14e Festival national du théâtre universitaire à Sidi Bel Abbès : Quand la peur neutralise l’écriture et le rêve

20/04/2024 mis à jour: 02:45
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La pièce «Houa ou hia» présentée à l’ouverture du 14 ème Festival national du théâtre universitaire

Dix troupes participent au festival, venues d’Adrar, de Batna, d’Oran, de Bouira, de Sidi Bel Abbès, de Constantine, de Bordj Bou Arréridj, de Khenchela et de Mostaganem. Azzeddine Rebiga, directeur-adjoint de l’action au milieu universitaire au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, est le nouveau commissaire du festival. 

Il remplace Smail Inzaren qui a dirigé le festival depuis son lancement en avril 2000 à Batna. «Le Festival national  du théâtre universitaire est relancé après plus de six ans d’arrêt. La dernière édition a été organisée à Sétif en 2018», a annoncé Bouziani Merahi, recteur de l’université Djillali Liabès de Sidi Bel Abbès, qui organise l’événement. 

Faisant un bref bilan du festival, Smaïl Inzaren, actuel directeur de l’organisation et de la distribution de la production artistique et culturelle au ministère de la Culture et des Arts, a estimé que les résultats des treize précédentes éditions sont bien réels. Il a parlé du nouveau programme «Le théâtre au sein de l’université» lancé en février 2024 par les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Culture pour relancer l’activité théâtrale dans les campus au niveau national. Plus d’une centaine d’ateliers de formation sera organisée, à la faveur de ce programme, pour initier les étudiants intéressés aux arts de scène.

Mise en scène par Abdenour Issaad d’après un texte d’Abdelkader Belkeroui, Houa ou Hia (Lui et elle), nouvelle pièce du Théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran (TRO), a été présentée lors de la cérémonie d’ouverture du festival. C’est l’histoire d’un couple (Djahid Dine El Hanani et Houria Zaouche), lui écrivain et elle enseignante à l’université, qui vit dans la peur. La peur d’une mort qui rôde en extérieur. Les bruits lointains d’éclats de balles et d’explosions intensifient la crainte chez l’écrivain. Il tente d’extérioriser ses appréhensions à travers l’écriture mais les textes sont à chaque fois inachevés. 

L’épouse peine à corriger les épreuves de ses étudiants, «toujours bourrés de fautes». Les pleurs du bébé, nommé Yacine, rappelle à la mère la nécessité de garder les pieds sur terre et au père d’être plus serein. Mais, l’époux est décidé à prendre sa valise, de partir, de fuir ses tourments et ses angoisses. Dans la deuxième scène, Djamila (Farida Zebachi) est infirmière. Elle est malmenée par un mercenaire (Ahmed El Aouni) qui a perdu tout sens d’humanité. Il tue pour de l’argent. 

La vie n’a aucune valeur à ses yeux. Enfant, il a vu sa mère se faire battre chaque soir par un père violent. «Il entrait chaque soir ivre mort. Il frappait ma mère et je n’ai rien pu faire pour la sauver», se plaint-il dans un moment de confession à Djamila. 

L’infirmière tente de retrouver des traces d’humanité dans une âme détruite. Abdenour Issaad a décidé de garder le même tableau pour les deux scènes :  une grande salle où toutes les affaires sont emballées dans des cartons, prêts à être expédiés. Au milieu, traîne un support pour accrocher des vêtements en forme d’arbre. L’arbre de la vie ? L’écrivain autant que le mercenaire s’installe, à chaque fois, sur un rocking chair pour exprimer leurs agitations et leurs souffrances. 

«Dans la pièce, l’écrivain a peur de l’autre, a peur de gens qui refusent ses idées, a peur du dehors, toutes les formes de la peur...Mais, il arrive à se libérer de ses obsessions et reprend ses forces pour sortir. Il doit faire face à une autre peur, celle de l’avenir de son enfant Yacine. Il vit avec l’espoir que son enfant malade survive et qu’une révolte s’oppose à la mentalité exprimée par le mercenaire qui évoque la guerre et la violence», souligne Djahid Dine El Hanani.  Les conséquences des drames des années 1990 ont été, selon Abdelkader Belkeroui, désastreuses sur le physique et le moral des Algériens qui ont vécu cette période pénible.
 

Les frayeurs des années 1990

Abdelkader Belkeroui s’est inspiré des frayeurs et des terreurs des années 1990 en Algérie pour écrire un texte exprimant toute cette charge. «Dans mes rêves, je voyais les gens briser ma porte. Je me réveillais la nuit en hurlant. Je n’ai pu écrire le texte qu’à la fin de la décennie noire. J’ai fait sortir tout le cumul qui était en profondeur. J’ai passé des moments difficiles que j’ai décrits dans le texte. 

Après plusieurs lectures, j’ai compris qu’il fallait alléger quelque peu le texte. Au début, c’était un duo. Les deux comédiens devaient jouer les mêmes personnages dans deux parties différentes. Abdenour Issaad a proposé une nouvelle version en restant dans l’esprit initial du texte. 

La pièce est le fruit d’un atelier de montage de spectacle au TRO. Nous avons passé six semaines avec les comédiens à travailler», a expliqué l’auteur. «Le laboratoire nous a permis d’affiner et d’approfondir les dialogues.

 C’était une belle expérience. Les comédiens se sont bien adaptés. L’auteur a été souple. Nous avons beaucoup débattu sur le texte. Nous avons construit ensemble un autre texte. La scénographie est également le fruit du laboratoire. Elle a été conçue par Iman Belhadj Mustapha. Nous avons opté pour une vision simple devant refléter la vie dure de l’époque et ce sentiment de vouloir partir à tout moment vers des endroits plus cléments, plus sûrs», a repris, pour sa part, le metteur en scène. Abdenour Issaad a fait en sorte que la période de l’histoire n’apparaît pas dans la pièce. Il laisse le soin au spectateur de deviner les années troubles de l’Algérie contemporaine. 

Les violences et la tragédie des années 1990 sont rarement abordées dans le théâtre algérien. La générale de Houa ou hia a été, pour rappel, donnée fin décembre 2023 à Oran.

 

Sidi Bel Abbès

De Envoyé spécial. Fayçal Métaoui

 

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