Cinéaste à qui l’on doit trois courts métrages à succès, Le Hublot, Passage à niveau et Voyage de Keltoum et un long, La vie d’après, Anis Djaâd revient pour son deuxième long-métrage avec Terre de vengeance bientôt sur vos écrans, Revenge movie où la vengeance est le moteur principal, avec l’excellent Samir El Hakim qui se venge de tout ce qui bouge et dont la bande-annonce vient d’être mise en ligne sur Facebook (voir le compte de l’auteur)
Propos recueillis par Chawki Amari
Cette façon de filmer, plans fixes, lenteur calculée, est un choix. Pourquoi celui-ci ?
Je dirais plutôt que c’est un choix qui s’impose de lui-même par rapport au genre choisi. Raconter la vie de petites gens de la manière la plus réaliste possible ne nécessite pas un cinéma en mouvement qui est contraire à la réalité. Il est question de se reposer sur un cinéma qui prend le temps de regarder, voire contempler, les personnages qui évoluent dans des cadres fixes. Ce sont les comédiens qui portent le film et non pas les travellings. Par ailleurs, ce choix serait aussi motivé par l’influence de grandes écoles de cinéma contemporain, iranien et sud-coréen. En ce moment, je me délecte à suivre un cycle consacré à l’immense Hong Sangsoo dans l’émission micro-ciné du critique Samir Ardjoum. La question des plans fixes et des lenteurs délibérées revenait à chaque fois dans les débats. Bien qu’elle soit un peu théâtrale, cette façon de filmer à deux raisons d’être ; épouser la réalité qui se dégage des récits racontés par l’image et offrir aux personnages de chaque histoire la possibilité d’être eux-mêmes comme dans la vraie vie. Les cinéastes iraniens sont aussi maîtres dans ce choix de filmage fixe, parfois lent, qui ne trahit aucunement la réalité au cœur du dispositif fictionnel.
On a l’impression que contrairement aux autres réalisateurs, vous ne voulez pas vous mêler du film, de l’histoire, comme un spectateur qui ne fait que rapporter ce qu’il se passe.
Je partage en partie cet avis. Bien que mon implication demeure entière, de l’idée du scénario à la copie finale du film, il est vrai que je suis un peu spectateur mais au sens noble du terme. On me reproche souvent de passer peu de temps devant le moniteur. Je choisis de regarder mes comédiens en réel tel n’importe quel spectateur qui aurait la chance d’être sur le plateau de tournage.
Cette distance par rapport au moniteur et à l’image projetée donnera effectivement cette impression que je suis plus observateur du déroulé filmique. Ce qui n’est pas tout à fait faux. Je dirais que tout part de la phase de l’écriture qui détermine déjà les intentions du réalisateur. Il se pourrait que la mienne favorise cette posture de spectateur ou d’observateur. Ce qui me semble important, c’est que ce regard soit juste et fidèle à la réalité d’un récit qu’on voudrait porter à l’écran.
On dit que le cinéma algérien est un cinéma d’auteur, mais en fait, c’est surtout parce que les budgets faibles ne permettent pas de faire de l’épique, de l’action ou de la science-fiction et du fantastique. Donc ce ne serait pas un choix des scénaristes réalisateurs mais une contrainte...
Personne ne peut le nier, le cinéma d’auteur en Algérie est une tradition. Je ne vais pas citer tous les films ou tous les réalisateurs qui ont porté ce genre depuis les années 70 mais la cartographie cinématographique est claire et précise à ce propos. Un mariage forcé entre nos aînés cinéastes et ce cinéma d’auteur ? Je ne saurai répondre bien qu’une partie de la réponse pourrait résider dans le fait que la plupart de ces cinéastes ont fréquenté de grandes écoles de cinéma qui elles-mêmes sont productrices de ce genre cinématographique. Je pense notamment à l’école russe. C’est vous dire l’ancrage de cette tradition qui nous viendrait d’ailleurs. J’ignore honnêtement si d’autres facteurs ont influencé ce choix de toute une génération et qui est devenu le nôtre aujourd’hui.
Dans ce sillage et pour répondre à votre autre question, je ne pense pas que ce choix soit lié, du moins directement, aux budgets alloués à la production. Le cinéma algérien est bien passé par des ères fastes sauf qu’on ne l’a pas vu exceller dans d’autres genres, à de très rares exceptions. Je dirais quelques tentatives d’expérimentation d’autres genres que celui du cinéma d’auteur. Et si on continue à se frotter à celui-ci, pour répondre à votre dernière question, ce n’est pas la faute des cinéastes qui n’ont pas été formés pour ces autres genres. N’est-pas une mince affaire de filmer une bataille ou un film d’action d’une heure trente ?
Ce sont des écoles à part entière que le cinéma algérien n’a jamais intégrées. Je vois quelques jeunes qui s’essayent à l’action à travers des courts métrages mais force de dire que ça manque cruellement de crédibilité. Si nous voulons que notre cinéma s’attaque à d’autres genres, sans jamais renoncer au cinéma d’autre, il faut former en misant sur l’expertise et le savoir-faire des grandes écoles occidentales.
A présent, pourrai-je tenter autre chose qu’un film d’auteur ? Une comédie ? Faire rire ou faire pleurer, peu importe le genre quand l’amour du cinéma est plus fort que tout.