Alors que les bombardements israéliens sur la bande de Ghaza se poursuivent avec une intensité redoublée, le Nord de l’enclave est désormais plongé dans une crise humanitaire sans précédent.
En près de trois semaines, plus d’un millier de Palestiniens, dont une grande majorité de femmes et d’enfants, ont perdu la vie dans des frappes qui se multiplient sur les zones résidentielles, les hôpitaux et les abris scolaires.
La situation, déjà qualifiée de «catastrophe humanitaire» par les organisations de secours et les observateurs internationaux, s’aggrave alors que l’accès à l’aide humanitaire est quasiment inexistant et qu'Israël décide d’interdire purement et simplement l’Unrwa, la seule agence onusienne qui vient en aide aux Palestiniens.
Depuis les premières frappes aériennes intensifiées, l’armée d’occupation israélienne a orienté ses opérations sur le nord et le centre de Ghaza, en particulier dans les localités densément peuplées, comme Jabaliya et Beit Lahiya. Dans cette zone, les conditions sont désastreuses : le manque d’accès aux biens de première nécessité – eau, nourriture, carburant et médicaments – plonge des centaines de milliers de civils dans une extrême précarité. Selon le ministère de la Santé à Ghaza et les témoignages qui nous parviennent, les hôpitaux, les écoles et les bâtiments convertis en centres d’hébergement pour les déplacés internes subissent de lourds dommages.
A l’hôpital Kamal Adwan, principal centre de soins du nord de Ghaza, des bâtiments entiers ont été touchés, tandis que des dizaines de blessés y affluent sans relâche. Le directeur de l’établissement, le Dr Houssam Abou Safia, appelle désespérément les autorités internationales à envoyer des équipes médicales de secours, sous peine de voir un nombre croissant de blessés succomber à leurs blessures faute de soins.
Selon Euro-Med Human Rights Monitor, une organisation de défense des droits humains basée à Genève, Israël aurait attaqué les centres d’abri 39 fois au cours du dernier mois. Depuis le début de l’offensive, ce sont au total 65 frappes recensées sur des hôpitaux, des cliniques, des écoles et d’autres lieux de refuge.
Ces bombardements sur des bâtiments où se réfugient des familles entières, déjà déplacées en raison des combats, révèlent un cercle sans fin : déplacés de leurs foyers sous la menace des raids, les Palestiniens de Ghaza se retrouvent pris pour cible dans des endroits censés leur garantir une protection temporaire. Nombreux sont ceux qui, faute de lieux sûrs, se sont réfugiés dans les ruines de leurs maisons ou chez des proches, vivant dans une peur quotidienne des frappes aériennes. A Beit Lahiya, une frappe sur un bâtiment résidentiel a fait hier au moins 93 morts, dont des dizaines d’enfants et de femmes, selon les premières estimations.
L’Unrwa interdite par Israël
Comble du cynisme, le Parlement israélien a voté lundi, à une écrasante majorité, en faveur d’un projet de loi interdisant les activités en Israël de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), provoquant un tollé international. L’Unrwa a dénoncé une mesure «scandaleuse» à son encontre, alors qu’elle est le principal acteur des opérations humanitaires dans la bande de Ghaza. Le texte, qui interdit «les activités de l’Unrwa sur le territoire israélien», y compris à Jérusalem-Est, a été approuvé à la Knesset par 92 voix contre 10. Un second texte, également largement adopté (89 contre 7), interdit aux responsables israéliens de travailler avec l’Unrwa et ses employés, ce qui devrait considérablement perturber les activités de l’agence, alors qu’Israël contrôle strictement toutes les entrées de cargaisons d’aide humanitaire vers Ghaza. Le chef de l’Unrwa, Philippe Lazzarini, a dénoncé cette interdiction, qui «crée un dangereux précédent» et va «aggraver les souffrances des Palestiniens».
Avant même le vote, les Etats-Unis s’étaient déclarés «très préoccupés» et «avaient exhorté le gouvernement à ne pas approuver» ce texte, selon le porte-parole du département d’Etat Matthew Miller, qui a réitéré le rôle humanitaire «crucial» de l’Unrwa à Ghaza. Le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dénoncé une décision «intolérable» qui aura des «conséquences dévastatrices».
«Elle contrevient aux obligations et aux responsabilités d’Israël», a-t-il ajouté, en soulignant que «l’Unrwa est une bouée de sauvetage irremplaçable pour le peuple palestinien». Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, s’est dit «gravement préoccupé», tandis que l’Allemagne a «critiqué vivement» cette décision. L’Irlande, la Norvège, la Slovénie et l’Espagne, quatre pays ayant reconnu l’Etat de Palestine, ont «condamné» dans un communiqué commun ce texte en jugeant «essentiel et irremplaçable» le travail de l’Unrwa. Côté palestinien, le Hamas a dénoncé une «agression sioniste», tandis que son allié le Jihad islamique a condamné «une escalade dans le génocide» de la population. La présidence palestinienne a jugé, pour sa part, que le texte confirmait «la transformation d’Israël en un Etat fasciste».
Si les nouvelles lois du Knesset sont mises en œuvre, elles risquent d’entraver gravement l’action de l’UNRWA dans les Territoires palestiniens occupés. «Ce que cela signifie en pratique, c’est que la plupart du personnel international ne pourra plus obtenir de visa pour entrer en Israël ou dans les Territoires palestiniens occupés», déclare Tamara Alrifai, directrice des relations extérieures et de la communication à l’UNRWA. Mme Alrifai a précisé que ces lois interdiront l’octroi de permis de travail aux collègues palestiniens de l'Agence et qu’il sera impossible pour eux de passer les checkpoints israéliens. «Les camions de l’UNRWA, les convois et les fournitures humanitaires ne pourront plus traverser les Territoires palestiniens occupés, y compris Ghaza, au milieu de cette catastrophe humanitaire en cours», a-t-elle ajouté. Elle a également souligné que toute coordination concernant la sécurité des opérations de l’UNRWA avec le gouvernement israélien deviendrait impossible, et que les locaux de l’Agence pourraient être saisis.
Parallèlement, Noor Bimbashi, responsable de l’advocacy chez Humanity & Inclusion, a fait état de la détresse croissante des habitants de Ghaza, notamment dans le Nord. «Nous avons appelé pendant plus d’un an à un accès humanitaire sans entrave pour sauver la population touchée, qui en a le plus besoin», a-t-elle déclaré. Ses mots peinent à rendre compte de la gravité de la situation. «Il n’y a plus d’eau, plus de nourriture, plus d’électricité, plus de carburant», a-t-elle ajouté.
Francesca Albanese, experte indépendante des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés, a également réaffirmé des accusations de «génocide» à l’encontre d’Israël. Elle a soutenu que Israël cherche à «éradiquer les Palestiniens» de leur terre. Dans un nouveau rapport, elle affirme que «le génocide des Palestiniens semble être un moyen d’atteindre un but : l’élimination ou l’éradication des Palestiniens de cette terre, si intégrale à leur identité et que l’on convoite illégalement et ouvertement en Israël».
11 852 élèves tués
Les conséquences de cette guerre sont particulièrement tragiques pour les enfants. Selon le ministère de l’Education de Ghaza, plus de 11 852 élèves ont été tués et près de 18 959 blessés depuis le début de l’offensive israélienne en octobre. Dans un communiqué, le ministère rapporte aussi que des centaines de professeurs, d’administrateurs et d’agents de l’éducation figurent parmi les victimes, tandis que des écoles et universités sont massivement bombardées.
Des institutions éducatives, administrées par l’Unrwa, et des établissements publics ont été gravement endommagés ou détruits. La population, dont une grande partie de jeunes, est désormais privée d’accès à l’éducation et subit des traumatismes profonds. La privation de leur scolarité, accentuée par les conditions psychologiques éprouvantes, laisse des séquelles profondes, tandis que le système de santé de Ghaza est au bord de l’effondrement.
Des voix internationales, à l’instar de Médecins sans frontières (MSF), dénoncent les conditions auxquelles les Palestiniens de Ghaza sont confrontés. Dans une déclaration, MSF a condamné l’assassinat de son huitième membre de l’organisation, Hasan Suboh, tué dans une frappe le 24 octobre. L’ONG critique ce qu’elle qualifie d’«impunité totale» face aux violations des droits humains.
Les efforts diplomatiques pour parvenir à une trêve restent, pour l’heure, dans l’impasse. Sellon Axios, le directeur de la CIA, Bill Burns, aurait proposé un cessez-le-feu temporaire en échange de la libération de quelques otages, mais les divergences sur les conditions de ce cessez-le-feu bloquent toute avancée. Israël refuse catégoriquement l’idée de l’arrêt de son offensive, qu’il serait plus juste de qualifier de «génocide». Amel Blidi
MSF indigné par les meurtres de son personnel
L’organisation Médecins sans frontières (MSF) a exprimé son indignation pour les meurtres répétés de son personnel commis par l’armée sioniste à Ghaza, et appelé à un arrêt immédiat des attaques
contre le personnel médical, les travailleurs humanitaires et les civils. L’ONG a indiqué, dans un communiqué publié lundi, que les forces sionistes «ont tué Hasan Suboh dans la nuit du 24 octobre, après qu’une frappe aérienne a touché la maison de son proche, où il séjournait à Khan Younès, dans le nord de Ghaza». Selon le ministère de la Santé, cette attaque a touché plusieurs maisons et tué 38 personnes, dont 14 enfants et quatre membres de la famille de Hasan. Cette attaque intervient «seulement deux semaines après l’assassinat de notre collègue Nasser Hamdi Abdelatif Al Shalfouh, le 10 octobre, qui a été blessé par des éclats d’obus suite aux attaques incessantes sionistes à Jabaliya, dans le nord de Ghaza. Huit membres de MSF ont été tués à Ghaza depuis le début de la guerre», selon l’ONG. MSF a exprimé son indignation et dénoncé ces meurtres «avec la plus grande fermeté» et s’est dit «révolté» par le fait qu’en plus d’un an de guerre, l’entité sioniste continue d’agir en toute impunité. Les attaques directes répétées de l’entité sioniste, qui ne font aucune distinction entre les objectifs militaires et les civils, «doivent faire l’objet d’une enquête indépendante».