1200 médecins algériens en France : L’exode continue

06/02/2022 mis à jour: 03:29
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Les lauréats algériens représentent plus de la moitié des effectifs reçus à l’examen EVC (soit 1200 sur les 1993 postes ouverts cette année). L’Algérie serait-elle en passe de devenir le fournisseur principal de praticiens de l’Hexagone ?

Près de 1200 médecins spécialistes algériens ont été reçus à l’examen EVC (épreuves de vérification des connaissances), précieux sésame leur permettant d’exercer dans les hôpitaux français, selon les résultats publiés vendredi 4 février sur le site du Centre français de gestion des praticiens hospitaliers (CNG). Les lauréats algériens représentent plus de la moitié des effectifs reçus (soit 1200 sur les 1993 postes ouverts cette année). L’Algérie serait-elle en passe de devenir le fournisseur principal de praticiens de l’Hexagone ?

Cela fait des années que les services du CNG français ont noté une prépondérance des candidatures algériennes à l’examen annuel EVC destiné aux praticiens titulaires d’un diplôme obtenu en dehors de l’Union européenne et permettant l’exercice de leur profession dans l’Hexagone. Le nombre de candidats reçus n’avait néanmoins jamais atteint cette ampleur.

Très sélectif, l’examen EVC est organisé une fois par an dans un grand hangar en banlieue parisienne (près de Rungis). Les médecins désireux de tenter leur chance se donnent une année d’intenses révisions pour espérer figurer parmi les heureux détenteurs du précieux sésame.

«Sur les 94 nationalités représentées en 2018, près de la moitié des candidats inscrits (47,64% en 2018, contre 41,73% en 2017) vient d’Algérie (dont plus de 50,8% de femmes). Pour rappel, les candidats algériens représentaient 41,81% en 2016, 39,97% en 2015 et 41,6% en 2014», peut-on lire sur le bilan réalisé par l’organisme français en 2018.

La même source précise que les candidats algériens sont suivis par ceux originaires de Tunisie, qui représentaient 19,26% en 2018 (21,11% en 2017, 16,8% en 2016, 12,46% en 2015 et 12,9% en 2014).

Quant aux candidats marocains, ils représentaient 4,1% du total des effectifs en 2017. Le Conseil national de l’Ordre (français) des médecins (Cnom), qui a rendu publique une étude sur les flux migratoires et les trajectoires professionnelles des praticiens étrangers, table sur l’augmentation inéluctable des effectifs dans les prochaines années. Dans trois ans, peut-on y lire, la France comptera 30 000 médecins formés hors de ses frontières.

Qu’est-ce qui pourrait expliquer la volonté d’exercer le métier de médecin sous d’autres cieux ? La réponse à cette question que nous avons soumise à des praticiens en médecine spécialisée ayant tenté l’examen porte sur deux aspects : le problème salarial et l’acquisition de compétences nouvelles. «Ce que j’ai remarqué dans ce concours, c’est que les Algériens, les Tunisiens, les Libanais sont les nationalités dominantes.

On y croise peu de Marocains. Cela s’explique peut-être par le fait que les médecins marocains sont les mieux payés de la région, ils touchent près de 2000 euros par mois, tandis qu’en Algérie, nous en sommes à près de 400 euros par mois. Le système marocain permet aussi à ses assistants en médecine spécialisée d’acquérir de nouvelles compétences à travers un partenariat franco-marocain. C’est sans doute là qu’il faut chercher la raison de la fuite des médecins», nous explique ainsi un médecin pédiatre installé depuis près de deux ans en France.

Par ailleurs, nous dit un médecin rhumatologue ayant été admis au concours au bout de la seconde fois, «rien n’est fait dans les hôpitaux algériens pour aider les spécialistes à affiner leurs connaissances». «Le fait est, nous dit-il, qu’il n’y a pas pour les médecins spécialistes de formation complémentaire ou de formation diplômante supplémentaire. Les médecins qui choisissent de partir peuvent ainsi se perfectionner dans un domaine très spécifique. Si tu es médecin spécialiste et que tu as un peu d’ambition, il te sera difficile d’accepter la situation des hôpitaux en Algérie car ceux-ci ne t’offrent rien pour te permettre d’évoluer.»

Dans une étude consacrée au phénomène et réalisée par le statisticien de la santé Ahcène Zehnati, il est noté que la psychiatrie est la spécialité la plus touchée par le «brain drain» avec un taux d’émigration de 40,27% (c’est aussi l’une des spécialités les plus dévaluées en Algérie, ndlr), suivie par la néphrologie (24,85%), la radiodiagnostic-imagerie médicale (24,69%), la cardiologie (18,21%), l’anesthésie-réanimation (16,11%), l’ophtalmologie (12,31%), la pneumologie (11,51%) et la pédiatrie (10,03%). «Au 1er janvier 2019, l’effectif des médecins en activité en France s’élevait à 226 859.

Selon les projections de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES, 2017), la France aura besoin de 280 000 praticiens à l’horizon 2040. Jusqu’en 2025, les effectifs de médecins devraient augmenter moins rapidement que les besoins de soins de la population», écrit-il dans une étude intitulée «L’Emigration des médecins algériens : phénomène normal ou véritable exode ?» Il tente de donner une explication au phénomène avec ces mots : «Il est vrai que les salaires des médecins dans le secteur public ne sont pas à la hauteur du travail fourni.

Cette sous-valorisation a non seulement entraîné une forte inflexion vers le privé, mais renforcé le désir d’émigration chez les jeunes médecins algériens. Toutefois, si les incitations financières demeurent un levier pour garder un personnel médical motivé et productif, leur impact reste limité en matière de migrations internationales.

Les conditions de travail, les perspectives d’évolution de carrière, l’investissement (principalement matériel) requis pour exercer dans le privé (notamment pour certaines spécialités comme la radiologie, l’anatomie-pathologie…) et les caractéristiques sociodémographiques des médecins (genre, âge, lieu d’exercice, situation familiale…) sont autant de facteurs à prendre en considération.»

Néanmoins, les lauréats au concours devront se faire à l’idée d’avoir un statut de médecins étrangers, bénéficiant d’un poste intermédiaire, une catégorie inférieure à celle de leurs homologues français.

Certes, ils ne seront pas aussi bien lotis que les praticiens de la santé ayant suivi tout le cursus universitaire en France, mais ils pourront profiter d’un poste plus gratifiant que ce qui est appelé les FFI, ces praticiens de la santé qui touchent des salaires assez bas en enchaînant les heures de travail. Au bout de trois ans, après que leur travail ait été évalué et validé par le responsable de la structure, ils pourront enfin avoir droit à un numéro au sein de l’Ordre des médecins français et, par là même, d’évoluer dans le grade.

De manière générale, les salaires oscillent entre 2500 et 3500 euros. «Nous savons bien qu’ils se sont partagés les places depuis longtemps et qu’il ne sert à rien d’entrer en concurrence avec eux», nous dit l’une des lauréates du concours.

Francesca Sirna, chargée de recherche au CNRS, précise dans une étude intitulée «Les Médecins à diplôme étranger en France : tous médecins et tous égaux ?» qu’il est rare de trouver des médecins à diplôme étranger à des postes d’encadrement, d’enseignement ou de direction au sein de l’administration hospitalière.

«Cette reconnaissance peut être longue, au terme d’un processus parfois décourageant, compte tenu des procédures d’autorisation d’exercer. Mais les médecins à diplôme étranger rencontrés ne s’y opposent pas et ne revendiquent généralement pas une amélioration de leur statut ou une simplification des procédures de reconnaissance», écrit-elle.

Plus que jamais, une remise en question du système de santé algérien est aujourd’hui nécessaire afin de garder ses compétences (tant vantées par le président de la République récemment) et améliorer la qualité des soins en Algérie. 

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