Le raid israélien a tué hier le chef du bureau politique du Mouvement Hamas, Ismail Haniyeh, mais il a aussi porté un coup très sévère au statut de la République islamique d’Iran et son capital d’influence en tant que puissance régionale.
Considéré comme le laboratoire et la plateforme de lancement de tous les mouvements de résistance (islamistes à tout le moins) au Proche-Orient, à l’hégémonie américaine et son mandataire israélien, Téhéran est systématiquement mis sur la défensive depuis octobre dernier. Depuis le déclenchement de la guerre contre Ghaza, la diplomatie américaine, à son plus haut niveau, s’est occupée de dissuader le régime iranien, à coup de menaces de représailles, de toute implication dans le soutien au Hamas palestinien.
Accusé précocement d’avoir activement participé à la conception, l’armement et la conduite de l’opération «Déluge d’El Aqsa», à travers le corps des Gardiens de la révolution, l’Iran a dû démentir régulièrement, tout en déclarant soutenir la résistance palestinienne. Le récit distillé est que le régime iranien, effrayé par la perspective d’une normalisation diplomatique entre Tel-Aviv et Riyad qui s’est appuyé sur la faction la plus structurée de la résistance palestinienne, qui est plus la plus proche de ses orientations idéologiques, pour saboter le processus via un coup d’éclat militaire contre l’entité sioniste. La République islamique, sujette à des turbulences politiques en interne et cherchant, selon plusieurs spécialistes, à protéger le processus de développement de son programme nucléaire – en phase d’aboutissement sur le plan militaire – a préféré faire le dos rond.
Le Hezbollah libanais, sans doute la plus puissante organisation étrangère parrainée par l’Iran, a confirmé la posture l’automne dernier, à travers un discours très attendu à l’époque de son leader Hassan Nasrallah. Prenant la parole le 3 novembre, soit près d’un mois après le début des hostilités à Ghaza, il ne déclare pas la guerre comme redouté par un Liban exsangue économiquement et socialement, mais se fait le porte-parole de ses mentors iraniens. «La République islamique d’Iran soutient certes les mouvements de résistance au Liban, en Palestine et dans toute la région, mais n’exerce pas de tutelle sur leur leadership. Les attaques du 7 octobre sont le résultat d’une décision palestinienne à 100%», affirme-t-il.
Jusqu’où ira la riposte ?
Le mouvement libanais ne se retiendra pas pour autant de cibler des installations militaires israéliennes en veillant à en doser l’intensité en deçà des seuils du conflit ouvert. Le mot d’ordre de soutien à la résistance palestinienne est repris également par des organisations cataloguées de «terroristes» par les Occidentaux en Irak, en Syrie, au Yémen et assumée comme «axe de résistance» par l’Iran. Autant de groupes, ou «proxy» que la diplomatie américaine et ses alliés n’imaginent pas capables d’action sans l’aval direct des services iraniens. L’armada navale US, stationnée depuis le début du conflit en Méditerranée orientale, a dû riposter à des attaques menées par des organisations irakiennes contre certaines de ses positions dans le pays.
L’implication du Mouvement houthi depuis janvier, à travers des actions d’interception dirigée contre le trafic naval au passage stratégique de Bab El Mandeb, est la forme la plus spectaculaire de l’appui militaire déclaré à la résistance palestinienne ; Américains et Britanniques ont dû renouer avec la formule des ripostes conjointes pour contenir les assauts du mouvement yéménite.
La tension s’emballe avec l’assassinat par Israël, le 1er avril dernier, d’un général, commandant d’une unité d’élite des Gardiens de la révolution, au cœur de la capitale syrienne. Piqué à vif, le régime iranien, déjà mis à mal dans son incapacité à incarner cette dimension de puissance que lui confère un lourd investissement sur des organisations extraterritoriales, riposte le 13 avril par une pluie de drones et de missiles sur Israël, certes spectaculaire, mais qui ne fait que des dégâts minimes. L’épisode se clôt par une autre réplique, le 19 avril, de Tel-Aviv qui, à son tour, ne fait pas de dégâts notables, accréditant l’idée que les deux parties, sous supervision de l’administration américaine, se sont résolues tacitement à ne pas laisser dégénérer la situation.
L’assassinat de M. Haniyeh hier, dans une résidence censément hyper sécurisée et au cœur d’une capitale théoriquement en alerte, est pour beaucoup d’observateurs une humiliation infligée aux autorités iraniennes, déjà très mal à l’aise depuis la mort, dans un crash d’hélicoptère, de l’ancien Président et de son ministre des Affaires étrangères en mai dernier. Des failles dans le système de défense et de graves vulnérabilités sont évoquées.
Téhéran, dont la réputation de puissance est sévèrement écornée, menace de lourdes et vives représailles. La déflagration régionale, hantise de nombreux acteurs aux Moyen-Orient, n’a jamais été aussi plausible.