Algérie-France : Gestes et messages du «60e»

12/07/2022 mis à jour: 19:01
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Photo : D. R.

La célébration du 60e anniversaire de l’indépendance aura été l’occasion d’un nouveau rapprochement entre Alger et Paris. Le président de la République a reçu ainsi l’historien Benjamin Stora. Et dans un «message d’amitié et de solidarité», Emmanuel Macron a annoncé qu’il sera «heureux de venir en Algérie prochainement».

Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a reçu il y a quelques jours l’historien Benjamin Stora, à l’occasion de la célébration du 60e anniversaire de l’indépendance. L’historien a remis, au cours de cet entretien, au chef de l’Etat «un message écrit du président français, Emmanuel Macron», indique un communiqué de la Présidence diffusé le 6 juillet. Mais l’audience a eu lieu deux jours avant, soit le lundi 4 juillet, rapporte l’AFP.

L’entretien qui a réuni les deux hommes comporte forcément une dimension mémorielle et symbolique, dans la mesure où il est question de l’auteur du fameux «Rapport Stora», qui a suscité de vives réactions. Benjamin Stora avait, rappelle-t-on, été chargé par Emmanuel Macron en juillet 2020 d'une mission sur «la mémoire de la colonisation et de la Guerre d'Algérie».

En janvier 2021, M. Stora a remis son rapport. Le document avait aussitôt soulevé une tempête de commentaires, mais en Algérie, sa publication n’avait donné lieu à aucune réaction officielle. «C’est la première fois qu’il y avait une discussion au fond», s’est félicité Benjamin Stora dans une déclaration à l’AFP suite à son entretien avec le président Tebboune.

Comprendre : sur les questions mémorielles «depuis la publication du rapport», précise l’AFP (dépêche du 10 juillet). «Je pense qu’il y a une volonté de relancer, je ne sais pas si c’est le mot, mais de poursuivre un dialogue», glisse Benjamin Stora, relevant un «changement de ton» dans les relations entre Alger et Paris.

«Travail de mémoire sur toute la période de la colonisation»

D’après l’historien, M. Tebboune a mis l’accent, au cours de cette audience, sur «l’importance majeure d’un travail de mémoire sur toute la période de la colonisation», soit un travail qui aille au-delà de la seule période de la Guerre de Libération nationale. Stora est du même avis. «La guerre de conquête a été très longue et très meurtrière. Elle a duré pratiquement un demi-siècle, de 1830 à 1871», souligne l’auteur de Messali Hadj : pionnier du nationalisme algérien.

La violation du territoire algérien s’est vite muée, insiste-t-il, en une entreprise de «dépossession foncière et identitaire» ; «lorsque les gens perdaient leur terre, ils perdaient leur nom», appuie-t-il.

Il a rappelé également que l’Algérie a subi une «colonie de peuplement». Cela se traduira démographiquement par une population coloniale qui atteindra plus d’un million d’Européens sur neuf millions d’habitants au cours des années 1950. Et ce sont toutes ces violences qui «expliquent la difficulté des relations franco-algériennes». «Les gens ne connaissent pas ce qu’il s’est passé. C’est le problème de la transmission aux jeunes générations et du travail en commun», estime l’auteur de La gangrène et l’oubli.

Benjamin Stora fera remarquer par ailleurs : «En Algérie, l’accent a été mis essentiellement sur la Guerre de Libération nationale. Il y a eu en France comme en Algérie une polarisation extrême sur l’unique séquence de la guerre et même de la fin de la guerre, les années 1960 à 1962.» «On s’est tous focalisés sur 1962, des Accords d’Evian, en mars, à l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet», observe-t-il. Mais «on ne peut pas rester prisonnier d’une seule date, 1962. Il faut élargir le champ de réflexion», préconise l’historien.

Dans une lettre adressée par le président français à M. Tebboune à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance, Emmanuel Macron a appelé au «renforcement des liens déjà forts» entre l’Algérie et la France, d’après un communiqué de l’Elysée daté du 4 juillet.

«L’anniversaire des 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 2022, est l’occasion pour le président de la République d’adresser, par une lettre au président Tebboune, ses vœux au peuple algérien et de dire son souhait que se poursuive le renforcement des liens déjà forts entre la France et l’Algérie», indique la Présidence française.

«Il y réitère, en outre, son engagement à poursuivre sa démarche de reconnaissance de la vérité et de réconciliation des mémoires des peuples algérien et français», ajoute la même source.

Macron : «Je serai heureux de venir en Algérie prochainement»

Le 7 juillet, la présidence de la République algérienne a fait savoir de son côté que Abdelmadjid Tebboune a reçu un «message de félicitations de la part du président de la République française, Emmanuel Macron, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance».

Dans ce message, Macron écrit : «Monsieur le Président et cher ami, en ce cinq juillet 2022, où l’Algérie commémore le 60e anniversaire de son indépendance, je suis heureux d’adresser un message d’amitié et de solidarité, en mon nom personnel et au nom de la France, à vous-même, à l’Algérie et au peuple algérien, accompagné de mes vœux les plus sincères pour votre pays.»

Et le président français d’annoncer : «En réponse à votre invitation, je serai heureux de venir en Algérie prochainement pour lancer ensemble ce nouvel agenda bilatéral, construit en confiance et dans le respect mutuel de nos souverainetés. Je souhaite que nous puissions y travailler dès maintenant pour appuyer cette ambition sur des fondations solides et l’inscrire dans un calendrier partagé.»

Dans son message de félicitations adressé à Emmanuel Macron au lendemain de sa réélection le 24 avril dernier, le président Tebboune avait lancé, en effet, une invitation à son homologue français. «Je joins, écrivait-il, à ce message de vœux et de félicitations, l’expression de mon plaisir à vous accueillir prochainement en Algérie.» Autant de petits gestes et de messages qui concourent au réchauffement des relations entre Alger et Paris après la grosse crise de l’automne 2021, suscitée par une sortie polémique de Macron qui était allé jusqu’à mettre en doute l’existence même de la nation algérienne avant la colonisation française.

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