Affaire de l’assassinat de l’opposant politique tunisien Chokri Belaïd : Des dirigeants d’Ennahdha suspectés d’avoir planifié le crime

06/04/2024 mis à jour: 02:41
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Les membres du Comité de défense des martyrs Belaïd et Brahmi disent avoir des preuves de l’implication de dirigeants d’Ennahdha dans l’assassinat du militant politique Chokri Belaid

Le bâtonnier de l’Ordre national des avocats tunisiens (ONAT), Me Hatem Meziou, a annoncé le 2 avril que l’ONAT a fait appel du jugement en première instance, prononcé le 27 mars dernier par la justice tunisienne, dans l’affaire de l’assassinat du martyr Chokri Belaïd, commis le 6 février 2013. L’annonce a été faite par Me Meziou lors d’une conférence de presse organisée par le Comité de défense des martyrs Belaïd et Brahmi, que le bâtonnier a tenu à remercier. Ce fut une occasion pour ledit comité pour s’étendre sur les affaires en cours, en liaison avec l’assassinat de Chokri Belaïd. 


Ainsi, Me Kouthair Bouallègue a tenu à riposter au communiqué du Mouvement islamiste Ennahdha, publié quelques heures après l’annonce du jugement, disant que «l’affaire est close… Leur mouvement Ennahdha est innocent… La Tunisie a besoin de réconciliation nationale». L’avocat a qualifié le communiqué de «tentative de manipulation de l’opinion publique, en essayant de leur faire croire que l’affaire a été clôturée par la justice». Me Bouallègue a insisté sur le fait que «le jugement prononcé par la justice ne concerne que le volet d’exécution de l’assassinat». Il a précisé que «le Mouvement Ennahdha et ses avocats savent très bien que la Cour n’a pas la latitude d’élargir la liste d’accusés transmise par l’instruction». 


Abordant les autres volets des affaires liées à l’assassinat de Chokri Belaïd, Me Bouallègue a assuré que «les interrogatoires des exécutants du crime, réalisés dans un isoloir ou en dehors de l’audience, ont révélé que des dirigeants d’Ennahdha et des membres de l’appareil secret du parti, ont joué un rôle dans les assassinats de Chokri Belaïd, le 6 février 2013 et Mohamed Brahmi, le 25 Juillet 2013». 

Concernant la planification du crime, l’avocat a cité cinq noms de membres d’Ennahdha, impliqués dans cette phase de l’assassinat, dont l’affaire sera traitée par la justice le 30 avril. L’un d’eux, Tahar Boubahri, était même attaché de cabinet auprès d’Ali Laâreyedh, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur en 2012/2013. Boubahri est également soupçonné de faire partie de l’appareil sécuritaire secret du Mouvement Ennahdha. Il en serait même l’un des dirigeants, toujours selon les propos du comité de défense. Pour la phase post-assassinat et tout ce qu’il a entachée comme dissimulation ou disparition de documents, circulation de PV d’audition de terroristes, etc. L’examen de l’affaire est encore en cours, selon Me Bouallègue. L’autre membre du comité de défense, Me Sami Ben Ghazi, a attiré l’attention sur le fait que lorsqu’il a été arrêté, Mohamed Aouadi était en possession de copies des auditions des terroristes arrêtés avant lui. 


Noyautage

C’est l’un des terroristes, impliqués dans les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Il a été par ailleurs condamné à mort par pendaison et 105 années de prison dans la récente sentence du 27 mars. «Pareille fuite de documents, en phase d’instruction, indique clairement des lacunes dans les structures de l’appareil judiciaire qu’il a fallu combattre pour parvenir là où nous sommes aujourd’hui», a commenté l’avocat, avant d’ajouter : «L’affaire n’a été entamée sur le plan judiciaire que le 30 juin 2015 et il a fallu 48 audiences pour parvenir à un jugement en première instance le 27 mars ; les auditions des accusés ont révélé des implications de dirigeants d’Ennahdha dans les assassinats, qui seront traitées dans d’autres affaires.»


Me Benghazi a également expliqué comment «l’interrogatoire du dénommé Aouadi (cité plus haut) a révélé qu’il était le second du groupe terroriste Ansar Al-Charia, après leur chef Abou Iyadh. 


Il a déjà fait de la prison en Tunisie où il a rencontré des dirigeants d’Ennahdha, dont Habib Ellouz et Sadok Chourou. Il a rencontré Kamel Gadhgadhi, l’exécutant du martyr Chokri Belaïd, dans une salle de sport à Tunis». Par ailleurs, Me Benghazi a révélé que «l’autre terroriste appartenant à Ansar Chariaâ, Mohamed Akkari, condamné à mort et ayant écopé de 120 années de prison, a reconnu avoir recruté d’autres terroristes, pour suivre les agissements de personnalités publiques démocratiques en vue de les assassiner». 

La liste des cibles comprend l’activiste feu Lina Ben Mheni, le journaliste Soufiane Ben Farhat et le secrétaire général du parti Nidaa Tounes, Taïeb Baccouche. Le dénommé Akkari a reconnu tous les faits lors de son audition. Il avait purgé dans le passé des peines de prison en Irak à la prison Abou Gharib et en Tunisie. Il a également reconnu avoir reçu plus de 20 000 dollars de la branche yéménite d’Al Qaïda dans le but de structurer et d’organiser militairement Ansar Al Charia. Le terroriste Akkari a reconnu avoir suivi de l’entraînement militaire en Libye où il a rencontré Abubakr Elhakim, l’exécutant direct du martyr Mohamed Brahmi.


Me Benghazi a expliqué que les aveux des terroristes Akkari et Aouadi ont détaillé les liens entre les divers échelons de terroristes, les dirigeants et les exécutants, ainsi que les protections dont ils bénéficient pour ‘obtenir les PV des auditions des terroristes arrêtés, voire même la disparition de certains documents compromettants. 
Les diverses révélations ont permis, toujours selon Me Benghazi, de dresser une liste de 35 suspects, pour l’affaire concernant la phase post-assassinat, dont le président d’Ennahdha Rached Ghannouchi et son conseiller sécuritaire, des attachés de cabinet auprès de la présidence du gouvernement, des ministères de l’Intérieur, de la Justice et de l’Enseignement supérieur. 

L’historique des échanges téléphoniques a par ailleurs montré des contacts avec l’ancien procureur de la République, Béchir El Akremi et l’ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur, Soufiane Selliti, selon le membre du comité de défense des martyrs Belaïd et Brahmi. L’instruction de cette 3e affaire est en cours, selon Me Benghazi qui a conclu en affirmant que «la condamnation en première instance des exécutant n’est que le début de la reddition des comptes dans le crime de l’assassinat de Chokri Belaïd». 

 

Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami 
 

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