Joe Biden surprend son monde et lance les paris dans un registre pour le moins inattendu. A moins d’une année de l’élection pour la présidence américaine, prévue le 5 novembre 2024, le candidat démocrate à sa propre succession a tenu, mardi dernier, des propos qui laissent perplexes partisans et adversaires.
«Si Trump n’était pas candidat, je ne suis pas sûr que je me présenterais», a-t-il lâché devant une assemblée de donateurs engagés d’ores et déjà derrière sa candidature. Le plus vieux président américain en exercice de tous les temps, 81 ans aujourd’hui, est loin d’afficher, il est vrai, la forme physique d’un conquérant, comme aime à en avoir la politique américaine. Les séquences de ses moments de faiblesse, lors de cérémonies et événements publics, n’ont pas manqué durant les deux dernières années de son règne, et mettent dans l’embarras toute l’administration qu’il dirige. Cette vulnérabilité est d’ailleurs exploitée par son adversaire direct dans onze mois, Donald Trump, sauf retournement inattendu de situation.
Dans le style abrupt qui caractérise le personnage, le républicain n’hésite pas à railler l’actuel Président et à parodier ses titubations et ses moments de confusion d’octogénaire perdant pathétiquement le fil des événements. Le constat n’est pas fait seulement par le caustique rival Trump, mais par l’ensemble stratifié de l’électorat qui doit trancher le 5 novembre prochain. Le propos de Biden mardi dernier s’adresse sans doute à eux, pour à la fois reconnaître ses difficultés et les assumer et faire de son engagement un sacrifice qui vaut la peine devant le danger que représenterait pour le pays un retour de Donald Trump aux affaires. «Nous ne devons pas le laisser gagner», a-t-il poursuivi.
N’ayant pas pu dégager une alternative pour le rendez-vous électoral, le camp démocrate a dû s’aligner sur l’actuel Président et agréer sa candidature annoncée en avril dernier, malgré de sérieux handicaps de popularité, à l’époque déjà. Les sondages à mi-mandat ne lui attribuaient que 44% d’avis favorables dans la société américaine, un score en deçà de la moyenne de ses prédécesseurs, alors que dans le courant démocrate, l’on s’est résigné à le reconduire à plus de 80% des intentions.
Entre temps, il y a eu la guerre de Ghaza et le nouveau contexte de tension explosive au Moyen-Orient. Tous les indicateurs attestent que l’administration Biden, pour son engagement non nuancé au côté de la politique de Tel-Aviv, a perdu des plumes dans l’affaire.
Ghaza brouille les cartes
La contestation des prises de position ouvertement pro-israélienne est surtout montée du courant démocrate, sociologiquement plus jeune, plus progressiste et beaucoup moins porté sur les idées de droite que le rival républicain. Selon un sondage d’Associated Press, publié le 10 novembre dernier, 46% des démocrates désapprouvent la manière avec laquelle le président américain a géré le conflit.
Les manifestations condamnant les massacres de civils à Ghaza qu’ont connues plusieurs villes américaines sont le fait de cette jeunesse pour laquelle il est hors de question de donner une chance au retour d’un Trump aux affaires, mais qui voudrait voir néanmoins les «grands électeurs» démocrates prendre en charge un rappel à l’ordre de Biden lors du moment électoral.
En se résignant à s’afficher comme une candidature, certes, loin d’être idéale, mais nécessaire pour barrer la route au danger Trump, l’actuel Président fait le pari de redresser les tendances dans les sondages sur ce point précis, en accompagnant la posture d’un discours remanié sur l’attitude du gouvernement Netanyahu et le mode d’action de son armée à Ghaza.En face, Donald Trump est bien décidé à reconduire sa politique franchement pro-israélienne.
L’ancien président américain ne s’est pas compliqué l’existence sur le dossier durant son mandat en confiant la tâche de matérialiser sa vision à son gendre Jared Kuchner. Celui-ci est connu pour sa proximité active avec Tel-Aviv à travers des participations à des collectes de fonds au profit de l’armée israélienne.
Le gendre est également connu pour son activisme au profit d’organisation d’extrême droite, opposé au processus de paix au Moyen-Orient.
Un éléphant dans la porcelaine du Moyen-Orient
En 2020, une année avant la fin de son mandat à la Maison-Blanche, Trump avait réitéré les grandes lignes de son plan de «règlement» : essentiellement un partage territorial favorisant davantage les colons israéliens en Cisjordanie et validation de leur extension, souveraineté exclusive d’Israël et autonomie relative d’un proto-Etat palestinien. L’avant-goût de cette remise en cause tapageuse des Accords d’Oslo avait été le transfert, en 2018, de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à El Qods, précédée de la reconnaissance de celle-ci comme capitale d’Israël, dans un défi déclaré aux Résolutions de l’ONU.
Sur ce registre, les inquiétudes sur un retour de Donald Trump aux commandes de la Maison-Blanche ne concernent pas seulement les Américains, mais des pans entiers de la communauté internationale qui craint une radicalisation plus explosive des enjeux au Moyen-Orient.
L’autre péril, que constituerait un deuxième mandat à cet éléphant amateur des magasins de porcelaine, serait l’avenir de l’OTAN et l’issue de la guerre en Ukraine. L’Europe se tient en effet le ventre à la perspective de voir ses difficultés s’aggraver sur son flanc Est avec l’élection d’un président américain pas très convaincu d’une rivalité géostratégique existentielle avec Moscou et qui a déjà menacé, maintes fois, de claquer la porte de l’Organisation qui fait rempart à ses présumés «appétits impérialistes».
En se posant comme un pis-aller nécessaire pour faire barrage au chaos d’un autre mandat pour son très controversé adversaire, à un moment d’inflammabilité exceptionnelle dans les relations internationales, Joe Biden lance sa campagne pour novembre 2024, en tentant le pari risqué de faire de son âge avancé le gage d’un sacrifice personnel et le levain d’une potentielle empathie électorale.
Donald Trump, lui, est bien décidé à appuyer sur ce qui fait mal dans le camp de l’octogénaire, pour faire oublier ses bruyantes casseroles judiciaires et les sorties de pistes de son précédent mandat. «Make America great and glorious Again» (Rendons à l’Amérique sa grandeur et sa gloire) est son slogan de campagne.