Amine Idriss. Directeur principal à l’Agence de développement de l’Union africaine-Nepad : «En Afrique, nous ne pouvons pas échapper aux fossiles»

23/12/2023 mis à jour: 05:07
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Photo : D. R.
  • La COP28 a été caractérisée par l’octroi d’un fonds pertes et dommages dédié aux pays vulnérables, dont plusieurs sont situés en Afrique. Comment évaluez-vous les négociations de cette conférence. Sont-elles à la hauteur de vos attentes ?

En tant qu’agence de développement de l’Union africaine Auda-Nepad, nous avons eu des discussions sur les systèmes alimentaires, le plan directeur d’électrification de l’Afrique, les énergies renouvelables et également l’accès à l’eau. Tout au long de la COP28, nous avons eu plusieurs engagements avec des partenaires financiers et techniques.

La conférence des parties sur les changements climatiques est d’abord une occasion de sensibiliser l’ensemble des partenaires de développement sur les enjeux liés à l’électrification de l’Afrique et particulièrement par rapport à notre plan continental de transmission électrique.

D’ici 2035, il faut savoir que 60% des capacités de production électrique de l’Afrique seront perdues à cause de leur vétusté. Il est donc nécessaire de commencer à investir dès à présent sur les capacités supplémentaires, d’où le lancement du plan directeur d’électrification.

70% de ce plan se basent sur les énergies renouvelables, une démarche primordiale. Ensuite, il est nécessaire également d’investir sur l’hydrogène vert.

Lors du dernier sommet africain sur le climat, nous nous sommes rendu compte et nous avons pris conscience que l’investissement sur le renouvelable prendra du temps mais aussi risquera de poser quelques difficultés en termes d’efficacité. C’est pour cette raison qu’il est important de continuer à utiliser nos ressources naturelles fossiles de manière intelligente, de telle façon à sécuriser notre accès à l’énergie et préparer notre transition verte.

  • L’Afrique a besoin d’argent et de temps pour s’éloigner des énergies fossiles, et ce, sans compromettre son développement économique. Comment peut-elle alors s’engager dans cette transition énergétique ?

En Afrique, nous ne pouvons pas échapper aux fossiles. Nous partons du principe qu’on ne parle même pas de transition en Afrique, parce que nous n’avons pas déjà suffisamment d’électricité.

Là où on peut faire de l’électricité, on le fera et là où les Etats estiment qu’ils doivent, pour l’instant, continuer à investir dans les fossiles pour passer à la transition, ils le feront. L’objectif est que d’ici 2040, le plan directeur d’électrification du continent prévoit de faire augmenter les capacités de production de l’Afrique à plus de 300 GWh.

Il y a du potentiel sur notre continent et probablement le plus important dans le monde, en termes de soleil et de l’éolienne, mais aussi en énergie hydro et géothermique. Il existe d’ailleurs des projets pilotes promoteurs au Kenya, en Ethiopie et en Tanzanie.

  • Quels sont vos engagements en matière de projets à court terme pour accélérer le développement et l’intégration en économie mondiale ?

Nous sommes encore à la phase d’étude de faisabilité de projets présentés par les différents gouvernements. Avant la fin de l’année 2024, nous espérons avoir la liste finale qui ne dépasse pas en principe les 200 projets.

En attendant, notre plus grand projet, c’est le CMP (Continental Master Plan), une plateforme portant un plan directeur d’électrification entamée en 2018. Il nous a permis de faire une importante analyse de ce qui existe, à savoir les infrastructures et les capacités en place.

Nous nous sommes rendu compte qu’en termes de capacité de production électrique, le continent tourne autour de 270 gigawatts. Très peu et insuffisant par rapport à la demande locale, appelée à être doublée d’ici 2035, selon nos projections. Très compliqué d’y faire face, surtout que les capacités existantes seront perdues.

Les infrastructures seront dans un état vétuste et leur remplacement demande de l’argent. Nous avons alors identifié comme plan et option les énergies renouvelables, et ce, dans le but de faciliter l’investissement. Environ 120 projets d’électrification sur le continent sont lancés et programmés.

Le plus important, c’est le système de transmission. L’idée est de connecter l’ensemble des pays d’une région à travers des pools énergétiques régionaux.

A travers cinq pools au stade du lancement, notre continent a pour vision de développer un réseau électrique unique qui garantira un approvisionnement en électricité sûr, fiable, abordable et durable, afin d’améliorer les perspectives économiques du continent, en particulier pour nos enfants.

Autrement dit, s’il y a des pays qui ont un surplus d’électricité, ils seront en mesure de le vendre à des pays voisins. L’objectif est de parvenir à avoir un marché africain d’électricité. La commission de l’Union africaine se penche actuellement sur l’aspect réglementaire, alors qu’Auda-Nepad se concentre sur l’aspect de la mise en œuvre. Il s’agit, en effet, d’un projet de longue haleine réalisable d’ici 2040 avec un budget de 8 milliards de dollars.

  • La consommation d’énergie par habitant en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) est de 180 kWh, contre 13000 kWh par habitant aux Etats-Unis et 6500 kWh en Europe. Pensez-vous que ces projets changeront réellement la donne sur le continent ? 

Le CMP va définitivement changer la donne d’accès à l’électricité en Afrique. Si je dois vous schématiser les données actuelles, je dirais que l’Afrique du Nord couvre ses besoins à 99,99%, alors qu’en Afrique subsaharienne, plusieurs pays ont fait d’énormes progrès, comme le Gabon et l’île Maurice, le Ghana, mais d’autres au Sahel ont des difficultés, comme au Tchad où la couverture est de 6%.

En République démocratique du Congo, 40% de la population ont accès à l’électricité. Aucun pays ne ressemble à un autre et il ne doit pas y avoir une seule solution pour tous, ni pour l’ensemble du continent encore moins de solutions régionales.

Chaque pays a des solutions, toutefois il est possible et recommandé de mettre en commun les ressources disponibles et les partager, d’où la nécessité de ce plan directeur de transmission qui peut contribuer à donner jour au marché africain.

  • La route transsaharienne reliant l’Afrique du Nord à l’Afrique de l’Ouest est entrée dans sa dernière phase de réalisation. Quel état des lieux des travaux en faites-vous ?

Il s’agit d’un rêve qui est en train de se réaliser. Elle est conçue comme l’épine dorsale du développement du continent. Très essentielle à l’avènement de la Zone de libre-échange continentale africaine. Sur 9400 km, elle relie Alger à Lagos avec un intérêt qui n’est pas seulement le transport, mais un projet à plusieurs modèles. Sur la partie transport, d’importants progrès sont réalisés par l’Algérie jusqu’à la frontière avec le Niger.

Le Tchad a également achevé une partie de son tronçon. Bientôt la route sera reliée de N’Djamena à la frontière du Niger. Dans l’ensemble, l’Algérie, le Niger et le Tchad sont très sérieux dans l’avancement des travaux, même si le rythme des travaux dépend des capacités financières et ressources humaines de chaque pays.

C’est un projet qui tient à cœur tous les Etats. L’Algérie a d’ailleurs proposé l’organisation de la prochaine semaine du Programme du développement des infrastructures en Afrique (Pida) qui se tiendra à Alger. Elle veut, en effet, placer la transsaharienne au centre de ces discussions. 
 

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