24 Février 1971 : pourquoi cet évènement reste référentiel

24/02/2025 mis à jour: 23:02
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Photo : D. R.

Par Reghis Rabah, Consultant, Economiste Pétrolier

Il s’agit d’un tournant historique et opportun pour libérer l’économie nationale du joug colonial qui a continué après l’indépendance de profiter des richesses pétrolières et gazières algériennes. Depuis, l’Algérie n’a pas hésité sur les moyens pour approvisionner constamment le marché européen sans aucune considération à part celle commerciale.

Aujourd’hui, l’Europe s’en souvient et l’exprime. Ainsi, durant la crise énergétique que vivent depuis le 24 février 2022 de nombreux pays de  l’Union européenne (UE) suite à la guerre déclarée par la fédération de Russie à l’Ukraine, l’Algérie est devenue un lieu de rencontre, de discussion et surtout de décision du commerce du gaz pour l’approvisionnement européen.

Des nombreuses visites qu’a connues l’Algérie, il en ressort que ce n’est ni les réserves des hydrocarbures ni encore moins ses importantes ressources qui sont mises en avant, mais le qualificatif «fiabilité» est continuellement employé par toutes les délégations  qui ont visité le pays quelques jours seulement après le déclenchement de la guerre que de nombreux analyses avait prédite courte, malheureusement non seulement dure à ce jour mais fait des ravages dans l’économie de l’UE.

Ce capital confiance dont jouit l’Algérie aujourd’hui n’est pas récent, voire complaisant mais construit de longue date. Les anciens cadres du secteur de l’énergie depuis la récupération de ses richesses un certain mercredi 1971, jour d’une courageuse décision de la promulgation du processus de la nationalisation des hydrocarbures par le président de la République Houari Boumediene. Cette contribution tentera de rendre hommage à ces femmes et hommes qui ont eu à conduire le secteur des hydrocarbures en Algérie et qui ont par leur exploit réussi à bâtir cette réputation dont jouit le pays aujourd’hui.

1- Les circonstances de cette nationalisation en sont révélatrices

Cette nationalisation n’était pas spécifique à l’Algérie, mais elle est apparue avec la prise de conscience de certains pays qui se sont rendus compte de l’exploitation de leurs richesses par les grandes firmes multinationales. Il y a eu le Mexique en 1938 puis l’Iran de Mossadegh en 1951.

Elle n’est pas non plus la conception d’une équipe au pouvoir mais largement explicitée dans les documents doctrinaux (01). Il s’agissait en fait de récupérer les ressources naturelles et contrôler les instruments de régulation de l’économie.

Le Code pétrolier saharien (CPS), qui était le seul cadre institutionnel avant l’indépendance, s’est trouvé modifié par les accords d’Évian en 1962 dans sa partie consacrée aux hydrocarbures dans un sens encore plus favorable aux intérêts français et vient ainsi altérer le transfert de la souveraineté au profit de l’Algérie.

En dépit de l’accord algéro-français de 1965, plusieurs contradictions ont été relevées dans le comportement des sociétés exploitantes : insuffisance des investissements d’exploration; gonflement artificiel des charges d’exploitation dans le seul but de réduire la marge qui revient à l’Algérie et rapatriement insuffisant du chiffre d’affaires réalisé par le groupe ELF etc.

Plusieurs mois de négociation ont confirmé la position de la France de refuser l’alignement du pétrole algérien sur le régime fiscal pratiqué par les pays de l’OPEP et de se conformer à un contrôle de gisement par l’Algérie. Plus tard, le Général de Gaule révélerait cette stratégie de manœuvres dilatoire dans ses mémoires (02).

C’est donc avec la souveraineté nationale et le libre exercice de disposer de ses richesses qu’il fallait peser les conséquences de la  nationalisation du 24 Février 1971. Elle consistait en fait à récupérer 51% des intérêts français dans la production du brut ; nationaliser la totalité des réserves gazières et celle de tous les moyens de transport.

La réaction française était violente mais prévisible : les compagnies ont essayé entre autres de faire un embargo sur le pétrole algérien en le déclarant «rouge». Il ne s’agit pas ici de déclencher la symbolique des années 70, mais juste souligner le caractère combatif de ce processus  qui a exigé,  pour se concrétiser, un acte de grand courage et une mobilisation importante d’où son lien indéfectible avec l’organisation syndicale «d’antan» bien entendu.

2- Succinct rappel de cette virée en Algérie qui témoigne de cette fiabilité

Au lendemain du déclenchement de ce conflit russo-ukrainien, les Etats-Unis (USA) en collaboration avec l’Organisation du traité Organique Nord (OTAN) convoquent les sociétés étrangères opératrices en Algérie pour sonder leur degré d’engagement dans l’exploitation des ressources en hydrocarbures conventionnelles et non conventionnelles sans la présence des autorités algériennes, les agences de presse notamment françaises et britanniques guettent le moindre propos des experts pour annoncer publiquement la disponibilité  l’Algérie pour constituer en partie une alternative au gaz russe.

Une délégation italienne conduite par leur ministre des Affaires étrangères est venue à la fin du mois de février 2022 pour gratter le moindre mètre cube qu’il leur reste du «take or pay» sans doute à un prix proche du prix contractuel.

Une semaine avant, l’ambassadrice des USA en Algérie s’est déplacée personnellement jusqu’à Tighit à Béchar dans le cadre de la résidence de création «one Beat Sahara» en ventant cette œuvre commune comme un gage «des relations profondes unissant l’Algérie et les USA». Le week-end d’après, une sous secrétaire d’Etat est venue en Algérie pour être reçue par les plus hautes autorités du pays et qui a qualifié la relation entre les deux pays de «larges et profondes».

La diplomate dans sa déclaration a cité une panoplie de domaines dans lequel les entreprises pourraient aider l’Algérie mais «stresser» sur les services pétroliers et l’énergie à sa manière. Plus tard, vers le début septembre 2022, le président du conseil  de l’UE, Charles Michel s’est déplacé lui-même en Algérie pour s’enquérir de la disponibilité de l’Algérie en témoignant lui aussi de ce «partenariat fiable».

Ceci a été confirmé par l’arrivée de Mme Kadri Simson, membre de la commission européenne chargée de l’énergie un mois après. Enfin, le 24 janvier 2023, c’est Joseph Borelli, haut représentant de l’Union européenne qui appelle à l’impulsion du partenariat entre l’Algérie et l’UE.

3-Que visent exactement ces périples ?

Il n’échappe à personne que toutes les données sur les capacités de l’Algérie sont publiques et connues de nos partenaires. Ainsi, l’entreprise nationale Sonatrach exploite actuellement quatre  complexes de Gaz naturel liquéfie (GNL) à Arzew et Skikda, d’une capacité totale de 56 millions m3 /an, dont deux nouveaux complexes mis en production respectivement en 2013 et 2014 dans ces mêmes zones, dotés d’une capacité respectivement de 10,59 millions m3/an et 9,98 millions m3/an.

Pour la séparation des GPL, Sonatrach exploite deux complexes de séparation de GPL situés à Arzew, d’une capacité totale de 10,4 millions tonnes/an. Sachant que 1 m3 de GNL = 600 m3 de gaz naturel, d’où une capacité totale de GNL : équivalent gaz naturel : 33,6 milliards m3. L’ensemble de ces capacités ne sont pas saturées à cause du manque de feed stock, c’est-à-dire le Gaz naturel (GN).

En ce qui concerne la capacité installée de transport gazier du réseau nord du pays, elle a été portée à près de 138 milliards de Contrat mètres cubes/an, dont 57 milliards de Cm3/an via les trois gazoducs destinés à l’approvisionnement de l’Europe.

Depuis l’arrêt d’expédition via le Maroc, il en reste  45 milliards m3. Si l’on ajoute les 2 milliards, résultant du supercompresseur installé tout récemment sur le Medgaz, on arrive à une capacité potentielle de transport à près de 80 milliards de m3 toutes formes confondues.

Cette situation qui est encore une fois publique est connue de nos partenaires toutes nationalités confondue, le potentiel du domaine minier algérien l’est aussi. Ils savent aussi ce que nous avons dans la marmite des gisements existants  produisant près de 130 à 140 milliards de m3 par an dont 48 milliards m3 pour la consommation interne, 30 à 38 milliards de m3 pour le maintien de la maintenance de nos gisements soit à la conservation de nos réserves et le reste à l’exportation.

Sachant que dans la continuité de sa politique sociale depuis l’indépendance, l’Algérie ne permettra en aucun cas de sacrifier la consommation domestique, on tente de gratter quelques milliards de la partie réservée pour la réinjection et le cyclage.

L’idée qui leur trotte dans la  tête est de faire pression sur l’Algérie pour sacrifier une partie importante de ce gaz  pour le liquéfier et l’expédier par shipping en promettant bien sûr de venir plus tard explorer le reste du domaine minier libre évalué à 1 050 000 km2 sans aucune garantie de potentiel prouvé et commercial. Or,  une telle solution serait la fin imminente des deux principaux gisements de l’Algérie Hassi Messaoud et Hassi R’mel, donc  la fin l’ère pétrolière et gazière de l’Algérie, chose aussi que l’Algérie n’acceptera jamais.

4-  Les exploits de cette période devront être consolidés et fertilisés.

Cette capitalisation, consolidation ainsi que sa fertilisation vers les générations qui sont venues après ont été une réussite, fortement concrétisée grâce à la constance des positions stratégiques, la transparence et surtout la vérité même si elle est amère.

En effet, ces ainés seniors qui avaient la charge des principaux gisements producteurs de gaz et de pétrole ont réussi à élaborer avec expertise, courage et nationalisme leurs profils de production qui s’appuient avant tout sur la conservation de leurs réserves. Sonatrach, depuis sa création, n’avait jamais failli au respect strict de la conservation des gisements, le respect de l’injection, optimal et règlementaire a été observé scrupuleusement jusqu’ à la date de l’année 2017.

Il y a moins de 5 ans, Hassi Messaoud à lui seul a atteint près de 400 000 barils/jour, aujourd’hui, il ne dépasse pas en moyenne les 280 000 barils par jour, Hassi R’mel en produisait 210 millions de m3 par jour, aujourd’hui, il peine d’arrondir les 180 millions de m3 en dépit du boosting phase 3 qui a débuté en février 2020. La pression commerciale semble avoir le-dessus sur ce qu’ont fait les ainés sur ces deux gisements et ils sont nombreux à citer.

Que leur soient rendus un vibrant hommage et un immense respect dans ce papier. Il ne faut pas oublier que c’est en 2007 qu’on  a réévalué le taux de récupération de Hassi Messaoud de 25,5% à 28% pour dégager des réserves supplémentaires de plus de 1 milliard de barils, en effort propre, sans aucun partenariat. Les premières phases boostées  de Hassi R’mel ont débuté 2 années après pour atteindre la troisième phase, œuvre technique unique au monde.

Très peu sinon aucun gisement dans le monde n’a tenté de donner de l’énergie à une pression aussi basse. Ces décisions sont courageuses et patriotiques parce qu’elles se basent sur le principe qui se sont fixés ces femmes et ces hommes de terrain de s’éloigner de la vision commerciale mais ont tout fait pour penser aux générations futures pour respecter la conservation des réserves de ces deux gisements dont ils ont la charge en respectant à la lettre les consignes du profil de production contenus dans leurs plans de développement actualisés.

Ce sont ces décisions patriotiques, en effort propre, qui ont permis à ces gisements de produire encore de façon aussi importante plus de six décennies après leur mise en production. Ce principe était de veiller contre toute velléité de déviation de réinjecter tous les gaz associés de Hassi Messaoud et de respecter un taux de cyclage entre 30 à 40% du gaz à Hassi R’mel.

Aujourd’hui, faute d’augmenter la part des réserves en drainant des investisseurs hors zone «mature» et «Near Field», on opte pour un réajustement du taux de cyclage et de réinjection comme solution de facilités pour faire face à la pression commercial au détriment de la conservation réglementaires et vitales des gisements producteurs.

(01)- Programme de Tripoli et la charte d’Alger
(02)- Dans ses mémoires de l’espoir, le Général écrivait «pour garder la mise à disposition des gisements de pétrole que nous avons mis en œuvre et celle de nos bases d’expérimentation de nos bombes et nos fusées, nous sommes en mesure quoiqu’il arrive à instituer un Etat indépendant au Sahara».    

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