Aïcha Bennour, La Négresse : Mots blancs, maux noirs

16/01/2025 mis à jour: 21:41
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El Zindjia»  (La Négresse) est le  cinquième roman en arabe de l'écrivaine algérienne Aïcha Bennour,  paru récemment dans sa version française.  Elle nous narre dans un style limpide et aiguisé les affres endurées par les migrants subsahariens dans leur quête d’un hypothétique eldorado septentrional, un havre de paix et de pain caressé depuis le point de départ, avant le désenchantement engendré par des passeurs véreux qui exploitent la faiblesse des âmes accablées pour s’enrichir sans aucun gage de réussite de l’aventure clandestine. La romancière s’est focalisée sur la gent féminine à la peau noire qui porte le lourd fardeau de la paupérisation et du déracinement.  

Paradoxalement,  le personnage principal Blanca (blanc, en espagnol) véhicule une connotation antinomique,  une ruse psychologique pour aspirer à s’émanciper et s’extirper de l’asservissement sociétal et patriarcal,  dénotant de la complexité du dilemme dominant/dominé.   

Originaire d’Arlit, une ville  minière et aurifère d’Agadez au nord du Niger, Blanca trimbale une triple douleur,  source de stigmatisation irrémédiablement insurmontable : la négritude de naissance,  l’excision des fillettes et la migration périlleuse. Blanca,  l’amoureuse des poèmes de Léopold Senghor,  suit son mari Friqui à destination de l’Algérie,  en compagnie d’autres candidats malheureux en loques,  qui rêvent dans un second temps de traverser la Méditerranée non sans courir le risque d’y périr à bord de felouques de fortune.  L’héroïne Blanca entame son récit acéré sans détour :  «J’avais quinze ans. Et tout s’ébranla justement à partir de là. Dans mon village nigérien la nature était inhospitalière. Pourtant, c’est dans cet endroit que mes traits se sont intimement attachés à des choses plus cruelles et plus affligeantes. Il est des choses que l’on ne peut oublier ou effacer. Ce dont je me souviens avec beaucoup d’amour et d’amertume est cette belle citation de Senghor :''Je suis noire de peau, je suis donc belle.'' Lorsque je souffre, je la ressasse assez orgueilleusement.» 


«Non-dits»

Sans tomber dans le panafricanisme,  ce beau roman aborde à fleur de «peau»  les non-dits,  la marginalisation des strates sociales défavorisées malgré elles et les questions existentielles et identitaires en proie à de multiples mutilations et de guerres tribales d’essence ethnique.  

Cet espace nigérien jonché de nombreux tabous n’est qu’un échantillon représentatif de tous les espaces des sociétés africaines où l’excision de la femme reflète l’une des facettes les plus sombres de la rétrogradation chronique.  

Dans la préface arabe, le critique littéraire soudanais Azzedine Mirgheni, écrit : «La romancière Bennour a consacré une grande partie de son récit au phénomène transfrontalier de l’immigration clandestine, avec ses affres et son lot de douleurs, depuis la germination de l’idée jusqu’aux moyens dérisoires mis en œuvre pour concrétiser un projet aussi périlleux qu’incertain. Ainsi, le roman se construit à double voix s’alternant au fil des événements où les différents personnages ont voix au chapitre, d’où la richesse et la diversité de sa langue narrative. 

Le verbe ciselé à point anime la phrase, suit la cadence de l’action, puis peint l’état psychique d’un personnage donné dans une langue lyrique envoûtante et appréciable pour le lecteur qui s’en délectera. Ce roman est une plus-value pour la littérature arabe et africaine.»  Primée de différents prix littéraires,  honorée par le président de la République  le 8 mars 2024, Aïcha Bennour a déjà publié quatre romans bien accueillis par la critique littéraire et les universitaires : Le bruit et l’écho, Confessions d’une femme,  Femmes vivant l’enfer et Chute du prince charmant. 

Comme elle a publié plusieurs  nouvelles et des essais érudits dont La femme algérienne durant la guerre de libération  et Lectures psychologiques de romans et de nouvelles arabes. El Zindjia  est édité en Algérie («Dar Khayal»),  en Arabie Saoudite («Dar Riyada»),  et dans sa version française soutenue par le ministère de la Culture par l'éditeur émirati «Joussour.»

Par Belkacem Meghzouchene  , Correspondance particulière

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