Stress hydrique : Faut-il proscrire les fruits gourmands en eau ?

25/08/2022 mis à jour: 01:03
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Photo : D. R.

Alors qu’on parle beaucoup de gaspillage alimentaire, de pollution ou encore d’empreinte carbone, on oublie souvent que la culture d’aliments que l’on consomme, notamment les fruits, ont aussi un impact sur l’environnement. l’empreinte hydrique devient plus que jamais nécessaire. Explications !

C’est pourquoi, adopter de nouvelles habitudes de consommation pour réduire certains aliments sont de véritables désastres écologiques et atteignent des records en termes de consommation d’eau. C’est d’ailleurs, le cas de certains fruits. En effet, si leurs besoins en eau sont variables, Djamel Belaid, ingénieur agronome, estime qu’aujourd’hui, il est important de choisir les fruits à consommer, même si ces derniers sont de saison. Selon lui, il est nécessaire de tenir compte de l’évaporation et de la transpiration des plantes.

C’est pourquoi, il juge la localisation de ces dernières importante. A cet effet, il explique : «L’évaporation est plus importante au sud et en présence de vent. C’est d’ailleurs pour cela que les agriculteurs installent des brise-vent.» Néanmoins, le constat est là : certains fruits sont plus gourmands que les autres en eau. A titre d’exemple, le raisin de table se contente de 300 millimètres de pluie, mais il en faut plus pour le pêcher avec 890 mm ou le prunier avec 785 mm.

Le cerisier a, quant à lui, besoin que de 540 mm et l’abricotier de 526 mm. En revanche, la pastèque et le melon, très consommés en été, ont besoin de 600 mm en période de croissance mais sont tout de même cultivées dans le Sud où la pluviométrie annuelle est de 50 mm. «Leur culture n’est possible que grâce à un recours abusif de l’eau des nappes souterraines. D’ailleurs, à Tamanrasset, les services de l’hydraulique ont noté que le développement de la culture de la pastèque serait la cause de la baisse du niveau du barrage en profondeur d’In Amguel», assure M. Belaid.

Toujours dans le Sud, là où est cultivée la mangue, qui pousse naturellement en milieu tropical, l’arbre ayant des besoins particulièrement élevés entre la floraison et la formation des fruits, ce qui nécessite de 150 à 200 m3 d’eau par semaine. «Des plantations privées de manguiers ont été effectuées à Tamanrasset mais les producteurs se plaignent du manque d’eau», poursuit Djamel Belaid.

Pour ce qui est de la banane, qui habituellement pousse dans les régions recevant 2000 mm de pluviométrie, le chercheur assure qu’elle est actuellement cultivée uniquement sur le littoral car la plante craint les basses températures. Or, la pluviométrie est de 400 mm à Oran, 800 mm à Alger et 1200 mm à El Tarf.

«Cela signifie que la culture de la banane ne peut donc se faire qu’en recourant aux pompages dans la nappe phréatiques», assure-t-il. Et la surexploitation des nappes pour des besoins agricoles, industriels ou urbains n’est pas sans conséquences. «Des mesures de qualité de l’eau montrent qu’à l’est de la capitale (Bordj El Kiffan), l’eau de la nappe est salée. L’eau douce pompée est remplacée par de l’eau de mer car en profondeur, la mer rentre dans la nappe phréatique», explique M. Belaid.

Goutte à goutte

En ces circonstances de réchauffement climatique, de sécheresse et de stress hydrique, serons-nous, dans l’obligation, dans un future proche, de stopper la culture de certains fruits, beaucoup trop gourmands en eau ? Pour Djamel Belaid, stopper la culture des fruits consommant beaucoup d’eau relève d’un processus de concertation. Selon lui, il s’agit de réunir agriculteurs, services agricoles et services de l’hydraulique afin d’examiner l’état de la réserve hydrique pour chaque région. «Puis en fonction du quota autorisé pour assurer une durabilité de la ressource en eau, c’est aux irrigants de déterminer pour chacun le volume d’eau à se répartir», propose-t-il.

Pour ce qui est des cultures stratégiques à privilégier et celles à mettre en stand by, le spécialiste estime que la décision revient aux pouvoirs publics. «C’est aux autorités de définir et de traduire dans les faits les cultures stratégiques : céréales, pomme de terre, légumes secs et oléagineux», assure-t-il. Néanmoins, il estime que l’expérience tunisienne mérite l’attention et en particulier celle des irrigants de la région de Bsissi Oued El Akarit, qui ont réussi à mettre en place un dispositif de gestion et de contrôle.

Selon M. Belaid, le processus de concertation qui a conduit à ce dispositif de gestion a réussi grâce à deux paramètres. Le premier est la posture de l’administration, à la fois ferme en matière d’application des lois en vigueurs, et ouverte à la concertation avec les agriculteurs. Le second concerne les compétences et la légitimité des leaders du groupement. «Cette expérience montre que, dans certains cas, les agriculteurs peuvent devenir partie prenante d’une cogestion des eaux souterraines pour un usage durable de cette ressource», assure M. Belaid.

A noter que de plus en plus de ces cultures sont irriguées via le système du goutte à goutte. A titre d’exemple, en 2016 à Guelma, 228 hectares ont été irrigués par goutte à goutte contre seulement 105 la campagne précédente.

Mais ce doublement n’empêche pas les pénuries d’eau. A cet effet, le spécialiste explique que le besoin en eau est tel que pour alimenter en eau les villes du littoral, il est fait appel au dessalement d’eau de mer, une technique particulièrement gourmande en énergie et en membranes de filtration. Par ailleurs, l’ambition des services agricoles est d’économiser la ressource hydrique utilisée en agriculture. En effet, le secteur agricole utilise jusqu’à 70% des ressources en eau du pays.

Toutefois, le spécialiste révèle un «grave»malentendu vis-à-vis du goutte à goutte. Expliquant qu’il a été observé que si un agriculteur a un hectare irrigué de façon traditionnelle et qu’il passe au goutte à goutte, l’année suivant il plante deux hectares. «Il a été remarqué que quand un agriculteur passe au goutte à goutte, il plante un nouvel arbre entre ceux existants.

C’est bien sûr l’eau économisée qui permet cette extension de surface ou de plantation. Il y aura donc une augmentation de la production agricole, mais pour la localité considérée, il y aura toujours une consommation de 70% de la ressource en eau utilisée par l’agriculture », précise-t-il. Ce qui n’est plus audible en ces temps de changements climatiques.

Pour Djamel Belaid, face aux changements climatiques, il y aura, sans aucun doute, à faire des choix de la part des agriculteurs mais aussi de la part des consommateurs. «N’oublions pas qu’en 2017, la wilaya d’Annaba a ainsi connu un mouvement de colère face à la pénurie en eau potable suite à la baisse du niveau du barrage de Cheffia», rappelle le chercheur qui estime que l’exemple de la mangue, un fruit tropical planté en zone aride à Tamanrasset ou la banane cultivée sur le littoral qui ne survit que grâce au dessalement de l’eau de mer «sont des exemples d’aberrations écologiques et économiques». Pour le chercheur, il est urgent d’économiser l’eau en agriculture et recommande la réutilisation en agriculture de l’eau des station d’épuration des eaux usées.


 

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