Après deux auditions dans le fond durant la semaine écoulée, le juge d’instruction près le tribunal de Dar El Beida a clôturé l’affaire de l’écrivain Boualem Sansal, détenu depuis quatre mois, et l’a renvoyée pour examen, après l’avoir expurgée de toutes les charges criminelles, dont celles liées à l’article 87 bis et ses alinéas.
A la grande surprise générale, elle a été immédiatement ajoutée au rôle de la 3e chambre correctionnelle, près la même juridiction, et jugée jeudi dernier, 20 mars, dans une salle à moitié pleine.
Au box, Boualem Sansal, cheveux coupés très courts, ne laisse entrevoir aucune anxiété, nervosité ou autres signes de fatigue ou de peur. Appelé à la barre, cet ancien cadre du ministère de l’Industrie, naturalisé français quelques mois avant son arrestation à l’aéroport d’Alger, à son retour d’un voyage en France, se met bien debout devant le juge. Ce dernier vérifie son identité, puis lui demande s’il a une défense. «Je n’ai pas d’avocat.» Le juge : «Voulez-vous que le tribunal vous en désigne un ?»
Le prévenu : «Je ne veux pas. Je suis en mesure de me défendre seul.» Le juge : «Etes vous sûr ?» Le prévenu persiste à refuser la désignation d’un avocat. Le magistrat prend acte de la décision du prévenu avant de lui dire : «Vous êtes poursuivi pour ''atteinte à l’unité nationale'', ''outrage aux institutions de l’Etat'', ''pratiques pouvant nuire à l’économie nationale'' et ''possession de vidéos et de publications portant menaces contre la sécurité et la stabilité nationales''.
Sansal «est un Algérien soumis au droit algérien»
Qu’avez-vous à dire ?» Ces accusations sont liées aux déclarations de Sansal à une Web TV, où il affirme qu’une «partie de l’Ouest algérien appartenait au Maroc avant que la France coloniale ne l’annexe et la donne» à l’Algérie. «Je suis un écrivain journaliste. J’ai exprimé mon opinion, comme tout Algérien, sans aucune intention de porter atteinte à l’Algérie ou à ses institutions. Je n’ai fait que rappeler ce que les Marocains disent à propos du Sahara occidental. J’ai exprimé des opinions, je n’ai fait aucun mal à quiconque. Je suis un journaliste écrivain, qui a le droit de faire état de ses opinions sans porter atteinte aux institutions de l’Etat.»
Le juge revient sur une autre déclaration du prévenu, où le il présente le Sahara occidental comme «un territoire marocain» et critique la position de l’Algérie par rapport au Maroc et à Israël. Sansal poursuit sa stratégie de défense, en reconnaissant les faits, mais en affirmant qu’il n’a fait qu’user de son «droit à la liberté d’expression et d’opinion».
Il précise : «Je n’ai enfreint aucune loi. Je n’ai fait qu’émettre une opinion sur des sujets publics et sans aucune arrière-pensée. J’ignorais que mes propos pouvaient porter préjudice aux institutions de l’Etat.» Le juge ne semble pas vouloir aller dans les détails des nombreuses déclarations publiques du prévenu pour lesquelles il est jugé.
Il s’est contenté de quelques questions avant de donner la parole au représentant du Trésor public, venu se constituer partie civile dans le procès. Il présente son mémoire écrit au juge avant de demander la «préservation» de ses droits. Et le procureur en chef du tribunal prend la parole pour faire son réquisitoire.
Il commence par préciser que Sansal «est un Algérien soumis au droit algérien». Le prévenu garde le regard fixé sur le représentant du ministère public qui souligne : «Sansal n’est pas un simple citoyen.
Il occupait des fonctions supérieures de l’Etat. Il connaît très bien la portée de ses déclarations.» Le procureur estime que les propos du prévenu «ont porté atteinte à souveraineté et la notoriété de l’Etat», en «mettant en cause la politique de l’Algérie vis-à-vis de l’entité sioniste et d’un pays ennemi.
Il devait savoir quelles conséquences pouvaient avoir la portée de ses déclarations et le préjudice qu’elles pouvaient faire subir aux institutions du pays».
Il rappelle les griefs retenus contre le prévenu, puis réclame contre Sansal, qui le fixe toujours du regard, une peine maximale de 10 ans de prison assortie d’une amende d’un million de dinars.
Le juge met l’affaire en délibéré sous huitaine. Le verdict sera connu dans une semaine, soit le jeudi 27 mars. Salima Tlemçani