Yamina Bouchikh innove avec des déchets ménagers : Du cuir à base de micro-bactéries

30/06/2022 mis à jour: 20:37
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Photo : D. R.

Créer du cuir à partir de microbactéries issues des déchets ménagers, agroalimentaires et de l’industrie agricole. Si l’idée semble folle, elle a pourtant été concrétisée par Yamina Bouchikh, une chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (INRAA). Portrait !

Elle s’appelle Yamina Bouchikh. A 37 ans, cette chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique de Sidi Bel Abbès (INRAA), docteur en biologie et responsable d’une équipe de recherche spécialisée dans la valorisation des ressources naturelles végétales, bactériennes et fongiques pour une utilisation dans plusieurs domaines, y compris l’agriculture, s’est lancée un pari fou : produire du cuir à partir de bactéries et de déchets organiques.

Selon elle, les défis de l’ère actuelle nous poussent à changer notre vision des façons de produire ce que nous consommons en raison des effets négatifs de l’industrie polluante sur l’environnement. «L’utilisation de bactéries est donc intéressante, surtout qu’il s’agit de l’usine biologique la plus avancée de la terre, et ce, grâce à sa capacité à fabriquer et à produire différents matériaux à moindre coût économique mais également environnemental», explique-t-elle.

D’ailleurs, l’idée de créer du cuir à partir de bactéries s’est développée crescendo. «J’ai toujours eu une vision qui tend plus vers l’écologie des écosystèmes, et ce, grâce à mon parcours de recherches dans les laboratoires de l’INRAA mais aussi à mon côté écolo». Si d’habitude, les chercheurs ne s’intéressent plus aux dégâts causés par les bactéries et leurs effets négatifs sur les plantes et les produits agricoles, Mme Yamina Bouchikh portait un tout autre regard sur ces dernières. «J’ai préféré me pencher sur le rôle actif et important des bactéries dans le système biologique», confie-elle.

Finalement, la chercheuse a décidé de voir et exploiter le bon côté de ces micro-organismes qui, plutôt qu’ils nuisent, servent les cultures agricoles. «Nous avions alors travaillé sur des microchampignons qui stimulent la croissance des plantes et de fil en aiguille, je me suis retrouvée à travailler sur les bactéries et la bio-fabrication bactérienne», raconte-t-elle. «Nous cultivons ces bactéries en laboratoire sous des conditions contrôlées afin qu’elles bio-synthétisent une matière : de la cellulose pure.»

Le cuir est donc synthétisé par des bactéries, nourries par des déchets ménagers et/ou agro-industriels. Les bactéries y trouvent tous les nutriments nécessaires à leur croissance et développement. Selon Mme Yamina Bouchikh, c’est un processus purement naturel étant donné que cette cellulose est synthétisée sous forme de film afin de protéger les cultures bactériennes des agressions extérieures. «Nous faisons en sorte de manipuler ces bactéries afin de contrôler la forme, l’épaisseur et la couleur de ce biofilm afin de le traiter et le transformer en cuir», précise-t-elle.

En d’autres termes, la chercheuse concentre ses recherches scientifiques sur l’alimentation des bactéries et l’établissement des conditions adéquates pour leur croissance et leur reproduction afin de les utiliser pour produire de la matière organique utile au combat, plutôt que de les combattre et les éliminer.

Il a fallu 2 ans à la chercheuse pour développer son idée. «Le projet a réellement démarré après que nous ayons participé à un programme régional Next Society, conçu pour aider les chercheurs pour développer leurs recherches dans des projets de start-up, et nous avons obtenu la première place en Algérie, ce qui nous a permis de bénéficier de formations sur plusieurs sujets liés à l’entrepreneuriat et un soutien financier pour développer le projet», explique-t-elle.

Richesse

Nommé TANMU, le projet dont elle est la fondatrice et qu’elle espère voir devenir une start-up à part entière utilise ces micro-bactéries issues des déchets ménagers, agroalimentaires et de l’industrie agricole pour créer des matériaux durables et écologiques comme le cuir végétalien.

Aujourd’hui, la chercheuse et son équipe travaillent sur le développement de l’entreprise et à la commercialisation de la peau bactérienne auprès des entreprises de mode et des créateurs de mode du monde arabe. D’ailleurs, Mme Yamina Bouchikh assure qu’un processus de prototypage et d’essais expérimentaux sont en cours afin de développer une matière très résistante en plus d’être biodégradable. Si cela est contradictoire techniquement, il est très commun dans la nature.

L’objectif est de faire en sorte que ce cuir puisse être utilisé dans les différents secteurs de la mode ou encore dans l’habillage automobile. Honorée lors de la dernière la dernière journée internationale des droits des femmes par le Président de la république Abdelmadjid Teboune, Mme Yamina Bouchikh confie : «Le Président avait exprimé son intérêt pour notre projet et nous a assuré qu’il mettra à notre disposition tous les moyens nécessaires afin de développer notre projet et créée une entreprise biotechnologique algérienne spécialisée en bio-fabrication.»

Désormais, la< chercheuse concentre ses efforts sur un nouveau projet de recherche euro-méditerranéen (Partnership for Research and Innovation in the Mediterranean Area). «Il s’agit de 4Biolive, développé avec des partenaires Italiens, espagnoles et tunisiens qui consiste à valoriser les déchets issus de l’industrie de l’huile d’olive en biofertilisants et biostimulants en Agriculture durable et du biogas», précise-t-elle. Mme Yamina Bouchikh estime donc que les déchets sont une source de richesse à plus valoriser.

A ce propos, elle assure : «Un proverbe intéressant dit One man’s trash is another man’s treasure. Autrement dit, ce qui est -être considéré comme déchets dans une certaine sphère, comme les déchets organiques par exemple en industrie agricole ou agroalimentaire, peut-être une matière première exploitable et une source de profits pour certaine industries ou business comme le nôtre.» C’est pourquoi, elle juge important de baser notre économie sur un modèle de valorisation des déchets. «La nature est un bon professeur. Il suffit de regarder pour voir que tout est recyclable, transformable et exploitable dans des cycles équilibrés et bien construits», conclut-elle.  
 

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