Les Etats-Unis et la Chine doivent se parler «directement» en cas d’inquiétudes sur des pratiques économiques et collaborer face au changement climatique. C’est ce qu’a déclaré hier la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, au deuxième jour de sa visite à Pékin, selon des propos «Quand nous avons des inquiétudes concernant des pratiques économiques spécifiques, nous devons les communiquer directement, et nous le ferons», a-t-elle indiqué lors d’une rencontre avec le vice-Premier ministre, He Lifeng, en charge des dossiers économiques.
Et «le fait que, malgré les récentes tensions, nous ayons atteint un niveau record d’échanges commerciaux en 2022 suggère qu’il y a largement la place pour que nos entreprises s’engagent en matière de commerce et investissement», a-t-elle ajouté.
La visite de Mme Yellen intervient quelques semaines après celle du secrétaire d’Etat Antony Blinken, dans une volonté de l’administration Biden de renouer les contacts avec Pékin, après trois ans d’isolement presque total de la Chine en raison de la crise sanitaire. La rencontre entre les présidents Xi Jinping et Joe Biden à Bali, en novembre dernier, a permis de nouer «des consensus importants», a rappelé de son côté le vice-Premier ministre chinois, «malheureusement, en raison d’incidents imprévus, comme celui du dirigeable, il y a eu quelques problèmes dans la mise en œuvre du consensus atteint par les deux chefs d’Etat». Un ballon chinois qui survolait les Etats-Unis a été abattu en début d’année par Washington, qui l’accusait d’effectuer de la surveillance. L’épisode a provoqué le report à la dernière minute de la visite d’Antony Blinken à Pékin.
Plus tôt dans la journée, Mme Yellen a mis l’accent sur la lutte contre le changement climatique, un domaine de coopération pour Washington, malgré des relations bilatérales tendues. «Comme nous sommes les deux plus grands émetteurs de gaz à effet de serre au monde et les plus grands investisseurs en énergies renouvelables, nous avons à la fois la responsabilité commune et la capacité de montrer la voie», a déclaré Mme Yellen. Qualifiant le changement climatique de «menace existentielle», elle a estimé que «la coopération entre les Etats-Unis et la Chine sur le financement contre le changement climatique est essentielle». La Chine a suspendu les discussions sur le climat l’été dernier, en protestation contre le déplacement à Taïwan de l’ancienne présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi.
Si aucune avancée majeure n’est attendue dans l’immédiat par le Trésor, «ce voyage est l’occasion de communiquer et d’éviter les erreurs de communication ou les malentendus», a plaidé jeudi Mme Yellen.
Différends et signes d’apaisement
Le principal point de friction concerne les semi-conducteurs, avec l’imposition ces derniers mois de restrictions pour couper l’approvisionnement des entreprises chinoises en technologies américaines, notamment des puces, au nom de questions de sécurité nationale. Mais Washington ne cherche pas à «enrayer» le développement économique chinois, a assuré le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken lors de sa visite en Chine en juin. «Nous voulons de la croissance. Nous voulons voir le succès dans toutes les parties du monde, y compris, bien sûr, dans les grandes économies comme la Chine», a-t-il ajouté.
«Mais en même temps», il n’est «pas dans notre intérêt de fournir à la Chine des technologies qui pourraient être utilisées contre nous», a-t-il soutenu. «Alors qu’elle développe de manière très opaque son programme d’armes nucléaires, qu’elle produit des missiles hypersoniques, qu’elle utilise la technologie à des fins répressives, en quoi est-il dans notre intérêt de fournir ces technologies spécifiques à la Chine ?» s’est-il demandé.
En parallèle, la Chine, qui cherche à devenir autonome dans ce domaine, estime que ces mesures visent à entraver son développement et maintenir la suprématie américaine. Lundi, Pékin a annoncé des restrictions sur les exportations de deux métaux indispensables aux semi-conducteurs et dont elle est le principal producteur. Une mesure largement perçue comme des représailles aux pressions américaines. «Je suis préoccupée par les nouveaux contrôles à l’exportation récemment annoncés par la Chine (...). Nous sommes en train d’évaluer l’impact de ces mesures», a réagi vendredi Mme Yellen auprès de responsables d’entreprises américaines. Ces derniers s’inquiètent du climat d’affaires dans le pays, après des perquisitions et enquêtes lancées ces derniers mois à l’encontre de certaines d’entre elles. «L’espoir est qu’après la visite (de Mme Yellen), il y ait d’autres visites» d’importance entre les deux pays, a déclaré Michael Hart, président de la Chambre américaine de commerce en Chine.
Des signes d’apaisement et de rapprochement sont récemment lancés entre les deux premières puissances économiques mondiales : une réunion à huis clos s’est tenue en mai à Vienne entre le conseiller à la Sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, et le plus haut responsable de la diplomatie au sein de l’appareil chinois, Wang Yi. Le même mois, le directeur de la CIA, William Burns, s’est rendu à Pékin, et le ministre chinois du Commerce, Wang Wentao, est allé aux Etats-Unis.
Début juin, le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, et son homologue chinois, Li Shangfu, se sont brièvement salués pour la première fois lors du dîner d’ouverture de la conférence Shangri-La de dialogue sur la défense à Singapour. Devenu ministre de la Défense en mars, il a été sanctionné par le gouvernement américain en 2018 pour avoir acheté des armes russes.
Mais le Pentagone affirme que cela n’empêche pas L. Austin de dialoguer officiellement avec lui. Vendredi, un responsable du département d’Etat a indiqué que l’envoyé spécial américain pour le climat, John Kerry, se rendrait en Chine prochainement afin de discuter des possibilités de coopération avec Pékin dans la lutte contre le changement climatique. Le même jour, Mme Yellen a appelé notamment Pékin et Washington à joindre leurs efforts sur des défis mondiaux, comme l’endettement.