La séquence a fait le tour du Net : sur le campus de Yale University, une jeune femme portant un tee-shirt affichant ostentatoirement son identité juive circule au beau milieu d’un sit-in d’étudiants organisé en soutien à Ghaza et fait entendre des slogans pro-israéliens.
La manœuvre filmée est destinée manifestement à provoquer une réaction d’hostilité des protestataires et à documenter par l’image enregistrée un acte antisémite au cœur de ce vaste sursaut de la communauté universitaire qui ébranle les Etats-Unis depuis des semaines. Mais les étudiants n’ont pas bronché et le stratagème n’a pas marché.
C’est sur ce levier que s’organise essentiellement la riposte au mouvement estudiantin dans les facultés américaines mais aussi sur tous les campus européens, notamment français, touchés par la contagion. Samedi dernier, près d’une centaine de personnes ont été arrêtées dans l’enceinte de la Northeastern University de Boston, plus grande ville de l’Etat du Massachusetts, après que la direction de l’institution a fait appel à la police sur la base de la présomption d’un slogan antisémite lors d’une manifestation.
Les vérifications révéleront plus tard que ledit slogan a émané d’un contre-manifestant cherchant certainement à saborder le mouvement des pro-palestiniens.
Un peu partout sur les autres campus, le moindre fait pouvant être intégré dans cette case fourre-tout d’antisémitisme, souvent via des contorsions sémantiques et des exercices acharnés de surinterprétation, est saisi au vol par des rectorats débordés par les événements pour justifier la répression.
Un moyen de dissuasion qui n’a pas attendu la protestation en cours pour s’abattre sur la communauté universitaire et inhiber son potentiel d’opposition au soutien inconditionnel à Israël dans le contexte. En décembre dernier, trois présidentes d’universités importantes aux Etats-Unis avaient été prises pour cible pour avoir «relativisé des dérives antisémites» sur leurs campus respectifs.
Dans une déclaration datée du 26 avril, l’ONG Human Rights Watch prend note du procédé et appelle à ne pas «qualifier à tort les critiques des politiques du gouvernement israélien ou le plaidoyer en faveur des droits des Palestiniens d’intrinsèquement antisémites et à ne pas abuser de l’autorité universitaire pour réprimer des manifestations pacifiques».
La déclaration pointe ainsi le curseur sur le cœur du problème en relevant que toute marque publique de soutien aux droits des Palestiniens et de dénonciation des crimes commis par le gouvernement israélien a fini par être automatiquement confondue à des élans essentialistes appelant à l’extinction des juifs, en tant que groupe ethnique ou religieux.
En France également, où des étudiants tentent de s’organiser, la levée de boucliers politique est violente et s’arme surtout de l’argument d’atteinte condamnable aux juifs pour culpabiliser le sursaut estudiantin. Rien d’étonnant, dans la mesure où le mouvement La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon fait déjà l’objet, depuis sept mois, d’une cabale médiatique acharnée, au motif facile du même antisémitisme, pour avoir affiché des positions qui condamnent les atrocités israéliennes à Ghaza et défendu le droit des Palestiniens à résister à l’occupation.
Le Premier ministre français, toujours selon le même prisme tordu, vient d’ailleurs d’accuser le mouvement politique d’être derrière la mobilisation pro-palestinienne à Sciences Po à Paris.
Au soir du 7 octobre 2023, jour de l’opération «Déluge d’Al Aqsa», le gouvernement israélien avait dicté d’autorité le récit des événements et imposé leur interprétation historique au concert de ses nombreux et dévoués alliés : dénier tout caractère de résistance armée à l’occupation aux opérations menées par le Hamas et affirmer qu’elles s’inscrivent dans la filiation de l’holocauste nazi.
Ce que les soutiens ont repris en chœur depuis et érigé en paradigme d’action. La mise en accusation actuelle du mouvement des étudiants n’en est que l’une des déclinaisons.