer leurs «armes» et de ranger leurs «croix de Saint-André» après le carnage qu’ils ont fait subir à nos coraux et le saccage de nos coffre-forts marins, près de 24 ans durant : au moins une vingtaine de tonnes de corail rouge illégalement récoltées, dans des conditions et à renfort de moyens et de procédés sauvages, ont été saisies, du début des années 2000 à 2023, par les services des garde-côtes algériens, selon les estimations d’océanologues associés au projet Enact du Programme des flux illicites globaux de l’Union européenne, qui vise à réduire l’impact de la criminalité́ transnationale organisée sur le développement, la gouvernance, la sécurité́ et l’état de droit en Afrique.
En effet, «le corail que vous voyez sur les vitrines, c’est celui provenant des saisies effectuées par les services de sécurité sur les pilleurs qui saccagent les fonds corallifères depuis 2002. Ces saisies sont loin de représenter ce qui est réellement remonté à la surface, la plus grande partie quitte le pays par des réseaux informels pour atterrir en Italie dans l’autre capitale Méditerranéenne du corail Torre d’El Gréco, célèbre pour ses familles d’artisans corailleurs», souligne un professionnel du secteur.
A ses yeux, «les multiples tentatives des pouvoirs publics pour réorganiser et encadrer l’activité ont échoué. Les conditions de l’exercice fixées par une loi et un cahier des charges loin des réalités du terrain, sont verrouillées par des règles que les armateurs intéressés ont taxées d’incohérentes et fantaisistes».
Et à notre interlocuteur d’ajouter, dubitatif quant à l’aboutissement de l’ambition gouvernementale «comment par exemple surenchérir pour une concession en mer sans que l’on sache approximativement ce qu’elle contient ? On n’a jamais su, ou alors c’est un secret jalousement gardé par des initiés, l’état des gisements corallifères et encore moins après un quart de siècle d’une implacable rapine. Comment encore exercer une activité sur un espace occupé par une armée de pilleurs aguerris ?»