77e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945 : Quand les archives débusquent un mensonge d’état

08/05/2022 mis à jour: 01:08
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Photos : D. R.

Il y a 77 ans, alors que la France fêtait la victoire des Alliés contre le nazisme, son armée massacrait, à Sétif, Guelma et Kherrata ainsi que d’autres villes, des milliers d’Algériens sortis manifester pour une Algérie libre et indépendante, un crime contre l’humanité qui reste toujours impuni. 

L’Algérie commémore, ce dimanche, la «Journée de la mémoire» en hommage aux victimes de la sanglante répression par la France coloniale de manifestants algériens réclamant leur droit à l’indépendance, le 8 mai 1945. 

En effet, les Algériens qui étaient entraînés dans le tumulte de la Seconde Guerre mondiale pour défendre la liberté de la France, aspiraient eux aussi à jouir de la liberté, mais ils ont dû faire face à une répression brutale et une violence inouïe, notamment à Sétif, Guelma et Kherrata où plus de 45 000 Algériens ont été massacrés. 

A Sétif, une marche pacifique organisée par des Algériens épris de liberté a été réprimée dans le sang.

La manifestation tourne au bain de sang quand le jeune Saâl Bouzid est assassiné par un commissaire de police pour avoir arboré le drapeau algérien. Le mouvement de protestation s’étend, par la suite, à Kherrata et Guelma notamment, où la répression sanglante s’est également généralisée et a touché tout le pays durant tout le mois de mai. Des douars entiers ont été décimés, des villages incendiés et des familles brûlées vives. 

Selon l’historien Jean-Pierre Peyroulou, «les opérations militaires dépassèrent la simple activité de répression. Il y eut donc, dans cette région, une véritable guerre contre des civils très faiblement armés qui dura jusqu’au 24 mai». Selon des historiens, la répression était aveugle, c’était un grand massacre. 

L’armée française et de nombreuses milices coloniales composées de civils d’origine européenne ont arrêté, torturé et exécuté sommairement des dizaines de milliers d’Algériens. D’ailleurs, l’éditeur et analyste politique, Nils Andersson, a appelé à «mettre fin au déni», notamment les massacres du 8 Mai 1945, estimant que 77 ans après, ces massacres «restent un déni qui recouvre également les huit ans de guerre menée par l’Algérie, indissociable du 8 Mai 1945».

Des décennies après, la plaie de Mai 1945 demeure béante. Inachevée, son autopsie révèle de nouveaux secrets. Elle identifie pour la première fois les auteurs de l’homicide. Elle démasque leurs acolytes n’ayant pas jugé utile de dénoncer, de dire la vérité. Le gouvernement du général de Gaulle craignait une réaction de l’opinion française de la métropole, le désaveu du monde libre et un passage au tribunal de Nuremberg.

Comme le crime n’est jamais parfait, l’ADN des justiciers sans mandat remonte à la surface. Surbookée en déni, l’histoire des «vainqueurs» est placée désormais au banc des accusés. Récit.

Situées à 180 km de Sétif, la ville de Guelma et les localités environnantes ont connu l’horreur. Mise en place en avril 1945, la «milice civique» créée et commandée par André Achiary, le sous-préfet, a, des semaines durant, tué et brulé en toute impunité. Les plaintes des familles des disparus ainsi que les rapports des services secrets anglais et américains brisent l’omerta. L’affaire indispose le gouvernement provisoire de Paris. Pour parer au plus pressé et étouffer le crime, il envoie le ministre de l’Intérieur, Adrien Tixier, en «enquêteur».

La nouvelle éclabousse les autorités civiles et militaires de Guelma et du département de Constantine. Les cadavres leur posaient problème. Pour faire d’un tel homicide, un crime parfait, il fallait procéder à un grand nettoyage des dépouilles, bien avant l’arrivée du ministre de l’Intérieur.

Ensevelis dans les charniers de Kef El Boumba, d’El Rihane (une localité située à quelques encablures de Guelma), les corps des victimes d’exécutions sommaires empoisonnent l’existence des tortionnaires. Sans état d’âme, ils décident de procéder au nettoyage des charniers. La seule solution matérielle était de les déterrer, de les transporter et de les brûler dans le four à chaux de l’entreprise de Lavie (un four situé à 2 km d’Heliopolis). Les miliciens disposaient de quinze jours jusqu’à l’arrivée de Tixier.

Le travail fut effectué par les cantonniers, les employés de la SIP et des ponts et chaussés (…). Yves Chataigneau envoie l’inspecteur Battistini accomplir une deuxieme enquête à Guelma. Il y arrive le 21 juin, en pleine période de disparition des corps. Il ne vit rien (…).

Dans son rapport, il absout les représentants des forces de l’ordre, n’évoque pas les charniers, donne raison à la milice et à Achiary et confirme le chiffre, de concert avec Achiary, de seize morts et aucune autre personne tuée (…). [1]

Après une visite à Sétif et Annaba, Andrien Tixier poursuit son voyage d’informations sur les tragiques épreuves de mai. Le mardi 26 juin, il se rend à Guelma, un des points névralgiques du cataclysme. En prenant la parole, Tixier met en garde : «Le gouvernement du général de Gaulle, que je représente ici aujourd’hui, est décidé à faire respecter en Afrique du Nord la souveraineté française, l’ordre et la paix, par tous les moyens s’il le faut.» [2]

L’expression «par tous les moyens s’il le faut» signifie la violence et la répression. Le gouvernement provisoire n’était pas disposé à céder un empan de l’Algérie française. L’enquêteur se rend par la suite à Lapaine et Petit, où il ne rencontre que les victimes européennes et quelques indigènes restés fidèles à la France.

Auparavant, le membre du gouvernement avait reçu successivement Achiary, le capitaine et l’adjudant de gendarmerie et enfin Garivet, Champ et Cheylan Gabriel, dirigeants de la garde civique. Le gouverneur général, Yves Chataigneau, Valleur, chargé de mission au gouvernement général, étaient présents à l’«interrogatoire» de 2h30. [3]

Les résultats de l’audition des concepteurs des «promenades» d’Alger et de Constantine (corvée de bois masquée sous couvert de promenade) restent au «chaud». En cachant la vérité, le représentant de la France a non seulement couvert une répression, en forme de massacres collectifs et d’exécutions extrajudiciaires, mais dispensé des auteurs d’homicides volontaires de toute poursuite judiciaire.

La démarche de Tixier mouille la France officielle. «A l’issue du ‘‘voyage d’informations’’, le ministre, qui ne s’est pas empêché de conforter le mensonge, prononce, le 29 juin, au micro de Radio France, un discours. Il expose les enseignements qu’il a tirés de son enquête, dénonce les vrais responsables des émeutes. Il affirme que la justice sera rendue.»[4]

Les propos du ministre ne dépasseront pas le stade des bonnes intentions car la justice ne sera en vérité jamais rendue aux victimes d’une répression dépassant largement le cadre d’opérations de maintien de l’ordre.

Pour saisir le dérapage de Tixier, craignant pour le prestige de la France et une réaction des Alliés, je vous invite à suivre l’interrogatoire pléthorique en informations inédites et effroyables à la fois.

«Tout d’abord, le ministre de l’Intérieur interroge le sous-préfet de Guelma sur la composition de la ‘‘garde civique’’.

Réponse de M. le sous-préfet : La garde se composait de 200 personnes.

Le ministre demande les armes dont disposait cette garde.

D’après le sous-préfet, l’armement se composait de 67 armes de guerre (fusils). Le reste fusils de chasse. Cette ‘‘garde civique’’ a rempli le rôle de troupes militaires jusqu’au 10 mai, date à laquelle deux automitrailleuses et 2 half-tracks sont arrivés.

Le 11, la garde civique a été relevée par 300 tirailleurs qui sont partis ensuite sur Constantine. Il est donc resté à Guelma une force composée de 10 automitrailleuses, sur laquelle il en a été prélevé deux qui ont été envoyées à Villars. Le sous-préfet de Guelma précise, d’autre part, que le 14 avril, à la sous-préfecture de Guelma, a été tenue une conférence à laquelle assistaient les autorités civiles et militaires. Cette conférence avait pour but de définir les mesures à prendre pour la défense de Guelma et de l’arrondissement.

Le ministre tient à faire préciser au sous-préfet de Guelma quel était le rôle de la garde.

Le sous-préfet de Guelma : La garde a rempli d’abord le rôle de troupes militaires, puis elle a été chargée d’assurer le service d’ordre, dès que les forces militaires nécessaires sont entrées en action.

Le ministre demande de lui préciser quelles ont été les arrestations faites dans Guelma.

Le sous-préfet répond : Le 8 mai, 9 dirigeants des Amis du Manifeste, sur ordre du sous-préfet de Guelma. Le 9 au matin, plusieurs arrestations ont été effectuées sur ordre du sous-préfet de Guelma et de la gendarmerie.

Le ministre : Quel chiffre ?

Le sous-préfet : Il est impossible de donner un chiffre exact. Ainsi que je l’ai précisé, les arrestations ont été effectuées sur mon ordre et sur les ordres de la gendarmerie.

M. Battestini donne un chiffre qui était le 9 de 120 détenus à la prison civile plus les détenus qui se trouvaient dans la cour de la gendarmerie, dont le chiffre ne peut être évalué d’une façon précise.

Le sous-préfet de Guelma précise qu’il n’a pu contrôler les arrestations après le 8.

Le ministre remarque : Il y a donc eu confusion dans les arrestations ?

Le sous-préfet de Guelma souligne qu’ils avaient à lutter à un contre cent. Que certains groupes d’émeutiers manœuvraient avec la même tactique que les troupes régulières et que pour obtenir plus de cohésion dans la défense et dans l’exécution des ordres, il avait installé son poste central chez le colonel.

Le ministre demande des précisions sur les exécutions préventives.

Le sous-préfet de Guelma précise qu’il a fait exécuter les neuf dirigeants des Amis du Manifeste arrêtés le 8, car ces détenus chantaient, en prison, des chants nationalistes et le sous-préfet a craint, un instant, que ces chants déclenchent un mouvement de sédition généralisé.

Le ministre pose la question suivante : Qui a effectué les exécutions ?

Le sous-préfet de Guelma répond : On ne peut pas donner les noms des exécuteurs.

Le ministre : A qui avez-vous donné l’ordre ?

Le sous-préfet de Guelma : Au commissaire de police et à plusieurs autres.

Le ministre : A qui ?

Le sous-préfet de Guelma : Plusieurs.

Le ministre : C’est grave. Je veux la vérité.

Le sous-préfet de Guelma : J’ai donné les ordres au commissaire de police, au commissaire de la sûreté, en présence de plusieurs civils.

Le ministre : Où se faisaient les exécutions ?

Le sous-préfet de Guelma : Sur la route de Settah.

Le ministre : Neuf plus d’autres !

Le sous-préfet de Guelma : Oui, d’autres à Villars.

Le ministre : Sur ordre de qui ? Par qui ?

Le sous-préfet de Guelma : Sept personnes prises les armes à la main, le 11 ou le 12. Le capitaine de gendarmerie donnait les ordres d’exécutions qui ont été réalisés par des colons de la région, en sa présence.

Le ministre plénipotentiaire, gouverneur général de l’Algérie communique, à ce moment, à M. le ministre de l’Intérieur, la déposition de M. Gervais. Après lecture de cette déposition, le ministre de l’Intérieur pose la question suivante : Quand la ‘‘garde’’ a-t-elle été dissoute ?

Le sous-préfet de Guelma : officiellement le 18 mai. Cependant, le 19, le Service cinématographique de l’armée m’a demandé de réunir la garde pour pouvoir prendre des photos. Ce que j’ai fait. Les éléments de la garde ont ensuite regagné leurs foyers.

Le ministre précise que la question des exécutions massives est une question très grave, qui dépasse Guelma, l’Algérie, puisqu’à Paris, Londres et Washington et en particulier dans ces deux dernières villes, elle fait l’objet d’évaluations manifestement exagérées.

On donne comme chiffre des exécutions sommaires de 150 et même 1000. Il y a plusieurs versions, dont la principale est celle où l’on prétend que des camions transportant 25 à 30 détenus quitteraient la prison civile deux ou trois fois par jour. Les exécutions auraient lieu en dehors de Guelma, exécutions faites par des civils. Ces exécutions auraient duré 10 ou 11 jours.

Le sous-préfet de Guelma nie farouchement.

Le ministre insiste à nouveau auprès du sous-préfet pour obtenir de lui une réponse aussi précise que possible : Maintenez-vous qu’il n’y a pas eu d’exécutions sommaires ?

Le sous-préfet de Guelma : Non, elles n’ont pas eu lieu.

Le ministre fait remarquer une fois de plus que la question est très grave, qu’il doit connaître toute la vérité. Il se retourne alors vers M. Battestini pour lui demander si son enquête apporte des précisions supplémentaires.

M. Battestini répond : Oui, 14.

Le ministre fait remarquer : Nous sommes alors très loin des chiffres publiés dans la presse qui vont de 150 à 1000 !

M. Battestini fait remarquer qu’il n’a obtenu, au cours de son enquête, absolument aucun témoignage relatif à ces exécutions. Il cite l’exemple de la famille de Reghi Abdallah, dont l’un des frères a été tué dans des circonstances non déterminées.

De plus, un autre frère et une de ses sœurs ont disparu. Ces deux personnes étaient incarcérées à la prison civile, incarcération qui n’avait eu lieu que dans un but de sécurité pour leurs personnes.

Cet exemple permet de supposer que certaines personnes considérées comme exécutées ne sont, en réalité, que disparues de leurs domiciles, disparitions qui se confirmeront ou s’infirmeront dans un certain temps.

Le ministre fait remarquer à nouveau que des attaques violentes sur le plan international prennent plus de force chaque jour. Il est prêt à faire décider par le gouvernement l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les exécutions sommaires, à condition, toutefois, que l’enquête ne révèle pas l’exactitude des chiffres donnés par la presse.

Cette enquête serait confiée à des magistrats et à des policiers métropolitains connaissant cependant l’Algérie ; mais il attire l’attention des personnalités présentes sur le point suivant  : Si au cours de cette enquête on découvrait des charniers contenant des corps portant la trace d’une exécution sommaire (balle dans la nuque), au point de vue international, nous aurions perdu la partie, et ceci serait très grave pour l’avenir.

Le sous-préfet de Guelma précise qu’il croit discerner, dans ces attaques, l’œuvre de M. Lakhdari qui, à son avis, est un personnage dangereux. D’ailleurs, il précise que les musulmans sont très montés contre lui.

Le ministre parle des Anglais et des Américains.

Le sous-préfet de Guelma précise qu’il croit savoir que M. Lakhdari serait en liaison étroite avec ces derniers.

M. Battestini fait remarquer à M. le ministre que même la découverte de charniers ne prouvera rien puisque, par exemple, à la suite d’un engagement, il y a eu une trentaine de tués en combat.

Le ministre pose la question directement à M. Battestini de savoir si on peut déclencher l’enquête et combien il croit qu’il y a eu d’exécutions sommaires.

M. Battestini est formel : De 15 à 20.

Le sous-préfet de Guelma fait remarquer que pendant huit jours, Guelma et les environs étaient en insurrection.  Le préfet de Constantine précise que le 13 mai, il y a vu dans les champs des cadavres de musulmans, cadavres de personnes ″non exécutées″ mais tuées en combat.

Le ministre plénipotentiaire, gouverneur général, demande au sous-préfet de Guelma jusqu’à quelle date les émeutiers sont restés dans le cimetière de cette localité. Le sous-préfet de Guelma donne comme date du 9 au 12 et signale que du 9 au 10 mai, le seul armement de la défense de Guelma était de 60 fusils et que l’attaque généralisée de la ville n’a pas eu lieu, par suite de l’exagération des renseignements fournis aux insurgés par les musulmans qui ont réussi à s’échapper de Guelma avant cette date. M. Battestini indique que l’effet des premières bombes tombées le 9 mai a été très salutaire.

Le ministre pose la question de savoir si l’enquête judiciaire doit être déclenchée oui ou non.

Le préfet de Constantine : Oui.

Le sous-préfet de Guelma : Oui.

M. Battestini : Oui.

L’adjudant-chef de gendarmerie Cante est convoqué. Il donne à M. le ministre son point de vue personnel sur le changement profond dans la mentalité des musulmans. Rentrant de France à Oran le 21 mars, l’adjudant-chef Cante s’est trouvé aux prises avec un sergent musulman, qui critiquait la France auprès de soldats français. Le 24 mars, il est arrivé à Guelma. Ensuite, il relate la manifestation du 1er Mai, où il y avait 2000 musulmans et où la gendarmerie n’a pas eu à intervenir.

Quant à la manifestation du 8 Mai, il donne comme nombre de manifestants 1500 et comme force de police 12 gendarmes qui ont réussi à maintenir les manifestants sans exaction de la part du service d’ordre, puisque sur les 1500 musulmans, il y a eu seulement un blessé grave, mort des suites de ses blessures, et quatre blessés légers.

Il précise, en outre, que le 10 mai, les émeutiers des environs de Guelma attendaient le mot d’ordre de l’intérieur de la ville. Interrogé sur les causes profondes de l’insurrection, il donne la précision suivante : Le 9 mai à 18h, au kilomètre 9 de la route (l’auteur de ce compte rendu n’a pas retenu le nom de la route), ils étaient 5 gendarmes contre 600 musulmans. Ayant fait demander par un gendarme musulman aux insurgés de se dispenser. Il lui a été répondu ″nous faisons la guerre sainte.

L’adjudant Cante fournit les renseignements ci-après sur la garde civique : Elle était composée des notables de la ville. Elle fonctionnait librement et assurait la relève des postes permanents.

Le ministre pose la question des exécutions sommaires à l’adjudant-chef Cante et à son chef, le capitaine de gendarmerie, présent dans la salle. Ces deux personnes répondent : Non, il n’y a eu aucune exécution sommaire. D’ailleurs, précise l’adjudant-chef, dans les jours qui suivirent l’émeute, 200 procès-verbaux d’arrestation ont été établis légalement.

Le ministre leur pose à nouveau la question de savoir si l’enquête judiciaire doit être menée sur les assertions relatives aux exécutions sommaires. Le capitaine et l’adjudant de gendarmerie répondent affirmativement.

Le ministre reçoit une délégation des associations et partis, composée de MM. Garrivet, Champ et Cheylan. Il leur parle de la question des exécutions sommaires et leur expose son point de vue sur les possibilités ouvertes par une enquête judiciaire ; il leur demande leur avis sur la nécessité de faire procéder à une telle enquête. Ce à quoi ils répondent tous affirmativement.  M. Battestini, revenant sur la question de la garde civique, tient à préciser que le secrétaire de la garde civique était un jeune scout musulman.

Le ministre pose la question suivante à M. Garrivet : Le comité de la garde civique a-t-il oui ou non ordonné des exécutions sommaires ?

M. Garrivet, visiblement gêné, déclare : Non.

Le ministre termine son enquête en posant la question aux trois délégués : Quel a été le rôle joué par le patron de la maison de tolérance de Guelma ? Les délégués répondent qu’ils ignorent complètement quelle a été sa responsabilité durant les jours d’émeute.

L’audience de Monsieur le ministre se termine à 10h55.» [5]

Pour préserver l’honneur de la France, Tixier n’a pas voulu voir. Il a refusé de rendre public l’interrogatoire des auteurs des homicides. A travers une telle posture, le gouvernement du général de Gaulle, qui savait tout, a protégé des criminels et cadenassé la vérité. Pis encore, des enquêteurs sont allés sur place, sans résultats. Puisqu’aucune instruction n’a été engagée contre les auteurs des enlèvements et des liquidations sommaires.

Pas disposé à connaître la vérité, le lobby colonial − le gouvernement général, la justice civile et militaire, les policiers en charge des enquêtes − a non seulement laissé traîner les affaires mais mis en avant l’absence d’éléments susceptibles d’inculper les mis en cause (les Européens) auditionnés. Les preuves des plaignants n’ont pas pesé lourd.

Si on n’a pas trouvé les corps de centaines de disparus c’est parce que le lobby colonial a tout entrepris pour faire barrage à la justice et mener en bateau  le ministre de l’intérieur. Impuissantes, les familles des disparus buttent sur une fin de non-recevoir.

Se heurtant à l’hostilité de leurs collègues et des colons impliqués, ne tenant pas à fournir la moindre information sur ce qui s’est passé dans les geôles de la police, de la gendarmerie et à la sortie de la ville de Guelma, les policiers scellent les dossiers transmis aux juges par une formule lapidaire : «Les recherches pour trouver trace du disparu sont restées infructueuses.» [6]

Alors que l’aveu de Frasier Arsène, gardien-chef de la prison civile, faisant état de 154 disparus, est irréfutable.  Entendu sur procès-verbal, Fraisier déclare : «Le 9 mai, on a incarcéré 9 détenus sur ordre du sous-préfet et on les a retirés le lendemain.

Pendant qu’ils étaient ici, ils chantaient, je sais plus quoi, en arabe… (Mine Djibalina). Le lendemain 10 mai, on m’en a amené 120. Parmi ces 120 individus, la plupart sont sortis par paquet : 51 le 14 mai, 11 le 18 mai, 34 le 22 mai, 14 le 23 et 14 le 24 mai... Du 8 au 31 mai, il est entré à la prison par mesure administrative 295 musulmans. Pendant la même période, il en est sorti, toujours par mesure administrative, 154… J’ignore ce que sont devenus ces individus.» [7]

La déposition du gardien de prison déconstruit la version et les allégations du ministre de l’Intérieur : «Le 14 mai, avec l’arrivée de la troupe, l’activité de la garde civique a été considérablement réduite…» [8]

Adrien Tixier, qui avait pris l’engagement, au nom du gouvernement du général de Gaulle, que la justice serait rendue à tous, n’a rien vu. Pis, il a failli, il s’est rendu coupable de rétention d’information et de complicité dans un crime frappé d’imprescriptibilité… 

Références :

[1] Jean-Louis –Peyroulou, Guelma 1945, une subversion française dans l’Algerie coloniale (P187)

[2] Dépêche de l’Est du mercredi 27 juin 1945

[3] Idem

[4] Dépêche de Constantine du samedi 
30 juin 1945

[5] Francine Dessaigne, La paix pour dix ans

[6] FR ANOM GGA 8CAB 142 et 166

[7] Redouane Ainad Tabet, 8 Mai 45, le génocide (p. 76)

[8] Adrien Tixier (Journal officiel du 18 juillet 1945)

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