Une soixantaine de détenus d'opinion sortent de prison : Des libérations et des interrogations

04/04/2022 mis à jour: 04:20
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Entrée de la maison d’arrêt d’El Harrach / Photo : Sami K.

Le président du Syndicat national des magistrats (SNM), Yassad Mabrouk, a dénoncé «l’atteinte à l’image de la justice». «L’emprisonnement de personnes sans justifications fortes est une injustice et un abus». La libération des détenus sur «la base de caprices ou pour la satisfaction d’une volonté quelconque ne fait que ternir l’image de la justice», écrit le patron du syndicat des magistrats.

La libération, mercredi dernier, d’une soixantaine de détenus d’opinion incarcérés dans différentes prisons du pays continue de susciter des interrogations. Si ces remises en liberté provisoire des concernés ont été accueillies favorablement par les organisations de défense de droits de l’homme, les partis d’opposition et les militants politiques, leurs limitations à seulement une catégorie de détenus, toute en excluant la majorité devient problématique. Et c’est tout le système judiciaire algérien qui en pâtit.

Ce problème est soulevé, dès mercredi dernier, par le président du Syndicat national des magistrats (SNM), Yassad Mabrouk, qui a dénoncé, dans un post sur sa page Facebook, «l’atteinte à l’image de la justice». «L’emprisonnement de personnes sans justifications fortes est une injustice et un abus. La libération des détenus sur la base de caprices ou pour la satisfaction d’une volonté quelconque ne fait que ternir l’image de la justice», écrit le patron du syndicat des magistrats.

Même s’il a exprimé cet avis à titre personnel, le magistrat étale, au grand jour, le sentiment dominant chez la corporation des juges dans cette période où la justice est partout pointée du doigt. En tout cas, les libérations effectuées mercredi dernier suscitent beaucoup de questions.

Qui a décidé de mettre les concernés en liberté provisoire ? Quels sont les critères pris en compte pour libérer certains détenus et non-pas d’autre, même si leurs chefs d’accusation se ressemblent ?

Pour l’avocat Abdallah Haboul, ces remises en liberté provisoire et la manière avec laquelle elles ont été exécutées «étaient surprenantes». «Elles ont concerné des individus dont les dossiers sont en instance devant les tribunaux et les cours ainsi que des personnes poursuivies en vertu de l’article 87 bis… Mais comment expliquer ce revirement ? Sur quelle base ont été choisis les bénéficiaires de ces remises en liberté provisoire ? Une chose est sûre, c’est que la décision n’a pas émané des juges. C’est une décision politique», déclare l’avocat, en s’interrogeant sur l’absence de communication du ministère de la Justice sur le sujet.

«Discrimination»

Selon lui, si «la décision est politique, cela aurait dû concerner tous les détenus». «L’article 165 de la Constitution stipule que ‘‘la justice est fondée sur les principes de légalité et d’égalité. Elle est accessible à tous’’. Le respect du principe d’égalité devant la justice suppose que tous les détenus d’opinion soient remis en liberté. Pourquoi cette discrimination ?» interroge-t-il.

Abdallah Haboul dénonce, dans le même sens, la «violation du principe constitutionnel portant sur l’égalité devant la justice». Il rappelle, dans la foulée, le contenu de l’article 163 qui précise que la «justice est un pouvoir indépendant. Le juge est indépendant et n’obéit qu’à la loi». Or, dans cette affaire des détenus d’opinion, ajoute-t-il, il y a une grave «atteinte à l’Etat de droit».

L’avocat estime également que «la manière avec laquelle sont faites ses libérations, confirme que les détenus n’ont rien avoir avec le droit commun, comme l’affirme Abdelmadjid Tebboune». «Ils sont bel et bien des détenus d’opinion et politiques», lance-t-il.

Cependant ces remises en liberté ne peuvent être considérées comme des mesures d’apaisement, puisque les arrestations se poursuivent toujours. 

L’avocate Alili Yamina a dénoncé, hier, la «disparition forcée de Sami Dernouni, ancien détenu qui a été arrêté à nouveau, jeudi dernier, devant chez lui à Batna».

Tebboune signe un décret présidentiel prévoyant une grâce en faveur de 1076 détenus

Le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a signé hier un décret présidentiel portant grâce en faveur de 1076 détenus condamnés définitivement, et ce, à l’occasion de l’avènement du mois sacré de Ramadhan, indique un communiqué de la présidence de la République.

«A l’occasion de l’avènement du mois sacré de Ramadhan et conformément à la Constitution, notamment l’article 91, alinéas 7 et 8, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a signé dimanche 2 Ramadhan 1443 de l’hégire, correspondant au 3 avril 2022, un décret présidentiel portant grâce en faveur de 1076 détenus condamnés définitivement», lit-on dans le communiqué. «Monsieur le Président avait ordonné des mesures de clémence en faveur de 70 accusés dans des affaires de trouble à l’ordre public», selon la même source. R. N.

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