Une cinquantaine de morts et des milliers d’héctares brûlés : Incendies à El Tarf, ce qui s’est réellement passé

20/08/2022 mis à jour: 20:01
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La wilaya d’El Tarf n’a jamais connu de feux de forêt aussi violents (Photo : El Watan)

Attisé par un vent qui brûle la peau, très fort, plus de 91 km/h nous a-t-on précisé par la suite, les fumées qui se propagent à basse altitude s’apparentent à une nuée ardente qui brûle tout sur son passage. C’est la panique et le désarroi. La population désorientée quitte la ville et les habitations. Nous recevons des coups de fil d’automobilistes atterrés par les voitures qui filent à toute vitesse vers Annaba. Du moins celles qui ont réussi à passer avant le bouclage des 2 routes qui mènent à El Tarf et El Kala.
 

Le plus gros des habitants de la ville et les nombreux vacanciers qui s’y trouvent descendent en courant se réfugier vers les plages croyant certainement bien faire, mais d’où ils seront chassés par la police, pour leur sécurité semble-t-il, car ils sont sous le vent et un incendie déclaré dans le massif du Boulif les menace de ses fumées qui arrivent rapidement.
 

Des maisons du quartier Gelas nord sont touchées par les flammes et évacuées. Les habitants et leurs voisins porteront secours aux agents de la Protection civile. Il y a aura quelques dommages, mais pas de morts, que des brûlés à divers degrés. Le feu continuera sa route pour détruire la forêt adjacente. Sur le boulevard, les chapiteaux installés pour la saison estivale brûleront comme un fétu de paille sous le regard hébété des commerçants impuissants. 
 

C’est lorsque les flammes ont remonté dans la végétation de l’oued de la chaâbet Bouchefra pour atteindre, non sans causer des dégâts aux habituations proches, la station-service de Naphtal au cœur de la ville que la plus grosse frayeur s’est emparée du voisinage. Les pompiers ont circonscrit les flammes à quelques mètres des citernes. 
 

Mais en fait, l’épicentre des incendies qui ont touché El Kala se trouve à 15 km au sud-ouest de la ville, vers Annaba, entre les lacs Oubeïra et Mellah, en deçà du village Kantra El Hamra. C’est près du carrefour qui mène à la plage de la Vieille Calle et du Parc animalier de Braptia qu’on a retrouvé les cadavres calcinés d’une trentaine de personnes. Des visiteurs asphyxiés par les fumées qui ont enveloppé le Parc animalier, épargné lui par les flammes, ont été rattrapées par le front des flammes qui se déplaçait à une vitesse prodigieuse, selon les survivants qui ont eu la vie sauve en restant dans le parc. 
Avec 4 autres visiteurs retrouvés carbonisés dans leur voiture et les voyageurs du minibus qui a flambé avec ses passagers, le nombre de morts relevé sur les lieux, foudroyés par le passage des flammes, est d’une quarantaine, on compte les cadavres évacués vers les hôpitaux d’El Tarf et Annaba. Et il aurait encore une quinzaine de disparus, si on en croit les réseaux sociaux où des familles recherchent leurs proches. 
 

Un survivant raconte
 

Aïssa Biaci est gardien de la station de recherche biologique de l’université de Annaba, qui se trouve au carrefour et qui a flambé elle aussi. Il était dans le minibus avec 8 autres personnes, des locaux qui rentraient chez eux à El Melha. Aïssa, qui sait ce qu’est un feu de forêt, a vu les flammes arriver très vite. Il a sauté du minibus pendant que le chauffeur tentait une manœuvre pour faire demi-tour. «Ce que j’ai vu est atroce. J’ai vu les flammes fondre sur le bus et, en un clin d’œil, mes voisins sont devenus des torches vivantes que j’ai vues se consumer rapidement dans d’horribles cris de douleur. J’ai dévalé la pente pour frapper à la porte de mon beau-frère avant de m’évanouir», rapporte Aïssa toujours sous le choc et sous la surveillance de son fils qui ne le quitte pas. L’une des passagères, Salmi Sana, était ingénieur d’Etat au Parc national d’El Kala. 
 

Ce qu’il y a de singulier dans les incendies de mercredi, ce sont leur vélocité et leur intensité. En moins d’une demi-journée, ils ont parcouru des kilomètres tout en devenant plus puissants, autoalimentés par des vents très forts, violents. Rien ne présageait cette catastrophe à El Tarf. Les jours précédents, des températures de saison avaient provoqué quelques foyers mais sans donner de grandes inquiétudes. On s’attendait à un regain d’activité avec l’annonce d’une journée caniculaire avec 48°C à El Tarf mais semblable à l’année dernière à la même période, où il a fait aussi près de 50°C, mais avec des incendies qui n’ont fait aucune victime, pas même un animal, et 1500 ha de forêt brûlés. Ça n’a pas raté, les feux sont partis d’un peu partout presque simultanément, avec pour combustible une végétation très sèche déjà en août, la pluviométrie ayant considérablement baissé dans la région.
 

Cette année, on nous a parlé de nuée ardente, de fronts qui couraient plus vite que le vent et de tornades de feu. Un agriculteur près d’El Kala nous a raconté comment sa baraque et ses arbres fruitiers ont été arrachés et emportés dans les airs par une colonne de feu. Phénomène observé également par des scientifiques sur la route. 
 

Il n’y a malheureusement aucun bilan officiel qui ait été fourni par les autorités. Le nombre de morts est controversé, même celui donné par le Premier ministre jeudi à El Tarf devant les caméras de TV. On a appris de sources dignes de foi qu’il y aurait 26 cadavres à l’hôpital d’El Kala, 9 à l’hôpital d’El Tarf, 3 à l’hôpital de Bouhadjar, ce qui donne pour l’heure 37 morts et 160 blessés, dont la plupart sont des vacanciers. Aucune indication sur les dégâts, dommages et les pertes de cheptel. Rien non plus sur les superficies de forêt ravagées par le feu. Pour notre part, nous les estimons à plus de 15 000 ha dans toute la wilaya, avec quelque 10 000 ha dans le seul Parc national d’El Kala, ce qui est énorme mais pas exceptionnel pour cette aire protégée, la plus grande et la plus riche en biodiversité du pays et qui n’est plus que l’ombre d’elle-même.
 

Les praticiens de santé que nous avons rencontrés sont scandalisés et s’interrogent sur le changement de programme du Premier ministre qui devait passer à l’hôpital d’El Tarf. Ils nous ont appris que les blessés sont évacués vers d’autres hôpitaux nationaux parce que le service de chirurgie de l’hôpital El Hadi Bendjedid d’El Tarf est fermé depuis plus d’une année, depuis l’incendie qui l’a détruit entièrement le 18 juillet 2021, alors que l’hôpital de Besbes a son système de climatisation-stérilisation en panne. 
 

Depuis jeudi, les hélicoptères bombardiers d’eau de l’ANP sont entrés en action. Leur ballet a repris hier contre des incendies restés actifs à la périphérie d’El Kala. 

 

El Tarf
De notre correspondant  Slim Sadki

 

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