Après Paradoxical Project sorti en 2015, et Apes Theater, enregistré entre New York, Paris et Alger et sorti en 2018, le guitariste compositeur Anis Benhallak revient avec un nouvel album intitulé The clown Theory, et dont la sortie est prévue le 1e avril 2022. Il nous en parle dans cet entretien.
- Ton nouveau titre The clown Theory vient d’être publié sur Youtube et annonce un nouvel album. Pourquoi avoir attendu quatre ans ? La pandémie ?
J’ai fini d’écrire cet album fin 2019 début 2020, je devais ensuite entrer en studio pour l’enregistrer en juin 2020. Mais grosse surprise, la pandémie est là, je ne vais pas te décrire la situation. Je pense que vous avez vécu la même chose que nous. Les studios étaient fermés et une grosse panique s’est installée, j’ai dû attendre jusqu’à la fin de l’année pour entrer en studio. On a enregistré l’album en live, c’était magnifique de revoir les musiciens et de re-jouer ensemble l’album enregistré ; je devais partir à New York pour mixer avec mon ingénieur son, David Darlington, et là, re-confinement, et c’était encore impossible de partir aux Etats-Unis. On a dû le faire à distance.
Dans la vidéo en noir et blanc de The Clown Theory, il pleut des bombes et des dollars sans doute pour dire combien il va mal le monde, mais elle se termine par les paroles de Tahar Djaout. Parle-nous de cette vidéo.
The Clown Theory est le titre qui représente le plus, je pense, cet album éponyme, et le clip d’animation en noir et blanc donne une dimension très réaliste au morceau, sachant qu’un morceau sans paroles à toujours plus de difficultés à faire passer des messages et encore moins des messages engagés. On a essayé avec Fares Yessad, l’artiste qui a dessiné et réalisé ce clip, de raconter ce monde d’une façon nouvelle avec un trait dynamique et une réalisation moderne qui reste figurative et compréhensible par tous. Dans ce clip, je raconte la détresse absolue dans laquelle ce monde se trouve, entre le pillage de nos nations, de l’impérialisme qui à fracturé nos sociétés et la modernité qui a isolé les gens. Nos peuples n’ont plus de repères, et notre histoire est en train de disparaître complètement parce qu’on s’intéresse plus à l’histoire du Nord qu’à l’histoire du Sud, on veut ressembler aux Européens à tout prix, et c’est là où l’impérialisme a réussi.
- C’est assez engagé comme message…
Tout simplement, j’essaie de dire dans ce clip que si on ne se bat pas pour nos valeurs et notre culture, personne ne le fera à notre place, car l’impérialisme n’est pas notre ami, au contraire, il est notre pire ennemi, et les paroles de Tahar Djaout «Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, dis et meurs» me paraissaient très appropriées.
- Ton art s’affirme dans un savant mélange entre le jazz et tes propres racines, mais tu ne choisis pas la facilité du Roots et de la world. Quel est ton secret ? Qu’est-ce qui motive tes choix ?
Je n’ai pas vraiment de secret ou de formule magique. Je vie musique, je mange musique et je dors musique ce qui réduit de beaucoup le temps de faire autre chose. Comme beaucoup de compositeurs, j’ai des mélodies qui errent dans ma tête j’essaye d’en attraper une avant qu’elle ne parte ailleurs. Je la complimente, je lui dis que c’est une très belle mélodie et que j’aimerais beaucoup la revoir pour partager un moment ensemble et si elle acquiesce et revient, je commence à créer l’environnement qui lui convient le mieux pour qu’elle puisse s’exprimer encore plus et faire passer le message qu’elle m’a transmis, mais aux autres…
- C’est une façon très originale de raconter ton processus de création…
Très pratique surtout. En conclusion, je ne choisis pas vraiment ce style de musique, il est en moi. A travers ma musique, j’essaie de dépasser cette notion de style et de genre, j’ai mon propre style de composition et de jeu, ma vie, mon expérience, mes amours, mes chagrins, mes rencontres, mes influences, mes origines ont donné ce résultat.
- On t’a déjà dit que le toucher de Pat Metheney ressemble au tien ?
Ça c’est le meilleur compliment que je puisse avoir. Je pense plutôt que c’est l’inverse, que mon touché ressemble au sien (hhhhh). Je crois que c’est le musicien que j’ai le plus écouté et relevé sans vraiment essayer de l’imiter. Il reste une légende et une encyclopédie musicale. Son approche de la musique est unique et magique, j’ai appris tellement de choses en l’écoutant et en essayant de reproduire ses plans et ses solos. Pour l’anecdote, la première partition que j’ai achetée en arrivant en France, était à lui.
- Tu es le meilleur guitariste algérien vivant ?
Yeah... Merci (hhhhh), je ne pense pas être le meilleur guitariste algérien vivant..., et s’il y a bien un domaine où la compétition n’a pas sa place, c’est bien la musique et l’art en général. Chaque artiste s’exprime à sa manière et fait passer son propre message. Il faut savoir que la musique ne soigne pas que les personnes qui l’écoutent, elle exorcise l’artiste qui l’écrit et l’aide aussi à faire sortir ses démons. Chaque artiste utilise son propre remède, et pour revenir au syndrome du meilleur musicien, comme disait Miles Davis, des fois, une seule jolie note jouée au bon moment vaut toute la technique du monde. Je trouve encore que cette notion de compétition dans l’art et dans tous les domaines est très capitaliste et c’est ce qui tue la créativité et l’imagination. «Pour être le premier, il faut faire comme le maître t’a montré, sinon ce n’est pas bon». Ça c’est un concept que je ne comprends pas du tout et qui devrait être aboli.
- C’est ton troisième album, et tu as plusieurs musiques de films à ton actif et une foultitude de collaborations à l’international. C’est un parcours riche depuis que tu as quitté Chelghoum Laïd, n’est-ce pas ?
J’ai l’impression que c’est un peu le parcours logique de quelqu’un qui ne sait pas vraiment faire autre chose de ses mains (Rires !!). C’est un peu un rêve d’enfant qui se réalise. Des fois, je repense à mon enfance et mon adolescence à Chelghoum Laïd pendant la décennie noire, quand on jouaient dans les maisons de jeunes avec du matériel qui datait de l’ère Boumediène, et qu’il fallait finir avant le couvre-feu. Je me dis que des fois, la vie réserve de sacrées surprises, après j’ai eu la chance d’avoir été soutenu par ma mère, mon frère et mes sœurs qui ont très vite compris que la musique est ma vie, et que ce n’est qu’à travers la musique que je serais heureux et que je pourrais m’accomplir.
Je ne dis pas que c’était facile tous les jours ni en Algérie ni en France, surtout pour quelqu’un qui fait une musique comme la mienne. J’ai débarqué en France, sans papiers, arrivé tout droit de Chelghoum Laïd (déjà que même les Algériens ne savent pas situer ce village sur une carte), je dis que je joue du jazz et surtout que j’ai appris à jouer, écrire et composer tout seul, sans professeur ni école de musique !
Déjà qu’en général en France, ils ont un penchant pour les artistes qui leurs rappellent leurs vacances d’été dans le nord de l’Afrique, et moi, je ne rentrais pas du tout dans le registre prédéfini pour un musicien Algérien...
Mais petit à petit, j’ai commencé à jouer dans les clubs de jazz parisiens, à jamer et me faire un nom. J’ai joué plein d’autres styles aussi, comme l’Afrobeat, la Bossa nova le Maloya, la Pop, le Rock, etc. J’ai commencé ensuite à voyager un peu partout pour me produire, et ce n’est qu’en 2011, que j’ai décidé de me consacrer à ma musique. Je continue bien sûr à collaborer avec d’autres artistes, mais plus comme compositeur, arrangeur ou producteur.
- Un conseil à donner aux jeunes musiciens algériens ?
Rien si ce n’est de rester jeune !