Par Krissat Abdelaziz
La recherche des hydrocarbures en Algérie du Nord a débuté à la fin du XIXe siècle : le premier champ pétrolier fut découvert en 1949 à Oued Guétrini (situé entre Sidi Aïssa et Sour El Ghouzlane) par la Société SN Répal.
Elle s’est poursuivie au Sahara dans le plateau du Tidikelt (In Salah, Berga, Aoulef) où les sociétés CREPS et CEP mirent en évidence le premier gisement de gaz à In Salah en mars 1954.
L’année 1956 fut prolifique en découvertes majeures: Edjelé (pétrole) en février ; Zarzaitine (pétrole) en mai ; Hassi Messaoud (pétrole) en juin, découvert par les Sociétés SN Répal et CFPA qui ont également mis en évidence le gisement de Hassi Rmel (gaz) en décembre de la même année.
A eux seuls, les champs de Hassi Messaoud et de Hassi R’mel recèlent, aujourd’hui, près de 50% des réserves prouvées récupérables dont dispose le pays !
Après 1956, de nombreuses autres accumulations d’hydrocarbures furent découvertes, tant pour le gaz (Alrar, Hamra, Rhourde Nouss) que pour le pétrole brut (Ohanet, El Borma, Mereksen, Stah, Tin Fouyé Tabankort, Gassi Touil, Rhourde El Baguel, Haoud Berkaoui).
Dans la décennie 1990,le partenariat entre la Société nationale Sonatrach et ses associés, notamment l’italien AGIP (du groupe ENI) et l’américain Anadarko, a permis la découverte d’importants gisements de pétrole dans le bassin de Berkine (Hassi Berkine Sud, Rhourde El Khrouf, Ourhoud, El Merk), grâce auxquels l’Algérie a pu reconstituer ses réserves de pétrole au niveau de celles de 1970.
Ces hydrocarbures découverts (gazeux et liquides) sont dénommés «conventionnels» : ils se sont formés à différentes périodes géologiques dans une roche mère, puis ont migré et ont été piégés dans une roche réservoir (grés du Cambrien de Hassi Messaoud par exemple) ayant de bonnes caractéristiques pétro physiques : en porosité (10 à 20% en moyenne) et en perméabilité (plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de millidarcys).
Les réserves prouvées récupérables de ces hydrocarbures conventionnels sont estimées à ce jour-là :
-10 à 12 milliards de barils (bbl) pour le pétrole brut (1bbl=159 litres; 1 m3=6,3 bbl)
-2400 à 2700 milliards m3 pour le gaz naturel
Au rythme actuel de production, ces réserves seraient épuisées dans 15 ans pour le pétrole (en 2040) ; et en 25 ans pour le gaz naturel (en 2050).
Pour assurer la sécurité énergétique du pays, objectif stratégique, et disposer de moyens de financement de son économie (par le biais de l’exportation), il est impératif de développer de nouvelles sources d’énergie et de définir un nouveau schéma de transition énergétique.
Parmi les ressources existantes, figurent les hydrocarbures «non conventionnels», piégés dans une roche mère très compacte (et non dans une roche réservoir), et possédant des caractéristiques pétro physiques très médiocres (porosité inférieure à 5-6%, et perméabilité quasi nulle).
Ces hydrocarbure «non conventionnels» sont de nature fossile, tout autant que les hydrocarbures «conventionnels», et ont la même composition chimique (à base de carbone et d’hydrogène, de type CnH2n+2).
Parmi ces hydrocarbures non conventionnels, figure «le gaz de schiste» (ou «shale gas» en anglais).
Pour libérer ce gaz de schiste (gds) et le produire, il va falloir d’abord atteindre la roche mère par un forage horizontal et ainsi augmenter la surface de contact entre le puits et le gisement, afin de compenser la médiocre perméabilité de la roche, et faciliter par là même un écoulement plus fluide du gds vers le puits.
Puis, il faudra fracturer la roche, avec pour but d’obtenir une perméabilité artificielle, en créant ou en réactivant un réseau de fissures naturelles. La fracturation hydraulique utilise un fluide (à base d’eau, de sable, et de divers additifs chimiques), qui est injecté à très haute pression (300 à 600 kg/cm2).Elle est réalisée par une Société de Services spécialisée (Schlumberger, Halliburton, Baker) à l’achèvement des travaux de forage, après la complétion du dernier drain horizontal; et après la démobilisation de l’appareil de forage.
Ce qui nécessite d’avoir, sur la plate-forme du chantier, une puissance de pompage installée de 40 000 ch (chevaux).
Cette fracturation hydraulique (dont la durée varie de 3 à 10 j aux USA) a lieu à la profondeur de la roche mère, sur un drain horizontal (de plusieurs centaines de mètres, jusqu’à 5000 m).
Le puits, qui doit être renouvelé en moyenne tous les 2 ans en raison de sa faible productivité (égale à 20% au maximum, alors qu’elle est de l’ordre de 75 à 90% pour le gaz naturel conventionnel, avec une durée de vie des puits de production jusqu’à plusieurs décennies, comme à Hassi Rmel par exemple).
L’optimisation de la longueur du drain horizontal à forer, celle du nombre d’étages à fracturer (10 à 15 sur 1500m de drain aux USA) et le choix de leur emplacement ont un rôle déterminant pour maximiser le volume de production du puits : plus celui-ci sera important, plus le nombre de forages de renouvellement du puits diminuera; ce qui permettra de réduire les coûts d’investissements, et donc d’améliorer la rentabilité globale du projet.
Cette optimisation requiert une solide expertise en géologie, forage, réservoir engineering et une étroite coordination entre ces métiers.
Elle est mise en œuvre également pour limiter l’emprise au sol des installations de forage, dans l’implantation des multiples drains, à partir de la même plate-forme, pour 10 à 30 puits ! Souvent, les sociétés de production de gds font appel à des sociétés de services spécialisées pour réaliser ce programme d’optimisation.
Toutes les considérations techniques citées plus haut à propos du gds, demeurent valables pour le «pétrole de schiste» (pds) à la nuance près que l’hydrocarbure non conventionnel liquide (pds) a un taux de récupération moindre, qui ne dépasse pas 10% ! et un cycle de vie productive de 3 à 4 ans, avec un déclin rapide de la production : la première année de près de 60 à 70%, et de 85% la troisième année !
Les coûts de production des hydrocarbures non conventionnels sont plus élevés que ceux des gisements conventionnels, en raison des dépenses générées par les forages horizontaux et la fracturation hydraulique (en moyenne 2 millions $ aux USA, soit 25% du coût du puits) et surtout du cycle court de la vie des puits de production qui nécessite de réaliser en permanence de nouveaux forages afin de maintenir une production constante.
Selon les études de bureaux étrangers, les ressources de gaz de schiste en place en Algérie seraient de l’ordre de 20 000 G m3 (1G=1 milliard), ce qui placerait notre pays dans le top 5 des nations pourvues de cette ressource. Les trois ou quatre gisements à haut potentiel de gds seraient situés au Sahara occidental (Ahnet, Timimoun) ; les autres au Sahara oriental (dans le Bassin de Berkine).
Il y a lieu de préciser qu’aucune campagne systématique de géologie, de géophysique ni de forage n’a été réalisée pour corroborer ces estimations.
Les USA détiennent le premier rang en termes de réserves de gaz de schiste.
C’est aussi le seul pays au monde qui a réalisé l’exploitation systématique et intensive de ses réserves de schiste (aussi bien pour le pétrole que pour le gaz) en forant des milliers de puits à partir de 2008 ; cette exploitation ayant débuté dans le bassin de Eagle Ford (dans le sud du Texas), mais aussi dans celui de Marcellus (Pennsylvanie, Virginie), de Bakken (Dakota), dans le Bassin Permien (Texas, Nouveau Mexique).
Il y a environ 40 000 puits de gaz de schiste qui produisent 1 trillion de m3 (1000 G m3). La production moyenne par puits est de l’ordre de 25 millions de mètres cubes/an ; soit 70 .000 m3/jour.
C’est ainsi que les USA sont devenus l’un des plus grands producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz dans le monde.
Grâce notamment aux performances de forage réussies (un puits de 2500m est achevé en 20 jours :15 jours de forage et 5 jours de fracturation), le gaz de schiste américain a été produit à un coût de revient de 3,5$ / mbtu (million de british thermal unit) soit 0,125 $/m3 (1 mbtu=27 m3 gaz).
Ces dernières années ,le marché du gaz étant favorable avec un prix de vente largement supérieur à ce niveau de coût, la rentabilité du gaz de schiste était assurée. En cas de retournement du marché, il n’en sera plus de même ! Parmi les facteurs de succès du «boom américain», le premier réside dans le fait que tout le matériel (appareils de forage, équipements de puits, installations de surface...), les techniques de fracturation, les produits et additifs de fluide de forage, les sociétés de service et la puissance du secteur parapétrolier, et de façon générale le «know how»,... sont «made in USA».
Rien n’est importé! Tout est disponible «at home» et «at hand». De plus, les Sociétés opératrices ont à leur disposition un parc de forage dense qui compte aujourd’hui plus de 600 installations en activité. (Avec un pic de plus de 1300 vers les années 2015).
A) L’EXPÉRIENCE AMÉRICAINE PEUT-ELLE ÊTRE REPRODUITE AILLEURS ?
A1) Hors des USA :
Des études du cabinet AT Kearney et de Blomberg New Energy Finance (BNEF) montrent que de nombreux facteurs interdisent d’extrapoler le succès du gaz de schiste aux USA, au reste du monde. Car certains facteurs sont non transposables :
-les réserves ne peuvent être connues avec certitude et précision, qu’après qu’un minimum de forages d’appréciation soit réalisé.
-il faudrait des années pour acquérir l’expertise nécessaire et développer les centaines ou milliers de puits de production.
- Les volumes d’eau nécessaires à la fracturation hydraulique sont énormes : en moyenne 15 000 m3/puits jusqu’à 50 000 m3/puits à Eagle Ford (13 millions gallons ; 1 gallon #4 litres) selon ACS Publication du 8 février 2024 (moyenne valable pour les gds et les pds ou «pétrole de schistes»).
Selon le cabinet BNEF, à production égale, un puits coûterait 2 à 3 fois plus cher en Europe qu’aux USA (7,10 à 12,20 $/mbtu pour le Royaume Uni), sans même inclure les éventuels coûts supplémentaires de construction de réseaux locaux et de traitement du gaz nécessaire à l’obtention d’un produit compatible avec les standards du marché européen du gaz.
Le cabinet BNEF a également rapporté en mai 2014, que depuis 2010 (début de la production de shale gas), la dette de 61 entreprises américaines a doublé en 4 ans. La société Chesapeake, pionnière dans le gds (gaz de schiste), et emblématique dans cette activité, a déposé le bilan en juin 2020. Des pays à grand potentiel de gds connaissent des difficultés pour son exploitation, tels que la Chine et l’Argentine. En France, la recherche et la production du gds et du pds ont fait l’objet d’un moratoire en 2013.
A2) Qu’en serait-il en Algérie ?
A2-1) Le défi de la performance de forage:
L’expérience algérienne à ce jour se limite au forage de 2 puits de gds à In Salah en 2014 et 2015, à 2900m de profondeur, réalisés en 6 mois chacun, et qui auraient coûté 17 millions $ chacun.
Nous sommes donc bien loin des standards américains ! (un puits à 2500m en 20 jours pour 7,5 million $, fracturation comprise).
Ces résultats d’In Salah n’ont rien de surprenant pour les observateurs et les analystes de l’activité de forage de Sonatrach, et sont conformes à ceux observés à partir de l’année 2010, qui a connu une dégradation continue de ces performances.
A2-2) La consommation d’eau et les autres contraintes logistiques :
Il a été rappelé qu’un puits de gds consomme 15 000 m3 en moyenne, jusqu’à 50 000 m3 ! Le seul aquifère disposant de très grandes réserves est l’Albien (50 000 G m3).Cette nappe n’est pas éruptive partout au Sahara, notamment dans sa partie occidentale où seraient localisés les gisements à haut potentiel de gds. Dans ces régions, l’Albien affleure en surface et sa contribution à l’alimentation en eau des forages de gds est nulle, sinon très aléatoire.
En cas donc d’impossibilité de disposer de puits d’eau, il faudra recourir au citernage : 500 transports de camions-citernes de 30 m3 doivent être mobilisés (au moins) pour alimenter un seul puits de gds ! Les appareils de forage devront également être équipés de lourdes installations de traitement du fluide de forage, contaminé lors de la fracturation de la roche mère. A ce sujet, il faut noter que 20 à 70% du fluide de fracturation ont été récupérés à Eagle Ford.
La contamination des nappes phréatiques du puits de gds par les additifs chimiques du fluide de fracturation n’est pas également à écarter. Rappelons que le fluide de forage doit contenir du sable qui sert d’agent de soutènement lors de la fracturation: il en faut 5000 T (tonne) en moyenne par puits ! (il en a fallu jusqu’à 7500 T/puits à Eagle Ford) et également des additifs chimiques dont certains sont soupçonnés par ailleurs d’être cancérigènes (barium, uranium, strontium..).
A2-3) Quelles hypothèses pour la production de gds et pour la mobilisation des moyens de forage ?
Il y a lieu tout d’abord de noter qu’aucune information fiable n’a été fournie par SH sur le débit de gds des 2 puits forés à In Salah. Cela n’a pas empêché certaines sources spéculatives d’avancer le chiffre de 180 000 m3/j (soit 55 millions de mètres cubes/an, le double de la production américaine !) Qui serait constant pendant 18 mois !
Ce qui est considéré «contre nature» et fortement contestable, car, comme cela a été signalé plus haut, dans la presque totalité des puits de gds aux USA, il y a réduction du débit de plus de 60% la première année, et près de 80% après les deux premières années de production ! (A suivre) K. A.