644 Algériens possèdent 972 biens d’une valeur estimée à 620 millions de dollars. Parmi eux, on retrouve par exemple les noms de Abdesselam Bouchouareb, Nacim Ould Kaddour, Mohamed Mokadem alias Anis Rahmani, Nadjet Betchine et de Kamel Djoudi. Le groupe Emarat Dzayer que dirigeait Ahmed Hasan Abdul Qaher Al Sheebani détient beaucoup d’actifs en Algérie.
Les résultats de l’enquête d’investigation, coordonnée par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et le journal norvégien E24 sur les propriétaires de centaines de milliers de biens immobiliers à Dubaï, ont été publiés mardi dernier. Dubai Unlocked est une investigation associant 74 médias à travers 58 pays, dont le site algérien Twala.
Elle comporte des détails sur des Algériens propriétaires de biens dans ce petit émirat et leur utilisation sur la période allant de 2020 à 2022 notamment. Le Consortium de journalistes, qui a mené cette enquête, a travaillé sur des données fuitées de l’administration foncière de Dubaï. Le Center for Advanced DefenceStudies (C4ADS), une organisation à but non lucratif basée à Washington, D.C., qui étudie la criminalité et les conflits internationaux, a largement contribué à collecter toutes ces données.
Métropole du luxe et de la démesure, ville interlope, Dubaï est aussi une destination pour l’argent liquide illicite et une plaque tournante du blanchiment d’argent. Elle attire influenceurs, stars du showbiz, hommes d’affaires et trafiquants en tous genres. «Les corrompus et les personnes exposées politiquement qui ne veulent pas rendre des comptes utilisent des juridictions secrètes comme les Emirats arabes unis pour mettre leurs actifs à l’abri des regards», a déclaré Maria Giuditta Borselli, gestionnaire de portefeuille chez C4ADS, cité par Twala.
«Ce type d’enquêtes est important pour savoir comment pouvons-nous accroître la transparence des Etats qui tolèrent des activités illicites», explique Denise Sprimont-Vasquez, gestionnaire de portefeuille dans le même centre.
En somme, les Emirats sont un paradis fiscal. Selon les économistes de l’Observatoire européen de la fiscalité et du Centre norvégien de recherche fiscale qui ont analysé les données fuitées, la propriété étrangère sur le marché immobilier de Dubaï valait environ 160 milliards de dollars en 2022. Après des mois de vérification, les journalistes d’investigation ont identifié de «nombreux propriétaires dont la présence à Dubaï relève de l’intérêt général : des personnes poursuivies par la justice de leur pays d’origine ou qui font l’objet de sanctions internationales ainsi que des personnes exposées politiquement».
Entorse à la loi
Dans le listing des propriétaires étrangers, analysé par le Consortium, on retrouve des centaines d’Algériens. 644 Algériens, exactement, possèdent 972 biens d’une valeur estimée à 620 millions de dollars. Il y a lieu de rappeler que la législation nationale interdit aux Algériens de se constituer des avoirs monétaires, financiers et immobiliers à l’étranger à partir de leurs activités en Algérie.
L’exception, expressément prévue par la loi, n’autorise le transfert des capitaux à l’étranger que pour ceux devant financer des activités complémentaires à leurs activités en Algérie. Donc, tout Algérien résidant en Algérie et disposant d’un bien à l’étranger, sans être nécessairement impliqué dans des affaires de corruption, fait entorse à la loi.
Surtout envers les services fiscaux. Dans la liste des propriétaires algériens de biens immobiliers à Dubaï, on retrouve par exemple les noms de Abdesselam Bouchouareb, ex-ministre du temps du défunt président Bouteflika, Nacim Ould Kaddour, fils aîné de l’ancien PDG de Sonatrach, Mohamed Mokedem alias Anis Rahmani, patron du groupe médiatique Ennahar, Nadjet Betchine, la fille du général Betchine, ancien patron de la Sécurité de l’armée et conseiller de l’ancien président Liamine Zeroual, et Kamel Djoudi, ancien PDG du groupe Imetal.
Selon Twala, Abdesselam Bouchouareb, condamné par défaut par la justice algérienne en 2019 à 20 ans de prison, a trouvé refuge à Dubaï en 2022 après avoir résidé auparavant à Paris, où il possédait des biens immobiliers.
L’hostilité de cet émirat envers l’Algérie, maintes fois dénoncée par le président Abdelmadjid Tebboune, fait qu’il est important que Bouchareb – qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international–, soit livré à la justice algérienne. Les liens qu’entretient Bouchouareb avec l’émirat de Dubaï ne datent pas cependant de 2022. Son compte suisse révélé en 2016 par les Panama Papers était domicilié à Genève dans une banque émiratie, la NBAD Private Bank, sous couvert d’une coquille vide nichée au Panama, la Royal Arrival Corp.
Cette révélation l’avait assassiné politiquement, lui qui était pressenti pour prendre la chefferie du gouvernement. Ayant quitté le pays juste avant la chute de Bouteflika en 2019, Bouchouareb a été repéré un temps à Paris avant qu’il ne se réfugie à Dubaï. Il y possédait un appartement de 100,27 mètres carrés dont la valeur avait été estimée à 736 700 dollars.
Un cadre du secteur marchand de l’Etat figure dans le listing algérien. Il s’agit de l’ancien PDG du groupe Imetal, Kamel Djoudi, et actuel secrétaire général de l’Union arabe du fer et de l’acier. Il avait fait carrière dans les Sociétés de gestion des participations (SGP) de l’Etat «Conserves, Jus et Boissons» et «Mécanique et Electronique». En 2015, Djoudi devait restructurer le groupe et conduire les investissements qui devaient être réalisés notamment dans le complexe Sider El Hadjar qui venait d’être repris aux Indiens Mittal Steel. Une partie des investissements prévus à El Hadjar impliquait des partenaires émiratis.
Al Sheebani, un personnage-clé
C’est Bouchouareb qui l’avait annoncé à l’époque après avoir pesé de son poids pour faire capoter la transaction de reprise du complexe par le groupe privé Cevital. Le groupe Imetal s’était ainsi associé avec le groupe EmaratDzayer dans une joint-venture appelée Emarat Dzayer Steel Company pour créer une nouvelle aciérie au sein du complexe d’El Hadjar pour 1,6 milliard de dollars américains.
Le groupe Emarat Dzayer que dirigeait Ahmed Hasan Abdul Qaher Al Sheebani détient beaucoup d’actifs en Algérie. Il est présent notamment dans l’immobilier (Moretti 2) et la distribution du tabac dont il est associé avec Madar à travers la Staem et UTC. Annoncé sept mois après le limogeage de Djoudi, ce partenariat qui a eu l’aval du Conseil des participations de l’Etat en mars 2018 n’a toujours pas vu le jour.
La disgrâce de Bouchouareb en 2017 et plus tard la chute de Bouteflika a dissuadé les promoteurs du projet. Al Sheebani avait quitté le pays en catastrophe dès les premières manifestations anti-Bouteflika. Il n’y a jamais remis les pieds. Mais, beaucoup de ceux qui ont croisé son chemin en Algérie ont pu disposer d’un pied à terre à Dubaï. Kamel Djoudi possède un appartement de 41,78 mètres carrés d’une valeur estimée en 2022 à 158 000 dollars.
Enquête à suivre….