Ahmed Benfares. Pharmacien d’officine et président de la section officine à la Fédération algérienne de pharmacie : «La réalisation de la sécurité sanitaire dans notre pays ne relève pas de l’impossible»

08/04/2024 mis à jour: 04:00
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Photo : D. R.

Le ministre a indiqué que d’ici la fin de l’année, 50% des besoins en vaccins seront fabriqués localement. Quel est votre avis au sujet de cette décision ?

L’Algérie est un pays qui vaccine beaucoup. Nous possédons un des meilleurs programmes de vaccination au monde. La quasi-totalité pour ne pas dire la totalité des enfants sont vaccinés dès la naissance et poursuivent un programme de vaccination jusqu’à l’adolescence.

Ceci étant notre demande en vaccins est très importante et presque entièrement dépendante de l’importation et de ses aléas. Une telle décision ne peut que réjouir puisqu’elle nous libèrera en partie de la dépendance de l’importation et de ses incertitudes.

Je pense que notre pays devait atteindre cette étape un jour dans son développement dans la fabrication des médicaments et autres produits biologiques, c’est sans doute le moment au vu de l’importance accordée par les pouvoirs publics à ce secteur, au vu du chemin parcouru par notre industrie pharmaceutique et au vu de la conjoncture internationale.

Un vaccin contre la grippe sera produit localement. Un commentaire ?

Lors de sa récente visite à l’Institut Pasteur d’Algérie, le ministre de la Santé a annoncé la prochaine signature d’un accord de partenariat entre l’Institut Pasteur d’Algérie et l’entreprise Saidal pour la fabrication de vaccins, à commencer par l’antigrippal qui sera livré en juillet 2024.

Encore une initiative à applaudir puisqu’elle œuvre à notre indépendance dans ce secteur qu’il faut aussi sécuriser. Il est bon de savoir que l’IPA fabrique depuis longtemps quelques vaccins et qu’il possède un savoir-faire en la matière, Le partenariat entre les deux entreprises mutualisera les moyens et les compétences.

La fabrication progressive des vaccins en Algérie en plus d’assurer des économies en devises va valoriser les compétences nationales par la confiance qui leur sera faite en leur confiant la réalisation de ces projets de haute technologie. L’Algérie dispose d’un grand potentiel humain sous utilisé. Ces cadres formés en Algérie font le bonheur d’autres pays.

Pensez-vous qu’on pourrait par la suite les exporter et en tirer des bénéfices ?

En ce qui concerne les vaccins, il ne serait pas rentable de fabriquer uniquement pour la consommation nationale. Investir de nouveaux marchés est indispensable à la viabilité de ces entreprises de fabrication.

L’Algérie possède des atouts remarquables, essentiellement dans ses cadres universitaires, ses infrastructures et son énergie, il faudra les mettre en valeur pour être concurrentiel sur les marchés africains et pourquoi pas sur la zone MENA et même sur l’Europe.

Concrètement, avons-nous les moyens ainsi que les capacités pour produire localement 50% des vaccins ?

Si le ministre de la Santé a fait cette déclaration, c’est qu’il a pris connaissance des capacités de l’entreprise Saidal couplée à l’Institut Pasteur et de leurs potentiels à l’extension. Lancée à la manière d’un défi, je suppose qu’il est disposé à mettre tous les moyens humains, matériels et règlementaires pour parvenir à ce résultat.

Je ne suis pas un acteur de ce secteur pour répondre avec précision à cette question mais étant dans sa périphérie je sais que l’Institut Pasteur a une longue expertise dans la fabrication des produits biologiques, qu’il dispose d’une élite scientifique de très haut niveau et d’un personnel compètent en la matière.

Je sais aussi que Saidal possède une longue pratique dans le secteur de l’industrie pharmaceutique et qu’elle dispose d’une unité spécialisée dans la production des vaccins inaugurée lors de la pandémie de la Covid-19.

Les infrastructures existent, les moyens matériels sont présents, les moyens humains existent aussi, reste donc à élaborer les stratégies les plus judicieuses en matière d’exploitation de ces moyens et d’établir les partenariats les plus profitables à notre développement dans le secteur pour parvenir à couvrir nos besoins au plus haut niveau.

Que gagnera-t-on à concrétiser cette décision ?

La crise de la Covid-19 a été pleine d’enseignements en matière de stratégie des approvisionnements en produits pharmaceutiques, en vaccins et en matériel médical.

En effet, la délocalisation massive des industries pharmaceutiques, de produits biologiques et de la production des matières premières vers les pays asiatiques pour des raisons économiques et financières a rendu le monde entier dépendant de ces pays, ceci a été considérée comme une grande erreur stratégique, puisque la quasi-totalité des pays du monde s’est retrouvée confrontée à des pénuries en produits de première nécessité ; les pays producteurs ayant donné la priorité à la couverture de leurs propres besoins ont cessé d’exporter leurs production.

Produire ses médicaments et ses vaccins n’est plus un luxe mais une nécessité stratégique indispensable à l’indépendance d’un pays au même titre que la suffisance alimentaire et énergétique. Ainsi, en plus de réaliser des économies non négligeables en devises, fabriquer ses produits de santé relève de la souveraineté nationale.

Mieux encore, il serait plus intéressant de produire les matières premières pour mieux assoir l’indépendance sanitaire du pays. Nous possédons tous les moyens humains et techniques pour le faire.

Selon vous, est-il réellement possible d’atteindre la sécurité sanitaire, comme l'affirme le ministre ?

La sécurité sanitaire est une notion très large qui englobe de nombreux paramètres. En fait, celle-ci a un caractère pluridisciplinaire et mobilise plusieurs secteurs. Pour ce qui est du secteur de la santé, l’expression «sécurité sanitaire» fait référence à toutes les politiques destinées à réduire les risques thérapeutiques pour les personnes.

Ces risques sont initialement liés aux choix thérapeutiques, aux actes de prévention, de diagnostic, de soins ainsi qu’à l’usage des biens et des produits de santé, mais la notion s’est progressivement étendue et elle concerne aujourd’hui également les questions sociales au sens large (conditions de travail, environnement, etc.).

Partant de cette définition et s’intéressant aux médicaments et aux vaccins, il est vrai qu’il est plus aisé de contrôler les produits fabriqués chez nous en matière de disponibilité et de qualité tant sur le plan des procédés de fabrication que sur le plan de l’innocuité et de l’efficacité.

Toute la raison d’être d’une politique de santé réside dans l’atteinte de cet objectif. L’Etat s’est même doté d’une agence nationale de la sécurité sanitaire. Ma profonde conviction et ma connaissance du secteur de la santé après de nombreuses années d’exercice m’autorisent à dire que la réalisation de la sécurité sanitaire dans notre pays ne relève pas de l’impossible.

Les moyens humains existent largement en nombre et en compétence, les structures de santé, même si nécessitant un renforcement, existent, les moyens financiers mis en place par l’Etat existent aussi, les orientations des plus hautes instances du pays sont en faveur d’une politique de santé en mesure de satisfaire et de protéger le citoyen.

L’essentiel des ingrédients pour parvenir à cette sécurité sanitaire est donc présent, reste alors à organiser avec les méthodes les plus modernes, les plus efficientes et les plus courageuses aussi, la stratégie la plus efficace pour obtenir une prise en charge idéale des citoyens dans ce domaine.
 

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