Vaccin et défiance

01/02/2022 mis à jour: 04:07
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Suffit-il de demander aux imams de «sensibiliser» les personnes pour se faire vacciner, ou faut-il, au contraire, repenser profondément le système de santé en l’adaptant à la réalité et aux rapports sociaux ? 

La question du sociologue Mohamed Mebtoul remet le temps en marche, un temps figé par l’interprétation simpliste et dominante du phénomène de rejet du vaccin anti-Covid-19 en Algérie. Il faut d’abord saluer cette étude socio-anthropologique sur la perception de la pandémie Covid-19, menée par le Pr Mebtoul et son équipe de l’université d’Oran ; un travail très rare hélas, malgré le nombre important d’universités et de laboratoires de recherches en sciences sociales, mais un travail hautement utile qui permet de saisir sans parti pris le manque d’enthousiasme chez une majorité de la population vis-à-vis de la vaccination. 
 

Depuis le lancement de la campagne nationale de vaccination, et à l’exception de l’épisode correspondant à la 3e vague de contamination, les Algériens ont montré très peu d’intérêt à l’égard du vaccin, d’où un taux national qui ne dépasse pas les 13%. Ce qui contrarie le gouvernement et suscite un discours stigmatisant envers les non-vaccinés. 
 

C’est là où interviennent les universitaires d’Oran qui ne s’encombrent pas de jugements. Le raisonnement immédiat produit un discours linéaire centré sur la «frontière morale» entre ceux qui sont vaccinés, les «conscients», et les «ignorants». Ce discours chargé d’une violence symbolique montre, selon lui, «des limites, parce qu’il est dans l’incapacité de maîtriser dans sa complexité l’effet sociétal producteur de singularités en Algérie», souligne le Pr Mebtoul dans une interview accordée à El Watan.
 

Si l’on s’amuse donc à dissocier l’attitude de l’Algérien de sa vie sociale et professionnelle, on risque de se tromper. On est tenté, pour notre part, de considérer le contexte général, y compris dans son aspect politique, pour comprendre la défiance de la population à l’égard de ce qui paraît pourtant une politique de salubrité publique, de salut national face à la pandémie. Peut-on d’ailleurs escompter l’exemplarité du citoyen, quand les agents publics et les institutions en général en manquent ? Il suffit d’observer la difficulté dans la mise en œuvre impossible des décrets liés par exemple au port obligatoire du masque et au pass sanitaire dans les lieux publics, y compris par ceux qui doivent les faire appliquer, pour en distinguer l’absence de médiations sociales crédibles dans la société. A quoi s’ajoute inévitablement la prégnance d’un contexte social orphelin d’une santé publique de proximité sociale avec les populations, ajoute le professeur. 

A la lumière de ces pistes, pavées des bonnes questions, on appréhende mieux la réticence des Algériens à incorporer les règles et les normes dominantes, leur défiance à l’égard des institutions. Et de conclure, comme le fait le Pr Mebtoul, que la confiance ne s’institutionnalise pas, mais qu’elle se fonde au contraire sur une construction sociopolitique qui passe par la reconnaissance sociale de l’Autre.

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