Azrou, souvenirs d’un village martyr : Chikhi évoque le combat des siens

06/11/2024 mis à jour: 20:52
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Photo : D. R.

Notre mémoire est un monde plus parfait que l’univers : elle rend la vie à ce qui n’existe plus.» Cette citation, attribuée à l’auteur français Guy de Maupassant, résume le travail de Cherif Chikhi. Son livre témoignage, Guerre de libération nationale 1954-1962, Souvenirs d’un village martyr (Dahlab, 2024), nous parle avec des mots bien sentis de ces vies simples prises dans la tourmente de la guerre.

Son village, Azrou Kollal (Aïn El Hammam, Tizi Ouzou), n’est connu que de ses villageois et de leurs voisins de la haute montage kabyle. Fils d’un détenu politique de la sinistre prison, l’auteur nous parle de Mouloud Mammeri, auteur de L’Opium et le Bâton (1965), qui s’adresse à l’étudiant qu’il était : «Un jour, peut-être, tu prendras la plume pour raconter des souvenirs de la destruction, par l’armée française, de ton village, Azrou, et les déplacements forcés de ses habitants.» L’étudiant a suivi à la lettre les mots de l’écrivain : «J’ai gardé précieusement dans mon cœur ces belles paroles de Da Mouloud et le rêve a finalement été exaucé.»

Le récit concis de M. Chikhi évoque dans le premier chapitre sa rencontre fortuite et heureuse avec un moudjahid, alors qu’il avait, précise-t-il, presque cinq ans. Selon le narrateur, «le preux combattant» l’avait surpris légèrement vêtu et déambulant seul au village Taskenfout, mitoyen de son village Azrou, détruit en octobre 1957. «Viendra le jour où tu retourneras à Azrou, mon fils», lance le moudjahid, les yeux, se remémore-t-il, tout mouillés. «Je n’ai jamais revu ce brave homme, dont je ne connais même pas le nom, mais sa silhouette se profile, parfois, devant mes yeux lorsqu’on évoque la douloureuse période antérieure à notre indépendance. Elle a, aussi, maintes fois surgi dans mes rêves», écrit-il, se rappelant la tendresse du moudjahid, qui «le prit tendrement dans ses bras».

Le bref aperçu du village, qui se trouve sur le chemin de Larbaâ Nath Irathen (Fort national), permet à l’auteur de rappeler le combat des siens. Une galerie de portraits des combattants de la région défile : Amar Ath Chikh (Chikh Amar), Messali Hadj qui a visité Ikhf Oussameur, Omar Oussedik, Khelifati Mohand Amokrane…

Le narrateur, qui était réfugié chez des parents, ne manque pas d’évoquer les souffrances des enfants de l’époque coloniale et leur engagement. «Peu de sources, orales ou écrites, ont rapporté ce rôle – exceptionnel et occasionnel – de soutien au combat contre l’occupation française attribué à des garçonnets», assène celui dont la première nomination au ministère des Affaires étrangères a été à la tête du Bureau des réfugiés.

Comment raconter cette période sans rappeler aussi les souffrances des mères, grands-mères et sœurs, qui nourrissaient les enfants «de contres la nuit pour nous faire oublier nos ventres avant de nous mettre au lit». Suivra un poème émouvant. Et de longs développements sur le combat des moudjahidine anonymes, des villageois et de leurs dirigeants, à l’instar de Si Lhafid, Amirouche.

A la fin du récit émouvant cette sentence : «Azrou et les autres villages algériens rasés pendant la guerre offrent aujourd’hui des décors qui peuvent, peut-être, cacher aux nouvelles générations les cauchemars vécus par leurs aïeux. Mais rien ne pourra jamais effacer de la mémoire collective les sentiments de gratitude envers tous les chouhada, qui, à travers le territoire national, ont versé leur sang pour libérer notre chère patrie, l’Algérie.»

Cherif Chikhi est diplômé de l’ENA/section diplomatique. Il a occupé plusieurs postes de responsabilité au ministère des Affaires étrangères à Alger. Il a, aussi, exercé auprès des ambassadeurs algériens à Maputo, Washington et Londres, avant d’être nommé ambassadeur en Ukraine (1997-2004) puis au Vietnam (2009-2015). Il est l’auteur de Quand travail et vertu tisonnent le bonheur (Dar El Hikma) Diplomatie et Média (Dahlab).
 

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