L’Aïd incarne depuis des siècles des valeurs de partage et de renouveau des liens familiaux. Au cœur de cette célébration réside un rituel immuable : l’échange de vœux. Pourtant, les moyens de transmettre ces messages ont radicalement évolué, passant des cartes manuscrites aux SMS, puis aux créations générées par l’intelligence artificielle (IA).
Avant l’avènement du numérique, les cartes de vœux physiques incarnaient l’essence même de l’Aïd. Choisir un motif soigné, rédiger un message personnalisé à la main, puis affranchir et poster l’enveloppe : chaque étape exigeait temps et intention. Ces cartes, souvent conservées comme souvenirs, symbolisaient un investissement émotionnel.
Ce support avait aussi une dimension artistique et culturelle, avec des motifs calligraphiés ou des illustrations évoquant les mosquées et les lanternes. La rareté de ces échanges, limités par la logistique postale, renforçait leur valeur sentimentale. Avec l’arrivée des téléphones portables et d’internet, les vœux de l’Aïd se sont démocratisés.
Les SMS, puis les messages sur WhatsApp ou Facebook ont permis de souhaiter l’Aïd à des centaines de personnes en quelques clics. Un gain de temps colossal, surtout pour les diasporas connectées à des proches éparpillés dans le monde.
Mais cette commodité a un prix : la standardisation. Les emojis de lunes étoilées et les phrases préformatées («Que votre Aïd soit béni !») se sont multipliés, au détriment de la personnalisation et des accolades. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle bouscule encore les codes. Des plateformes, comme Canva ou OpenAI, proposent des générateurs de vœux : l’utilisateur saisit un nom, une relation (ami, parent) et l’IA produit un texte élaboré, parfois accompagné d’une carte visuelle créée par algorithme.
Certains outils vont plus loin, génèrent des calligraphies animées en intégrant des versets coraniques. Et le tour est joué ! Ces innovations séduisent par leur efficacité. Mais cette personnalisation algorithmique suscite les critiques des conservateurs : le message est techniquement unique, mais il manque d’âme. L’IA ne connaît pas les souvenirs avec la personne. Pis, certains destinataires ignorent que leur carte «sur-mesure» a été conçue par une machine, brouillant la frontière entre sincérité et automatisme.
Si ces outils facilitent le maintien des liens à distance, ils accentuent aussi un phénomène observé depuis les débuts des réseaux sociaux : la dilution de l’authenticité. Envoyer un vœu via l'IA ou les SMS demande moins de courage qu’un appel téléphonique, et bien moins d’engagement qu’une visite. «Beaucoup se cachent derrière l’écran», constatent les sociologues.
Etre dans la bulle plutôt que dans «la vraie vie».
Cette tendance s’est accentuée post-Covid, où le numérique est devenu un réflexe. Pourtant, les études montrent que les interactions virtuelles, bien que utiles, ne stimulent pas les mêmes hormones du bonheur que les échanges en face-à-face.
Face à ces défis, une hybridation émerge. Certains utilisent l’IA comme base, puis ajoutent une note manuscrite ou un enregistrement vocal. D’autres réservent les messages automatisés aux connaissances éloignées, et privilégient les rencontres pour leurs proches. Face au défi de la modernité, ils s'engagent dans la voie du juste milieu.