USTHB : comme un air de vaisseau fantôme…

29/01/2022 mis à jour: 00:17
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USTHB

Nous sommes le dimanche 23 janvier. Il est 10h50. Nous descendons du tramway à la station Université de Bab Ezzouar et marchons environ 600 m avant de franchir le grand portail de l’USTHB, l’université des sciences et de la technologie Houari Boumediène.

D’emblée, une image nous interpelle : l’imposant monument de béton, à l’architecture si singulière signée Oscar Niemeyer, est désert. Le silence qui enveloppe les lieux contraste avec l’effervescence habituelle qui caractérise cet immense campus qui, en temps normal, grouille de monde. L’USTHB, faut-il le noter, est probablement la plus grande université du pays. 

Elle compte 41 000 étudiants et 1961 enseignants comme on peut le lire sur son site web (www.usthb.dz). Il faut savoir également que l’infrastructure universitaire construite en 1974 s’étale sur quelque 140 hectares. Et cette étendue vertigineuse procure au visiteur un sentiment grisant d’espace. 

De liberté. En prime, lors de notre passage ce dimanche, il faisait insolemment beau. Un soleil de rêve dardait ses rayons sur Alger. Il faut signaler aussi, à l’intention de ceux qui n’y ont jamais mis les pieds, que le gigantesque site est gâté par la nature, avec tous ces espaces verts soigneusement entretenus, ces plates-bandes verdoyantes qui poussent entre les bancs de pierre. 

De la verdure à perte de vue, avec des parterres de marguerites, des rangées de palmiers, ce qui a le mérite de tempérer le gris des murs de béton nus. Ce côté «brut», soit dit en passant, loin d’amocher le site, donne du caractère à ce monument du savoir et c’est ce qui fait, au demeurant, son charme et le cachet si particulier, si emblématique de «Babez». 

Ce paysage se trouve rehaussé par un lac artificiel adossé à l’auditorium – autre bâtiment qui en impose – , et dans lequel viennent s’ébattre de magnifiques oiseaux blancs, visiblement des goélands. Tout ce décorum, les jardins, les oiseaux, le lac, les palmiers, les parterres de marguerites… confèrent au campus un côté champêtre qui donne à l’ensemble des allures de parc. Une grande esplanade bordant le lac s’étale jusqu’à la bibliothèque universitaire. Un terrain de basket a été aménagé non loin de là, au bonheur des étudiants. Mais point de joueurs dans l’arène. Ni de flâneurs ni de promeneurs. Il n’y a pas âme qui vive, à part quelques ombres furtives, généralement des administratifs ou des agents de nettoyage ou de sécurité.

«Les cours et les examens sont suspendus»

Selon les plannings que nous avons consultés, les étudiants sont censés être à ce moment en période d’examens. Les épreuves devaient débuter le 16 janvier. Mais avec la flambée de la pandémie et la courbe folle des contaminations de cette quatrième vague, l’inquiétude a gagné la communauté universitaire, entraînant la fermeture des salles de cours. Une décision qui a été prise par le rectorat, sachant qu’aucune instruction n’est venue d’en haut dans ce sens, laissant le soin à chaque établissement universitaire de décider selon son tableau épidémiologique propre. 

Pour rappel, lors de la réunion extraordinaire du 19 janvier présidée par M.Tebboune, et à l’issue de laquelle il avait été décidé la fermeture des écoles à compter du 20 janvier, aucune mesure n’a été prise pour les facs. «La décision de fermeture des universités revient aux chefs des établissements et des centres universitaires, en tenant compte du calendrier des examens et la possibilité de les reprogrammer au profit des étudiants», informait le communiqué de la présidence de la République diffusé suite à cette réunion.

A l’USTHB, nous avons essayé de rencontrer quelque responsable du rectorat pour avoir un topo détaillé sur l’impact de la pandémie au sein du campus et comment ont été vécues ces péripéties virales. 

«Il vous faut une autorisation monsieur», nous dit un agent d’accueil. En prenant connaissance du sujet de notre requête, un de ses collègues lance : «Si c’est pour les mesures préventives, les cours et les examens sont suspendus jusqu’à dimanche prochain (30 janvier, ndlr).» Interrogés sur la situation sanitaire dans l’enceinte universitaire, nos interlocuteurs signalent une hausse des contaminations, comme partout ailleurs du reste. «ça a augmenté, c’est sûr, surtout chez les étudiants. Ils ont décidé de fermer pour freiner justement les contagions», argue l’un de nos hôtes. 

Son acolyte appuie : «C’est une décision qui s’imposait, surtout que l’université de Bab Ezzouar accueille énormément de monde.» 

Un agent de sécurité, affecté auprès d’un autre bloc réservé aux salles de TD, abonde dans le même sens : «L’université est fermée, il n’y a pas cours. Beaucoup de gens ont été touchés (par la Covid). Celui qui vous dit qu’il ne l’a pas eu est un menteur. Peut-être que les choses resteront suspendues au-delà de la semaine prochaine (celle qui débute le 30 janvier, ndlr). Allah yedjaâl el khir (Que Dieu nous protège)».

Enseignement hybride

Nous flânons du côté de la rangée d’amphithéâtres aux énormes hublots, et là encore, c’est calme. Tous les amphis sont fermés. Même torpeur au niveau des facultés de génie civil, de physique, de chimie ou encore des sciences biologiques. Impression d’errer sur le pont d’un paquebot géant déserté par ses passagers. Un vaisseau fantôme. 

Au village universitaire, le réfectoire est cadenassé. Seule la petite antenne de l’OPU ainsi qu’une agence postale sont ouvertes. Mais sans public. Le village baigne dans un silence de cathédrale. Des tables de billard se languissent dans leur coin. Un distributeur de gel hydroalcoolique est mis à la disposition des passants, collé à une colonne de béton. Nous n’hésitons pas à nous servir pour aseptiser nos paluches avant de ressortir reprendre notre pérégrination à la recherche de quelque prof ou étudiant à interroger. 

Et voilà que nous croisons par chance une prof de mathématiques qui nous confie : «Nous sommes censés être en période d’examens mais ils ont été reportés. D’ailleurs, avec mes étudiants, nous avions un examen qui était prévu demain (lundi 24 janvier, ndlr), il a été décalé.» Interrogée sur le déroulement des cours, l’aimable enseignante indique que la méthode pédagogique adoptée consiste en un système hybride mêlant enseignement par internet et cours en présentiel. 

«Nous avons deux semaines d’enseignement en ligne pour une semaine de présentiel», précise-t-elle. Et d’attirer l’attention sur les contraintes de l’enseignement à distance en soulignant : «Au début, c’était un peu difficile. Les étudiants avaient du mal à suivre. On envoyait les liens, les fichiers PDF, et on se rendait compte qu’on envoyait trop de matière. On a été obligés de grignoter, de rogner sur le programme. Mais même comme ça, on nous dit bezzef, c’est trop !» La mathématicienne a remarqué par ailleurs que les perturbations de la vie universitaire causées par la pandémie ont eu pour conséquence «un taux d’absentéisme assez élevé». 

«Plusieurs de nos camarades ont été touchés»

Notre interlocutrice n’est pas peu fière d’avoir réussi à boucler le programme du premier semestre en dépit de toutes ces contraintes. «Ce n’est pas facile ni pour les enseignants, ni pour les étudiants», souffle-t-elle, avant d’ajouter : «Là, on a fini le semestre. J’ai réussi à faire 5 chapitres. On devait enchaîner sur les examens. On a eu un CP (Conseil pédagogique) pour trancher sur cette question. On a discuté avec les délégués (des étudiants, ndlr) qui ont fait état de plusieurs personnes atteintes de la Covid qui ont demandé le report des épreuves en disant : ou vous les reportez, ou on vient les passer en étant malades. Après, il y a eu une circulaire qui a décrété le report. Maintenant à savoir si les examens pourront se tenir la semaine prochaine…» 

Une étudiante en 3e année biochimie, croisée près du service de scolarité, exprime les mêmes doutes : «Les examens ont été différés d’une semaine. Plusieurs de nos camarades ont été touchés par la Covid , donc tout dépend de l’évolution de la situation.» 

A propos de la méthode d’enseignement appliquée, alternant cours à distance et séances en présentiel, l’étudiante déplore : «Ce système a montré ses limites. L’inconvénient de cette méthode est qu’on est un peu livrés à nous-mêmes en étudiant à distance. Chacun doit travailler tout seul dans son coin et ce n’est pas évident. Il y a des notions pour l’assimilation desquelles la présence du prof est indispensable. Personnellement, l’enseignement en ligne ne m’a pas aidée. On apprend mal. Ajoutez à ça la connexion qui fait des siennes. Ce n’est pas la joie.» 

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