Akli Hamouni est mort : «Les journalistes ne sont pas une espèce protégée»

24/11/2023 mis à jour: 12:03
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Le Jardin de Dieu est vaste, innombrables sont ses forêts, incalculables leurs arbres d’une infinie variété. Il en est qui s’abattent, et d’autres qu’on abat. Ils meurent et ressuscitent dans un cycle perpétuel comme une noria ininterruptible. Il en est ainsi de toutes les créatures qui se croisent dans ce mouvement céleste. 

Mais pourtant cette généralité cosmique n’altère aucunement le caractère unique, rare et fragile à la fois, des individus et chacun porte sa singularité. Son irremplaçabilité. Mon ami, que dis-je, mon frère Akli Hamouni est mort. 

C’est une grande âme qui s’est élevée, hier après-midi, vers le ciel. Tu m’avais dit un jour : «Pourquoi les journalistes ne sont-ils pas une espèce protégée ?»

La maladie, mauvaise et implacable, laide et lâche, parce qu’elle s’attaque à nous quand nos corps se voûtent, quand nos organes entament leur dépérissement fatal, mais pas que, hélas… Le mal, vil et veule qu’il est, a eu raison de sa courageuse résilience, mais pas de la ténacité de son épouse et de ses enfants qui l’ont accompagné, comme il se doit, sans faillir, jusqu’au Moment de Vérité. Dans nos longues discussions d’avant nos bobos gérontiques, nous parlions de tout cela avec toute l’impudence que permet l’immaturité. 

Mais je crois que je n’ai jamais été terrifié par la maladie, autant que je l’ai été quand j’ai vu les dégâts qu’elle a causés sur mon ami. Non que celle-ci fût particulièrement plus virulente ou plus pernicieuse. La maladie est une, ses symptômes et ses développements sont analogues sur tout être ou tout animal. Mon effroi venait du fait qu’elle affligeait Akli, qu’elle l’affectait d’une mutité qui le plaçait dans l’impossibilité de me parler et de dire ses souffrances. Ou nous permettre par la parole d’appliquer quelques onguents sur nos souvenirs. Les évoquer pour conjurer le temps inexorable qui trace des rides profondes dans nos mémoires.

Parler de cette nuit blanche que nous avions passée à attendre de nous rendre pour interviewer l’Ayatollah Rafsandjani, alors président du Madjliss de la République islamique d’Iran, qui nous avait fixé rendez-vous, «ba3d Salat el Fadjr» (après la prière de l’aube). Une fois sur place et dans un drôle d’état, et heureusement que son responsable du protocole avait reporté l’entretien «après la prière d’el maghreb».
 

Les fous rires de nos reportages à travers le pays avec nos amis et confrères, du temps des «Wilayas à la loupe». Nos descentes vers les camps de réfugiés des frères sahraouis dans la région de Tindouf, Et ce jour où le photographe Ali Boukhenoufa et toi, en reportage dans les zones de combat, avec les guérilleros de l’ALPS, vous aviez essuyé quatre raids de l’aviation marocaine, du côté de Bir Lahlou, si ma mémoire est bonne. Cette fois-là «j’ai eu chaud à en avaler ma cigarette», m’avais-tu dit et tu avais ajouté : «Leurs pilotes ne savent pas piloter et tirer à la fois.» 

Et tes aventures à N'Djamena, à Harare, New Delhi et les dizaines d’autres grands reportages ou couvertures d’événements où je ne sais quel «Jonas» t’accompagnait pour avoir toujours de «bien bonnes» à nous raconter, au retour. Nous aurions également parlé des souvenirs que nous avaient laissés les grandes mobilisations de la rédaction d’El Moudjahid d’avril 1980, les AG du MJA…

Mais laissons là les choses du métier, les collections des journaux où tu as laissé ta signature peuvent se passer de mes éloges. Ton indiscutable talent sans platonisme réducteur ni généralisation abusive a donné à la profession une eau forte, comme une gravure, que ceux qui t’ont connu, que ceux qui t’ont lu ou te liront recevront pour Héritage.
 

Boukhalfa Amazit

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