Les résultats des orientations des nouveaux bacheliers ont montré une nette préférence des spécialités informatiques. Comment expliquer cette tendance et ce choix ?
Ce qui est clair, c’est qu’en termes de choix qui existait dans les spécialités informatiques il y a 5 ou 10 ans, force est de reconnaître qu’on a actuellement plus d’offres. Avant, on avait une Ecole nationale supérieure d’informatique (ESI) et les universités qui proposaient un ingéniorat en informatique. Actuellement, on a plusieurs écoles. On a celle de Oued Smar, de Sidi Bel Abbès, de Béjaïa, une école d’intelligence artificielle et de cybersécurité. Ajoutons à cela, le système LMD dans les universités et les ingéniorats qui viennent d’être relancés après le retour vers le système classique. En termes de choix, c’est justifié par la tendance actuelle par rapport au numérique, à la transformation digitale et la demande du marché, mais surtout par rapport à une demande à l'international où nos informaticiens sont très demandés. Cela permet d’avoir un travail en Algérie, ou si les gens prévoient de quitter l’Algérie d’avoir un avantage par rapport aux autres spécialités. Cependant, il faut avoir des moyennes au bac très élevés.
Est-ce que ces moyennes sont réelles et que toutes ces personnes vont réussir, ce n’est pas évident, puisqu’on sait actuellement que les moyennes de bac ne sont pas forcément un critère de réussite. Avant oui, il n’y avait pas de cours de soutien ou d’école parallèle. Là, on a une école parallèle qui gonfle le niveau des élèves et même les sujets de bac, à un moment donné c’est comme si on a affaire à des experts de prédictions, qu’est-ce qui va être le sujet du bac, donc les gens vont préparer le bac en fonction de ça ; ce qui ne va pas refléter forcément le niveau des bacheliers. On le voit avec l’Ecole supérieure de mathématiques, on a des taux d’échec en première année relativement élevés. Avant, on ne donnait pas au bac 17 en philosophie, 18 en littérature arabe et 19 en français. On ne pouvait pas avoir une moyenne générale de 17.
Ce choix est-il forcément le gage d’une réussite dans le contexte actuel ?
On a une autre tendance, le retour de 2 métiers qui n'étaient pas avant parmi les premiers choix des meilleurs bacheliers : les écoles normales qui forment les enseignants et le paramédical. Ce qui caractérise ces deux branches, c’est le contrat, les étudiants sont sûrs d’avoir un poste de travail à la fin du cursus. C’est une tendance de société, les parents avec leurs enfants, à un moment donné, sont pragmatiques, ils cherchent une spécialité qui offre un poste de travail. On a à la fin de chaque année des dizaines de milliers de licenciés en masters, des masters 2, mais le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de postes de travail pour tous. Il y a un problème économique, l’Etat ne peut pas recruter tous ces universitaires. Il y a un problème aussi de niveau. Il faut se poser la question, est-ce que ce nombre de bacheliers est réel, ça veut dire est-ce que leur niveau leur permet de rejoindre l’université, ou c’est juste une mesure pour faire du social.
Beaucoup de diplômés vont partir à l’étranger faire la prospérité des autres nations. Faut-il engager une réflexion profonde autour de cette problématique pour au moins limiter cette saignée des compétences ?
Maintenant, il y a un autre facteur à souligner : nos meilleurs bacheliers en informatique ou d’autres spécialités sont des projets d’immigration. Cela veut dire que nos meilleurs diplômés vont quitter le pays rapidement. Ils constituent des produits finis pour d’autres pays qui vont les exploiter sans payer un sou. L’Algérie a formé des cadres avec des milliards et le retour sur investissement va être exploité par d’autres pays. Sur des secteurs comme la technologie, si on perd nos meilleurs cadres et compétences, nous aurons du mal à concrétiser demain nos projets de transformation digitale, car on aura besoin de compétences très élevées. On peut dire la même chose pour le médical. Tous ces aspects doivent faire l’objet de profondes réflexions par les autorités, il faut qu’ils réfléchissent à une solution à cette problématique.
Propos recueillis par Kamel Benelkadi