Le complexe sidérurgique Al Solb El Hadjar, autrefois symbole de la puissance industrielle algérienne, entamera l’année 2025 dans une situation alarmante : une rupture imminente de son stock de coke. Ce combustible, essentiel pour le fonctionnement du haut-fourneau HF2 et la production de fonte liquide, est désormais insuffisant, mettant en péril la continuité des activités du complexe. Les sidérurgistes sur place tirent la sonnette d’alarme.
Malgré une réserve de brames – un produit semi-fini – constituée pour assurer l’approvisionnement jusqu’à l’arrivée d’une éventuelle cargaison de coke, les conséquences de cette rupture pèseront lourd sur la production. «Nous serons forcés de mettre à l’arrêt le haut-fourneau, en attendant une hypothétique cargaison de coke pour le relancer. C’est une absence de prévisions inadmissible qui coûtera très cher au complexe», confie un ingénieur de l’ex-Sider El Hadjar. La rupture de stock n’affectera pas seulement le HF2, mais entraînera également l’arrêt des unités en aval, notamment les aciéries à oxygène 1 et 2 ainsi que l’unité de rond à béton (LRB) après l’épuisement des réserves de brames.
Cette situation intervient alors que le PDG du complexe est en prison depuis 29 octobre 2024, après avoir été placé sous mandat de dépôt par le magistrat instructeur près le pôle économique de Sidi M’hamed d’Alger. L’intérim est assuré par un ingénieur, chargé de la production. Il a été désigné par le PDG du groupe SNS (ex-Imetal) en attendant la nomination d’un nouveau directeur général. Selon un décompte officiel, le haut-fourneau a connu 152 arrêts en 2024, soit une moyenne de 12 arrêts par mois. Ce chiffre record, inédit dans l’histoire des hauts-fourneaux à travers le monde, impacte directement la productivité et les coûts. «Les arrêts répétés provoquent une consommation excessive de coke par tonne de fonte produite, ce qui fait grimper les coûts de production bien au-delà des normes internationales.
Pire encore, la durée de vie du haut-fourneau est compromise, réduisant sa campagne de 15 à seulement 10 ans», analyse Ahmed, un ingénieur en métallurgie. Les résultats de production illustrent cette dégradation : sur un objectif de 600 000 tonnes de fonte liquide, seules 368 424 tonnes ont été réalisées en 2024, soit un taux d’atteinte de seulement 61%. La production totale de produits finis ne représente que 273 626 tonnes, soit 49% des objectifs fixés.
LA ZONE CHAUDE NON PERFORMANTE
Quant à la fonte en fosse, un record a été enregistré cette année. En effet, quelque 30 000 tonnes ont été versées dans la fosse. La zone chaude, cœur névralgique de la production, a pourtant bénéficié d’un investissement colossal de 400 millions de dollars en 2017. Cependant, elle reste le principal foyer des arrêts, ce qui suscite de vives critiques envers les responsables maintenus ou promus malgré des résultats en deçà des attentes. «Avec ces résultats, le complexe d’El Hadjar vient de connaître sa pire année de production depuis sa création, malgré une conjoncture de marché favorable et son monopole sur les produits plats. Cette situation a contraint l’Etat à débourser d’importantes sommes en devises pour importer des produits que Sider aurait pu fabriquer localement.
Une production nationale suffisante aurait permis de répondre aux besoins de l’industrie locale, augmentant ainsi le taux d’intégration de nombreux produits manufacturés, notamment dans les secteurs de l’électroménager, des tubes, de la carrosserie et des produits galvanisés à forte valeur ajoutée. Or, la ligne de galvanisation a été quasiment paralysée, atteignant une production de seulement 23 000 tonnes sur une capacité annuelle de plus de 100 000 tonnes, au bénéfice des importateurs», regrettent des cadres de l’entreprise. Les travailleurs pointent du doigt les membres du conseil d’administration, notamment ceux du comité de participation, accusés d’avoir cautionné les décisions controversées de l’ex-PDG, en prison depuis octobre dernier.
La rupture du stock de coke n’est que la partie émergée de l’iceberg. D’autres produits consommables stratégiques sont également menacés d’épuisement, aggravant la situation. Avec ses 6200 employés, Al Solb El Hadjar représente un pilier de l’économie régionale. Pourtant, l’incapacité des dirigeants à gérer les besoins essentiels du complexe suscite des doutes sur l’avenir de l’usine. «Comment garantir la pérennité d’une entreprise aussi importante alors que ses dirigeants échouent à anticiper les besoins de base comme le coke ?» s’interrogent les travailleurs.
Pour les experts, la situation actuelle illustre un besoin urgent de réforme dans la gouvernance du complexe. L’établissement d’une stratégie claire pour assurer un approvisionnement stable, une maintenance efficace des infrastructures et une gestion responsable est impérative pour sauver ce géant industriel. Alors qu’Al Solb El Hadjar entame une nouvelle année sous des auspices sombres, la question reste en suspens : ce complexe pourra-t-il surmonter cette crise et retrouver son rôle de locomotive de l’industrie sidérurgique nationale ? A suivre…