Souheil Guessoum : «La détaxation doit concerner aussi les entreprises»

20/02/2022 mis à jour: 14:59
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Photo : D. R.

Le président du Syndicat national du patronat citoyen du numérique et vice-président CAPC en charge du numérique revient sur les dernières décisions du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, relatives à la détaxation de l’achat en ligne pour les particuliers et les startup. Il parle de l’impact de ces mesures sur les entreprises, mais aussi des entraves auxquelles ces dernières sont confrontées.

  • Le président de la République a décidé de détaxer les achats en ligne à usage individuel mais aussi pour les start-up. Quel est l’impact attendu d’une telle décision sur le secteur du numérique, notamment sur les entreprises qui sont exclues de cette exonération d’impôts ?

La réduction, voire l’abolition des taxes sur les équipements informatiques a toujours été le combat du Syndicat national du patronat citoyen du numérique et de la Confédération algérienne du patronat citoyen. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la décision de détaxer les achats en ligne et ceux d’équipements informatiques pour les particuliers et les start-up. Cependant, nous aurions souhaité que cette détaxation inclut tout le secteur et pas uniquement les particuliers et les start-up.

Tout d’abord, une réduction globale permettrait de dynamiser considérablement le secteur du numérique, qui en a vraiment besoin. Cela permettrait également de booster les actions de l’entreprise vers la création de richesse, aussi bien au niveau national que vers l’international (forte valeur exportatrice à développer).

Enfin, une détaxation pour les particuliers et les entreprises, ensemble, permettrait le développement d’une synergie nationale qui exploiterait le fort potentiel numérique existant chez nos jeunes, qui boosteraient par leur savoir et leur sens de l’innovation l’entreprise algérienne. Malheureusement, et il est important de le souligner, détaxer seulement les particuliers va probablement créer quelques problèmes que j’énumère comme suit :

- développement d’un marché informel important qui exploiterait la détaxation de l’importation du particulier, développerait un marché libre de toute taxe qui viendrait remplacer le marché légal de l’entreprise.

- Cette entreprise se verrait absorber par une compétition illégale et malsaine qui viendrait la remplacer, empêchant son développement, la réduisant à néant à moyen terme.

- De plus, le particulier est affranchi de toutes les autorisations exigées à l’entreprise, malheureusement nombreuses : autorisation Arpce pour tout équipement incluant un bluetooth, un wi-fi ou tout protocole de communication à distance, nécessitant des semaines d’attente, engendrant d’importants surcoût d’emmagasinage et des manques à gagner considérables.

- Enfin, il me semble que nous allons assister à une croissance exponentielle de l’importation du particulier, qui solliciterait le marché parallèle de la devise, creusant encore plus l’écart avec le taux bancaire.

  • Vous avez à maintes reprises soutenu qu’il sera difficile de développer le secteur en raison des dernières lois qui rendent quasiment impossible d’importer du matériel informatique, une licence légale, un routeur ou un switch. Qu’en est-il depuis que vous avez dénoncé cette situation qui vous empêche de travailler ?

Effectivement, nous dénonçons depuis des mois les nouvelles lois qui entravent l’importation d’équipements informatiques. Je citerai notamment :

- l’importation du logiciel, assimilé à un service nécessitant donc une autorisation d’importation établie par le fisc, suivie d’une domiciliation bancaire pour le transfert. Les autorisations tardent souvent à voir le jour et parfois elles n’arrivent même pas. Il est important de dissocier le logiciel du service. Le logiciel est un produit, certes immatériel, mais qui ne peut être assimilé à un service.

- L’importation d’un routeur ou d’un switch à la revente est impossible aujourd’hui. Classés dans la nomenclature douanière «autres» totalement interdite à l’importation, aucune solution n’est aujourd’hui proposée.

- Citons également la dissociation des codes d’activité du registre du commerce, qui forcent aujourd’hui l’entreprise exerçant dans le secteur à démultiplier ses codes d’enregistrement par la création de plusieurs registres du commerce impliquant une multiplication des frais organisationnels et de gestion d’une manière totalement inutile. A titre d’exemple, un téléphone IP, outil informatique par excellence, est assimilé au même code que le téléphone normal. Il en est de même pour la visio-conférence.

Un data show est assimilé à du matériel vidéo. Donc, si vous voulez importer ces équipements, il va vous falloir une multitude de registres du commerce, ce qui devient aberrant.

- Enfin, la surrégulation du secteur, problème chronique dont souffre le numérique, constitue un frein au développement de l’activité. Chaque action, chaque développement, chaque importation nécessite un agrément ou une autorisation nécessitant des semaines, des mois et parfois même des années (nous l’avons déjà vu) d’attente.

Nous n’avons donc pas cessé d’alerter quant à ces règles ou lois aberrantes. Même si nous avons vu quelques avancements (exemple : plus de facilité dans la domiciliation bancaires des logiciels), les autres règles restent aujourd’hui d’actualité et entravent le vrai développement de l’activité du numérique.

  • Est-il alors possible de développer les services, le numérique dans notre pays, comme le prétend le gouvernement, alors que les écueils et les entraves n’arrêtent pas de se dresser sur le chemin des entreprises du secteur ?

Cela reste très difficile. Nous avons besoin d’une grosse cylindrée qui puisse avancer très vite afin de, non seulement, combler le retard dans lequel nous nous débattons mais surtout devenir l’acteur majeur régional et international dans le secteur. Au lieu de cela, nous avons une petite voiture avançant lentement, bloquée par des entraves rendant les efforts du gouvernement et la priorisation du secteur quasiment caduques.

  • Vous avez même alerté sur la situation de délabrement dans laquelle se débat le secteur et pose un problème de sécurité nationale. Pensez-vous qu’une telle alerte a bousculé les consciences ?

Afin d’avoir une vraie sécurité du numérique, nous devons tout d’abord avoir une infrastructure de base homogène, réfléchie et complète. Aujourd’hui, il est difficile d’acquérir la bonne infrastructure qui assurerait les protections sécuritaires nécessaires.

A titre d’exemple, il nous était impossible pendant quelques mois d’importer un antivirus car assimilé à une importation de services et donc non domiciliée par les banques. D’ailleurs, seuls les dossiers d’importation en mode fonctionnement sont aujourd’hui permis, l’importation et la revente en l’état d’un logiciel étant encore bannies.

Beaucoup d’entreprises n’ont toujours pas mis à jour leurs infrastructures, leurs logiciels ou leurs équipements, ce qui représente des failles dans leurs systèmes, s’exposant à des attaques importantes et exposant également toutes les entreprises en contact avec elles aux vulnérabilités citées. Oui, cela pose un vrai problème de sécurité nationale dans un contexte régional et géopolitique inquiétant.

  • Beaucoup d’annonces ont été faites, le lancement de la signature électronique, le développement de l’E-paiement, mais le processus semble avancer aux pas de tortue. Que faut-il faire pour arracher le pays, son économie de sa torpeur bureaucratique ?

Il faut préciser que déjà beaucoup d’annonces ont été faites et de nombreuses actions ont été entreprises. Citons quelques exemples :

- amélioration sensible et continue de la bande passante depuis plus d’une année.

- Lancement de la signature électronique.

- Lancement de plusieurs services numériques (Algérie Poste, services gouvernementaux, etc.).

- Lancement d’un énorme chantier start-up qui commence à apporter des fruits.

Ce ne sont qu’un certain nombre d’actions parmi tant d’autres. Cela est-il suffisant ? Certainement pas. Nous avons surtout et vraiment besoin de libérer le secteur, d’un côté, d’une sur régulation rampante et, d’un autre, de taxes (appliquées à l’entreprise) afin d’en faire un pilier de relance de l’économie nationale, fort créateur de richesse et à fort potentiel d’exportation. 

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