Transition visuelle : La télévision peut-elle remplacer le cinéma ?

12/05/2024 mis à jour: 18:57
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Coup de pouce : L’affiche du court-métrage de Abdelkader Guidoum, Coup de pouce, qui vient d’obtenir le premier prix au journées internationales du cinéma de Sétif. Ce qu’il faut au cinéma, un véritable coup de pouce)

La question semble absurde, comme si un implant dentaire pouvait réellement remplacer une dent, mais elle se pose quand même, y compris à Sétif lors des journées internationales du cinéma qui viennent de se tenir, sans salle de cinéma.

A Sétif el 3alia, posée sur un haut plateau à même le sol, l’activité commerciale est florissante mais pas vraiment celle du cinéma. La dernière salle de la ville, L’Africa, est toujours en travaux, depuis 15 ans et le réalisateur Djaffer Gacem, président du jury, et invité à prendre la parole sur le podium d’honneur aux journées internationales du cinéma, est optimiste : «L’édition prochaine, il y aura une salle, les autorités concernées ont profité promis de le faire.»

Fin de la promesse, et non loin de là par la route de Kherrata et ses fameuses gorges de Chaâbet lakhra, Le ravin de l’au-delà, en référence aux suppliciés jetés par la France coloniale en mai 1945, Béjaïa et sa maison de la culture qui programment en ce moment des séries ramadhan, Dar Lefchouch 2 et Batha 2, projetées comme du cinéma. Organisée par l’association Project-heurts, qui organise en parallèle chaque année les RCB, rencontres cinématographiques du cinéma, dédiées au cinéma, l’idée a étonné les puristes.

Comme Abdelkrim Tazarout, journaliste, critique de cinéma et écrivain, qui résume cette «version cinéma de la régression féconde en politique réclamée en plein Algérie en crise», soulignant en s’offusquant, qu’une «comédienne star du petit [écran] a carrément proposé de diffuser des séries télé dans les festivals de cinéma», tout en évoquant un autre comédien qui se dit «émerveillé que les séries se voient mieux sur grand écran» sur le mode «on voit mieux la technique et les détails», en exigeant «qu’il est temps de diffuser les séries dans les salles de cinéma». Résultat escompté pour Abdelkrim Tazarout, enfant de Béjaïa, qui ironise : «Avec le retour massif du public dans les salles de cinéma, les caisses du cinéma seront renflouées, le FDATIC remis sur rail et le cinéma relancé.»

La cinémathèque de Béjaïa étant fermée et son compte facebook n’ayant plus rien publié depuis octobre 2023, on peut s’attendre au pire, des festivals télé pour compenser le faible nombre de films cinéma produits, (5 en 2023), et la glorification du petit écran, de ses stars et de la publicité Coca-cola par le fait que comédiens et comédiennes alternent entre la télévision et le cinéma, opérant une confusion de genre, tout n’est pas aussi noir pour autant.

D’abord Bachir Derraïs, réalisateur et producteur de Ben M’Hidi, a fustigé ceux qui fustigent les comédien(ne)s de séries TV, présent à Annaba et à Sétif pour son film il a déclaré que «la dernière édition du festival d’Annaba a mis en lumière une vérité incontestable : les familles, jeunes et adultes confondus, se pressent non seulement pour savourer les productions cinématographiques mais aussi pour côtoyer ces célébrités et saisir l’occasion de les immortaliser en photos, ces influenceurs, ainsi qualifiés, pourraient jouer un rôle considérable dans l’augmentation de la fréquentation des salles obscures, dont le nombre est limité», relativisant ainsi la confusion ciné/TV par «il est capital d’adopter une attitude plus indulgente envers ces acteurs émergents du paysage audiovisuel algérien».

Ensuite, pour ne pas déprimer comme Abdelkrim Tazarout, il y a toujours le court-métrage, moins cher à produire, terrain d’expérimentation et plus ouvert sur ses thèmes, qui est encore en vogue (voir l’article Le court-métrage, bref avenir du cinéma sur El Watan du 16/07/2023). Même si tout le monde les méprise un peu, amateurs ou dépourvus de noblesse, ils étaient pourtant l’objet du festival de Sétif, où a quand même été projeté le long-métrage Ben M’hidi qui a attiré la foule, et de celui du court-métrage d’Imedghacen qui se tient en ce moment à Batna. Où sera projeté demain Ben M’hidi. Oui, c’est un long. 

Courts mais pas lourds

Comme pour Annaba qui a clôturé les portes de son festival la semaine dernière, Sétif abrite aussi un festival de cinéma, pour les courts-métrages, dénommé Les 5es Journées internationales du cinéma, qui se sont déroulées du 4 au 7 mai.

200 films envoyés 24 sélectionnés, mais toujours pas de salles de cinéma, tout s’étant fait à la Maison de la culture, pour les projections, et pour les cérémonies dans la salle des fêtes du Dôme au Park Mall, plus grand centre commercial d’Algérie inauguré par Amar Ghoul aujourd’hui en prison, où le cahier des charges a oublié de mentionner l’obligation d’un multiplex, pour faire comme à Alger ou Oran. Bref, Annaba non plus, pas de salle de cinéma sinon l’Olympic, en plus ou moins bon état où l’on retransmet des matchs de champion’s league, et l’hôtel Seybousse.

Sétif, pas de salle mais l’hôtel du Park Mall justement, et la comparaison s’arrête là, Annaba ce sont 10 milliards de budget, Sétif 260 millions, hors sponsors, généreusement offerts par l’APC de la ville. Bref, c’est dans le Dôme que s’est projeté en clôture du festival un long-métrage, Ben M’hidi, avec un DCP (système de diffusion haute définition) de location venu d’Alger, ce qui a fait dire à Bachir Derraïs : «On a projeté Ben M’hidi à Alger dans un opéra, à Annaba dans un théâtre et à Sérif dans une salle des fêtes».

Il faut quand même parler du festival, organisé en hommage au 8 Mai 45 et avec Tiyara sefra, de Hadjer Sebata, qui relate l’histoire d’une jeune Algérienne, Djamila, campé par Souhila Maâlem, qui a perdu son frère sous les bombes lâchées par «l’avion jaune», nom donné aux avions de guerre utilisés à cette époque par l’armée coloniale.

La première réalisatrice algérienne à mettre en scène une œuvre cinématographique sur la glorieuse Révolution de libération a eu droit à un hommage, et pose la question de la relation entre l’histoire et le cinéma, sujet à venir, mais c’est Abdelkader Guidoum qui a eu l’épi d’or, prix du court métrage, pour Coup de pouce, avec Mohamed Bendaoud, autour d’un architecte qui hésite à abandonner sa passion. 

Dehors, à Sétif où il a plu en ce dernier jour de festival, le film était en ballottage avec le match PSG-Dortmund où le jeune acteur Ramy Bensebaïni n’a finalement pas joué. Oui, ce sont les Allemands qui ont gagné, pas les Français. Tout va bien.

 

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