Louisa Dris-Aït Hamadouche, observatrice avisée du hirak et ayant pris part, trois ans durant, aux marches, aux débats et à diverses rencontres organisées par des acteurs politiques, a choisi d’aborder la question de la «représentation dans le mouvement».
L’analyse du mouvement populaire du 22 février 2019, le hirak, a donné suite à de nombreuses publications ces derniers mois. Il y a de tout et de toutes les couleurs. Des dizaines d’ouvrages ont été publiés. Certains sont sérieux, d’autres sont, en revanche, superficiels et de moindre valeur. Mais rares sont les analyses faites avec beaucoup de recul et prenant des aspects particuliers et essentiels pour la compréhension du mouvement lui-même.
Louisa Dris-Aït Hamadouche, politologue, vient d’en livrer une. Observatrice avisée du hirak et ayant pris part, trois ans durant, aux marches, aux débats et à diverses rencontres organisées par des acteurs politiques, cette enseignante à l’Université d’Alger a choisi d’aborder la question de la «représentation dans le mouvement».
Sous le titre «Les acteurs politiques et le hirak en Algérie : le dilemme de la représentation», la politologue revient dans son étude, réalisée pour le compte de l’Institut pour les sciences sociales et la recherche sur l’Algérie (ISSRA), sur cette problématique de taille que de nombreux observateurs ont posée après la suspension, puis l’interdiction par la répression des marches du hirak.
Remontant jusqu’au début de la contestation populaire, elle souligne d’emblée le rejet du leadership au nom «Yetnahaw Ga3 !» (qu’ils dégagent tous). «Parmi les problématiques analysées pendant et après ce soulèvement, citons le rôle des acteurs. En filigrane de cet aspect, s’est posée la représentation qui est rapidement apparue comme une problématique centrale. En effet, dans les manifestations, les réseaux sociaux et les prises de parole, apparaît, dès les premières semaines, une forte animosité à l’encontre de toute forme de représentation et d’organisation. Que celle-ci concerne les partis politiques connus ou les symboles qui ont émergé à cette période», rappelle-t-elle.
Partant de ce fait, la politologue analyse les éléments objectifs et subjectifs ayant conduit à ce résultat, en l’occurrence la grave crise de représentation et de la représentativité en Algérie. Malgré l’émergence durant le hirak de figures politiques, dont certaines étaient déjà connues avant 2019 sur la scène politique, le mouvement, souligne-t-elle, est resté sans leader. Et cela pour diverses raisons, dont particulièrement la politique des autorités «visant manifestement à prévenir l’émergence de forces organisées».
«Cette politique comprend des méthodes douces, telles que la récupération et la cooptation, mais aussi un arsenal répressif d’une intensité ascendante», relève-t-elle. Selon elle, les «termes de la problématique de la représentation ne sont pas dominés par les éléments classiquement admis dans les sociétés traditionnelles où le paternalisme, le charisme et le zaimisme sont dominants». «Même si l’absence d’un leader naturel a exacerbé la compétition entre les figures symboliques, le hirak a porté des symboles qui l’ont en même temps paralysé, neutralisant ainsi un quelconque leadership.
De façon assez surprenante, il semble, en effet, que le rejet de la représentation constaté dans le hirak soit non seulement lié aux accumulations historiques internes liées à l’absence de démocratie, mais également à la crise de la représentation constatée dans les régimes démocratiques», développe-t-elle.
la politologue conclut ainsi à une réalité handicapante qui serait, fort probablement, à l’origine de l’issue de ce mouvement. «Le hirak a implicitement remis en cause la représentation sans représentativité et imposé temporairement une distorsion paradoxale en termes de soumission à la conformité. Dans le hirak, la minorité (représentants) s’est soumise à la majorité (représentés)», précise-t-elle.