Walid Abdellahi. Metteur en scène et journaliste : «Le théâtre est le miroir de la société, reflète tout, le positif comme le négatif»

23/10/2023 mis à jour: 04:02
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Walid Abdellahi est journaliste, metteur en scène et président de l’association culturelle ELManara de Corso à Boumerdès. Sa dernière pièce Djadb (Terre aride) a été présentée lors du Festival international du théâtre de Béjaïa (FITB), qui s’est déroulé du 14 au 20 octobre. Il a mis en scène une dizaine de pièces de théâtre pour enfants et pour adultes, dont Baraghith (puces) et Bled Z. Interview.

 

 

Propos recueillis à Béjaïa par  Fayçal Métaoui

 

 

-Écrite par vous, Djadb est une pièce qui aborde plusieurs sujets et qui se distingue par un certain réalisme douloureux. Parlez-nous d’abord de cette production ?

Djadb est une pièce produite par l’association El Manara.  Trois comédiens ont joué dans cette pièce : Abdelaziz Kaced, Farid Ghanem et Amel Benzemouri. C’est un travail artistique fait par les membres de l’association. L’écriture du texte a duré une année. J’ai laissé beaucoup de choses de côté pour me concentrer sur ce texte.

 

-Justement, comment est née cette histoire. A partir d’un fait réel ? Djadb évoque l’histoire d’un fabricant de violons, doublement trahi par son épouse et par son employé...
 

Le texte est peut-être né d’une douleur, d’une fourberie, d’un rire...Peut être que le premier mot est né d’une larme. Cela peut aussi être une histoire réelle. J’ai beaucoup écrit et réécrit le texte pour aboutir à ce spectacle où l’on aborde l’art et l’artiste pas uniquement en Algérie mais dans le monde arabe aussi. C’est une évocation des trahisons, pas seulement celle de l’épouse de son mari. Je peux vous dire que nous vivons à l’époque des trahisons. Tout est prêt à trahir.

 

-La pièce évoque aussi le manque de communication, d’échanges...


Il y a un sérieux problème de manque de communication entre nous. Des difficultés peuvent facilement être surmontées si des discussions ou des dialogues sont engagés entre nous. Nous pouvons dépasser les incompréhensions. Dans la pièce, les deux époux ne se parlaient pas réellement. Il n’y a pas de communication aussi entre le fabricant d’instruments de musique et son disciple. Le dialogue est nécessaire dans nos sociétés.

La pièce aborde également la place de l’artiste dans la société. Le fabricant de violons, malgré son grand talent, est obligé de vendre lui-même ses instruments pour gagner sa vie. Le théâtre algérien continue de défendre l’artiste
 

Le théâtre est le miroir de la société, reflète tout le positif comme le négatif. Je ne dis pas que je défends l’artiste, mais je voulais exposer la situation d’un musicien et fabricant d’instruments sincère qui n’a pas d’autres entrées d’argent que ce que lui rapporte son métier. Il est passionné par ce qu’il fait. Ce n’est pas un passe-temps. On peut pratiquer l’art et être payé en retour, mais il faut le faire d’une manière honnête et noble. La pièce aborde la marginalisation de l’artiste, surtout de la part de ceux qui ne connaissent rien à l’art.

 

-Vous avez choisi l’école réaliste pour la mise en scène…
 

Ce choix a été imposé par le texte. J’ai déjà pratiqué les écoles du symbolisme et de l’absurde dans mes précédentes pièces. Je voulais que Djadb soit réaliste sur tous les plans, scénographie, costumes, accessoires...Le scénographe Sid Ahmed Draoui a fait beaucoup d’efforts pour construire les décors avec un volume important. Il a fait preuve de créativité surtout que les événements se déroulent dans une cave où le fabricant de violons a installé son atelier.

 

-Pourquoi le choix de la cave ?
 

La cave a beaucoup de signification au-delà du réalisme porté par le texte. Par exemple, l’étouffement de l’artiste, l’injustice et la répression qu’il subit...Il est comme enterré dans un autre monde... J’ai demandé au scénographe d’avoir des escaliers sur scène. C’était important pour la mise en scène. Les escaliers signifient aussi la dégringolade de l’artiste, abattu sur les plans psychologique et social. Les niveaux de la scénographie permettaient de suggérer les états d’âme des comédiens. Chaque niveau avait un sens.

 

-Comment s’est fait le casting des comédiens ?

Dans chaque écriture, j’imagine le comédien qui va jouer le rôle. Abdelaziz Kaced, qui est secrétaire général de l’association, n’a jamais été distribué dans mes pièces. Mais, pour Djadb, il s’est imposé. Il a interprété le rôle de Saïd (le disciple). Saïd est pris par le désir de se venger. Il ne connaît pas ses parents. La vengeance lui permet de dépasser ses complexes. Cette catégorie sociale existe. J’ai évoqué la période du terrorisme dans la pièce à travers le personnage de l’épouse qui a perdu ses parents. Nous ne pouvons pas oublier les actes du terrorisme.

 

-Hasni est présent dans la pièce. C’est l’une des victimes du terrorisme...

Hasni chantait l’amour. Il a été tué par des mains traitresses. Je lui ai rendu un petit hommage à travers la reprise d’une de ses chansons dans un tableau (...) A Batna, un homme est venu nous dire, après le spectacle, qu’il a vu l’image évoquée dans la pièce (l’assassinat des parents devant ses yeux par les terroristes). Nous n’avons pas précisé de date ou de lieu dans la pièce. Nous donnons quelques indications seulement. En Tunisie, lors de la représentation de la pièce au festival arabe Vaga, le public a positivement réagi. Ce que la pièce aborde à propos de l’artiste peut être vécu en Tunisie, en Egypte ou ailleurs. Nous avons décroché le grand prix de ce festival. Amel Benzemouri et Farid Ghanem ont décroché le prix de la meilleure interprétation.

 

-Est-il facile pour une association comme El Manara de produire du théâtre ?


La pièce a été produite par nos propres moyens avec le soutien financier de l’Office national des droits d’auteur et des droits voisins (ONDA). L’ONDA a assuré le paiement des comédiens. La maison de la culture Rachid Mimouni de Boumerdès a mis à notre disposition l’espace pour faire des répétitions. Nous souhaitons un soutien du ministère de la Culture et des Arts pour nos prochains travaux. Cela dit, je ne suis pas du genre à me plaindre ou à pleurer. On peut faire des spectacles avec peu de moyens, comme la pièce Baraghith avec deux éléments du décor, une table et un seau d’eau. Une pièce qui a décroché plusieurs prix. Nous croyons à ce que nous faisons.

 

-El Manara organise aussi les Journées théâtrales Fatiha Berber...

Oui. La deuxième édition de ces Journées nationales du théâtre de jeunes Fatiha Berber est prévue du 26 au 30 novembre prochain, sous le parrainage du ministère de la Culture et des Arts et de la wilaya de Boumerdès, et avec l’appui de la direction de la culture de Boumerdès. Le slogan choisi est : «Le théâtre est notre miroir à tous.» 
 

Nous allons rendre hommage à des artistes algériens encore en vie en donnant leurs noms aux prix : Ahmed Rezzak pour la meilleure mise en scène, Youcef Taouint pour le meilleur texte, Hamza Djaballah pour la meilleure scénographie, Hakim Dekkar pour le meilleur comédien et Nidhal El Djazairi pour la meilleure comédienne. Nous avons prévu aussi un prix pour la meilleure affiche. Nous souhaitons être à la hauteur pour que les Journées soient instituées en festival national surtout qu’il n’existe pas de manifestation s’intéressant à la catégorie jeunes dans le théâtre. L’idée est d’encourager les jeunes à s’impliquer davantage dans la création théâtrale. 
 

 

 

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