La récente découverte du Martin triste en Algérie a provoqué beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux. Si cet oiseau est originaire d’Asie, les spécialistes ont alerté quant au potentiel danger de cet oiseau lorsqu’il se retrouve hors de son aire d’habitation. Explications.
Récemment aperçu dans la capitale, le Martin triste, appelé aussi Myna commun ou Myna indien, s’est bien éloigné de son environnement naturel. En effet, son aire de répartition initiale s’étend de l’Iran au Pakistan, en passant par l’Inde, le Népal, le Bhoutan, le Bangladesh, le Sri Lanka, l’Afghanistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, le Myanmar, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande péninsulaire, l’Indochine, le Japon (le Japon continental et les îles Ryukyu) et la Chine.
«Dans son habitat naturel, à savoir dans les forêts claires de l’Inde, cet oiseau vit en parfaite harmonie avec son écosystème, jouant un rôle indéniable de prédateur d’invertébrés terrestres, mais aussi un disséminateur de premier ordre de diaspore de fruits, contribuant ainsi à la régénération de la forêt», explique tout d’abord le Pr Riadh Moulaï, directeur du laboratoire de zoologie appliquée et d’écophysiologie animale de l’Université de Béjaïa.
Selon lui, l’oiseau possède, dans ces forêts indiennes, une multitude de prédateurs, à l’exemple des rapaces et les grands félidés qui jouent un rôle dans la régulation de sa population. «Toutefois, en dehors de ses habitats originels, le Martin triste devient invasif et peut être nuisible», prévient M. Moulaï.
Expliquant au passage que de manière générale, c’est l’homme qui est responsable de son introduction et cela de manière intentionnelle ou non intentionnelle, lorsqu’il s’échappe des cages et des volières et prospère dans des milieux favorables. «Mais il est important d’être clair, l’oiseau est surtout dangereux dans les écosystèmes isolés dans lesquels les équilibres écosystémiques sont fragiles tels que les milieux insulaires ou les îles», soulève-t-il.
En Australie, par exemple, M. Moulaï affirme que le Myna commun est un ravageur envahissant. Il est souvent l’oiseau prédominant dans les zones urbaines de toute la côte est. «Lors d’un vote populaire en 2008, l’oiseau a été désigné comme ‘le ravageur/problème le plus important’ en Australie», poursuit-il.
D’ailleurs, le spécialiste assure que ces volatils ont gagné le surnom de «rats volants», en raison de leur nombre et de leur comportement de charognard. «Ils sont également connus sous le nom de ‘crapauds du ciel’, mais il n’y a pas de consensus scientifique sur l’étendue de son impact sur les espèces indigènes, notamment sur les oiseaux cavernicoles, c’est-à-dire ceux qui nichent dans les creux des arbres, car comme tous les sturnidés (famille des étourneaux), cet oiseau choisit les cavités des arbres ou toute autre cavité naturelle ou non naturelle pour établir son nid et élever sa progéniture», explique M. Moulaï. En ce qui concerne son impact sur l’environnement, le spécialiste affirme qu’il a surtout été documenté en Australie. «Ailleurs dans le monde, son impact réel reste très controversé», note-t-il.
En effet, en Australie, le comportement territorial et l’agressivité du Myna commun lui a permis de déplacer de nombreux couples reproducteurs d’oiseaux cavernicoles indigènes, notamment des espèces à hautes valeurs patrimoniales telles que les galahs. «Les Mynas communs peuvent causer des dommages considérables aux fruits en cours de maturation, en particulier les raisins, mais aussi les figues, les pommes, les poires, les fraises, les myrtilles, les goyaves, les mangues et les fruits à pin», prévient M. Moulaï.
Adaptation
Les cultures céréalières telles que le maïs, le blé et le riz sont également sensibles lorsqu’elles se trouvent à proximité des zones urbaines. De plus, M. Moulaï estime important de prévenir que l’oiseau pourrait devenir un réservoir et un vecteur local de certains agents pathogènes, comme la grippe aviaire, comme c’est le cas de plusieurs espèces d’oiseaux migrateurs ou introduits.
Mais concrètement, son apparition en Algérie va-t-elle provoquer un déséquilibre biologique ? «Pas tout à fait», rassure M. Moulaï. Il faut savoir que le martin triste a été introduit en Afrique du Sud dès 1902 et a Hawaï et surtout en Australie, entre 1863 et 1872. «D’ailleurs, l’introduction de l’oiseau en Australie a été intentionnelle afin d’aider les agriculteurs à combattre certains ravageurs des cultures», assure M. Moulaï.
Ailleurs dans le monde, l’effet néfaste du Myna commun sur les écosystèmes ou sur les intérêts humains n’a, selon le spécialiste, pas été notable. «Pour ce qui est de l’Algérie, l’espèce doit, certes, être surveillée comme toute espèce invasive potentiellement nuisible, mais les appels à réguler l’espèce ou comme j’ai entendu dire à exterminer l’espèce sont tout à fait injustifiés», rassure-t-il.
Pour lui, l’espèce elle-même est en phase d’adaptation, et on ne sait pas encore si elle va trouver les conditions adéquates pour prospérer. «A mon humble avis, compte tenu des exigences biologiques et surtout trophiques du Myna commun, je prévois son installation à long terme dans l’Algérois et dans certaines agglomérations de la Mitidja», affirme M. Moulaï.
Ailleurs en Algérie, le développement et l’expansion de l’espèce «me paraît vraiment difficile», précise-t-il. Pour justifier son hypothèse, le spécialiste s’appuie sur l’exemple d’une autre espèce exotique, à savoir le perruche collier. Cet oiseau, échappé des volières des Algérois dès la fin des années 80 du siècle dernier, est arrivé, selon lui, à se reproduire en liberté dès 1995, notamment au jardin d’Essai du Hamma. «Or, on s’attendait à une invasion fulgurante de l’espèce, comme ce fut le cas ailleurs où il a été introduit, comme le Japon et dans plusieurs pays du sud de l’Europe», assure-t-il.
En une trentaine d’années, le chercheur affirme que le perruche à collier n’a pu coloniser que quelques dizaines de kilomètres carrés, notamment dans le Grand Alger et autour de l’Algérois. «En fait, l’espèce a besoin pour se développer de fruits présents toute l’année sur de grands arbres, la plupart exotiques. Ces arbres sont présents surtout dans les grands parcs et jardins de l’Algérois. Vu le manque de ressources trophiques adéquates et de sites de nidification favorables, notamment la présence de cavités dans les arbres», explique-t-il.
C’est pourquoi, l’espèce n’a pu que difficilement étendre son aire de répartition en Algérie. «Un autre exemple édifiant est celui de la tourterelle turque, qui a été observée pour la première fois en Algérie en 1994, dans la ville côtière d’Annaba», ajoute M. Moulaï. Depuis, cette espèce a connu une expansion aussi bien spatiale que démographique, et cela, tout d’abord dans les grandes agglomérations du nord du pays, ensuite dans les villes des Hauts-Plateaux et même dans les oasis du Sud algérien. C’est une espèce qui est considérée maintenant comme répandue et commune en Algérie.
«Alors qu’on craignait qu’elle rentre en compétition avec une espèce plus exigeante, à savoir la tourterelle des bois, ou encore à la faveur de son régime alimentaire granivore qu’elle allait provoquer des dégâts notamment vis- à-vis des cultures céréalières, rien de cela n’est arrivé.» En effet, l’espèce a plutôt enrichi la diversité des oiseaux algériens et pris sa place en tant que phytophage granivore efficace dans divers écosystèmes algériens.
Bio express
Le Pr Riadh Moulaï est directeur du laboratoire de zoologie appliquée et d’écophysiologie animale de l’Université de Béjaïa. Il est aussi président du conseil scientifique du jardin d’Essai du Hamma et président du conseil scientifique du Parc national de Gouraya. M. Moulaï est également membre du conseil scientifique du Commissariat national du littoral.
À propos du Martin triste
Le Martin triste, aussi appelé Myna commun ou Myna indien (Acridotherestristis), est une espèce d’oiseaux de la famille des sturnidae. «Il appartient à la même famille que l’étourneau sansonnet, notre fameux zerzour», affirme M. Moulaï. Selon lui, l’oiseau est facilement identifiable par son corps brun, sa tête noire à capuchon et la tache jaune nue derrière l’œil. Le bec et les pattes sont jaunes vif. Les ailes sont également arrondies et la queue est ronde et carrée.
Une tache blanche se trouve sur les ailes primaires externes et la doublure des ailes sur le dessous est blanche, ainsi que le bout de la queue. «Dans ses habitats d’origine, ce passereau se trouve en abondance dans les bois clairsemés, les champs et autour des habitations», poursuit le spécialiste.
Le Myna commun prospère dans les environnements urbains et suburbains où il s’est très bien adapté profitant des ressources alimentaires et des sites de nidification fournis par l’homme. «Comme la plupart des sturnidés, le myna est polyphage et même omnivore», précise M. Moulaï. En effet, il se nourrit d’insectes, de larves, de vers de terre, d’arachnides, de crustacés, de reptiles, de petits mammifères, de graines, de céréales, de fruits, de nectar et de pétales de fleurs, et de déchets urbains. Il cherche des insectes au sol dans l’herbe et en particulier des sauterelles, d’où son nom générique Acridotheres, «chasseur de sauterelles».
Il se nourrit cependant d’un large éventail d’insectes, principalement récoltés au sol. Selon M. Moulaï, le Myna commun a été introduit dans de nombreuses autres parties du monde en tant qu’oiseau de cages et de volières et notamment au Canada, en Australie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie, les Fidji, les Etats-Unis (essentiellement en Floride), l’Afrique du Sud, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, les îles Caïmans, des îles de l’océan Indien, l’île Maurice, la Réunion, Madagascar, les Maldives, les îles Andaman et Nicobar et l’archipel des Lakshadweep) ainsi que des îles de l’Atlantique (comme l’Ascension et Sainte-Hélène, l’océan Pacifique et ces dernières années même en Méditerranée, proches de chez nous par exemple à Chypre, en Espagne et en France.
En ce qui concerne son aire de répartition, le spécialiste explique que celle-ci s’étend à un rythme si rapide qu’en 2000, la Commission de survie des espèces de l’UICN l’a déclaré comme l’une des espèces les plus envahissantes au monde et l’un des trois seuls oiseaux figurant sur la liste des «100 pires espèces envahissantes au monde» qui constituent une menace pour la biodiversité, l’agriculture et les intérêts humains. «Toutefois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce constat très alarmiste et valable surtout pour certains habitats fragiles et isolés tels que les milieux insulaires», conclut M. Moulaï. Sofia O.