63 ans après le massacre du 17 octobre 1961 : Une répression toujours en quête de vérité

17/10/2024 mis à jour: 06:34
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Photo : D. R.

La réticence à reconnaître pleinement le massacre comme un crime d'Etat témoigne d’un malaise persistant. La mémoire de la guerre d’indépendance continue d’être un sujet sensible en France, entre tentatives de réconciliation et fractures mémorielles.

Soixante-trois ans après le massacre du 17 Octobre 1961 à Paris, l’histoire de cette journée sanglante continue de faire écho aux tensions non résolues entre la France et son passé colonial. Ce jour-là, en pleine Guerre de Libération nationale, des milliers d’Algériennes et d’Algériens ont défilé pacifiquement pour dénoncer un couvre-feu raciste et réclamer l’indépendance de l’Algérie. Leur mobilisation a été brutalement réprimée par la police parisienne, agissant sous l’autorité du préfet Maurice Papon. Des historiens estiment aujourd’hui que plus de 200 manifestants y ont trouvé la mort, dont beaucoup ont été jetés dans la Seine. Pourtant, ce crime d'Etat est longtemps resté enfoui sous le silence et le déni.

La reconnaissance de ces faits n’a émergé qu’au fil des décennies, entre initiatives timides et résistances politiques. Si François Hollande avait rendu hommage en 2012 aux victimes d'une «sanglante répression», Emmanuel Macron, en 2021, a franchi une nouvelle étape en évoquant des crimes «inexcusables pour la République». Pourtant, beaucoup reste à faire pour la reconnaissance de ce qui s’est passé tel qu’il a véritablement été : un crime d’Etat. Le 28 mars dernier, un vote symbolique est venu raviver cette mémoire. 

L'Assemblée nationale française a adopté une résolution condamnant la répression du 17 Octobre 1961 et appelant à inscrire une journée de commémoration à l’agenda national. Le texte, porté par les députées Sabrina Sebaihi (Ecologistes) et Julie Delpech (Renaissance), a recueilli un large soutien, malgré l’opposition des membres du Rassemblement national. Cependant, la proposition s’est construite au prix de compromis : la mention explicite de «crime d'Etat» a été écartée, fruit d’un délicat arbitrage entre les partis et l'Elysée. 

La proposition de mettre en place une journée de commémoration n’a pas été retenue. Le gouvernement français, par la voix de Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales, a, certes, évoqué une manifestation «réprimée dans la violence par les services agissant sous l’autorité du préfet de police de l’époque», et rappelé que «plusieurs dizaines de manifestants furent tués, leurs corps jetés dans la Seine», néanmoins, le gouvernement a exprimé des réserves sur la création d’une journée spécifique de commémoration, soulignant que «plusieurs dates existent déjà pour évoquer la guerre d’Algérie». «Beaucoup reste à faire pour écrire cette histoire», a déclaré Faure, insistant sur l’importance de «laisser l’histoire faire son travail» avant d’envisager une nouvelle journée commémorative. 

La réticence à reconnaître pleinement le massacre comme un crime d'Etat témoigne d’un malaise persistant. La mémoire de la guerre d’indépendance continue d’être un sujet sensible en France, entre tentatives de réconciliation et fractures mémorielles. Les familles des victimes et les associations militent depuis des années pour que justice et reconnaissance soient faites, sans que leurs demandes soient totalement entendues. 

«L’État doit encore assumer ce passé»

Pour Sabrina Sebaihi, initiatrice de la résolution adoptée, le vote du 28 mars dernier représente «une première étape» vers la reconnaissance de ce «crime colonial». Cependant, l’absence du terme «crime d’Etat» dans le texte final illustre les limites de ce cheminement. La reconnaissance restera incomplète pour nombre d’associations officiant en France, tant qu’elle sera marquée par l’absence de mots comme «racisme», «colonialisme» ou «responsabilité d’Etat».

Derrière les cérémonies et les discours officiels, c’est une question de justice et de vérité qui se joue. «L’Etat doit encore assumer ce passé», plaident les collectifs, pour qu’une réconciliation sincère entre les mémoires française et algérienne puisse enfin émerger. Pour l’historien britannique Jim House, cette répression reste «l’acte le plus violent jamais commis contre une manifestation en Europe occidentale dans l’histoire contemporaine». Pourtant, il aura fallu des décennies pour que cet épisode tragique émerge de l’oubli.

Il est à rappeler que quelques jours avant le 17 octobre, Maurice Papon avait imposé un couvre-feu discriminatoire visant exclusivement les Algériens de la région parisienne. En réaction, entre 20 000 et 30 000 Algériens se sont mobilisés, à l’appel du FLN, pour défier ce couvre-feu. Ils sont descendus dans les rues de Paris en famille, espérant manifester pacifiquement. Mais la réponse policière fut d'une violence extrême.

Près de 11 500 personnes furent arrêtées et entassées dans des centres de détention improvisés : gymnases, hôpitaux désaffectés, ou encore le Palais des sports. Les témoignages évoquent des scènes de brutalité insoutenables : passages à tabac, humiliations publiques et des arrêtés battus dans des bus réquisitionnés pour l’occasion. A plusieurs endroits, notamment aux abords du pont de Neuilly, des manifestants furent jetés dans la Seine. Malgré les efforts de nombreux historiens et militants, la vérité sur le 17 Octobre 1961 reste partielle et contestée. Longtemps nié ou occulté, cet épisode révèle les fractures encore ouvertes de l’histoire coloniale.

Fabrice Riceputi, historien, souligne qu’il ne s’agit pas simplement d’un épisode marginal de l’histoire algérienne, mais bien d’une partie manquante de l’histoire de France. Dans un contexte de regain de crispations diplomatiques, la mémoire de cet événement demeure incomplète. Le 26 juillet 2024, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, un geste mémoriel s’est glissé au fil de la parade nautique sur la Seine. La délégation algérienne a jeté des roses dans le fleuve en hommage aux victimes du 17 Octobre 1961. Un geste rare et chargé de sens. 

 

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