Smaïl Boulbina. porte-parole du Comité national pour la restitution de Baba Merzoug : «Il est temps que le plus ancien déporté algérien retrouve les siens»

15/02/2022 mis à jour: 00:14
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L’infatigable porte-parole du Comité national pour la restitution de Baba Merzoug, Smaïl Boulbina, est convaincu que la restitution de ce symbole du patrimoine algérien usurpé par l’ex-puissance coloniale, ce «canon de la paix» fabriqué à Alger en 1542 (plus précisément date de sa mise en service) sera «le vecteur de l’apaisement dans les relations entre la France et l’Algérie, tout comme l’a été la restitution par la France à l’Allemagne, le 30 octobre 1984 du canon historique Vogel Greif».

 

-Quelle est la symbolique de Baba Marzoug dont vous réclamez la restitution depuis de nombreuses années ? Quelle place représente-t-il dans le patrimoine historique algérien ? 
 

Baba Merzoug représente un symbole fort de la souveraineté algérienne, celui de la défense d’El Jazaïr El Mahroussa, la bien-gardée, pendant 124 ans (1542-1666). Symbole phallique par excellence, il était considéré comme le protecteur de sa belle bien-aimée Madina El-jazair, convoitée par tous les souverains européens.Après, son désarmement et sa mise à la retraite (1666-1667), exposé comme symbole historique national à l’intérieur de l’Amirauté pendant 164 ans (1666-1830), il était considéré comme un marabout, un saint vénéré par les marins et les femmes pour sa Baraka. Devenu une véritable légende, les Algériennes et les Algériens, sont fiers et reconnaissants à leur Baba Merzoug, personnifié en un grand’père mythique, sa place dans le patrimoine historique algérien est inestimable.
 

-Pourquoi appelle-t-on Baba Merzoug «La Consulaire»  ?
Le 5 juillet 1830, ce surnom avait été l’œuvre machiavélique de l’Amiral Victor-Guy Duperré, mythomane, afin de justifier le rapt et la déportation de Baba Merzoug, accusé, d’avoir été l’arme du supplice collectif d’une dizaine de Français, dont le Consul et Vicaire Apostolique Jean Le Vacher, canonnés en 1683 soit 17 ans après le désarmement en 1666 ! En réalité, ces suppliciés furent canonnés simultanément, par une Tobbana (batterie de canons).Les archives françaises prouvent ce fake news du XIXe siècle, pourtant démystifié par l’investigation menée par la Société des études historiques, publiée dans sa revue en 1917, mais restée sans suite à ce jour…Baba Merzoug n’a jamais été un assassin, il était un défenseur d’El Jazaïr. Pour la mémoire du Père Jean Le Vacher, homme de paix qui mérite la béatification et après 192 ans de mystification, est venu le temps pour les historiens algériens, français et autres, d’ouvrir le procès en réhabilitation de la vérité historique.
 

-Comment est né votre intérêt pour Baba Merzoug ?
En 1996, grâce à Belkacem Babaci (décédé en 2019) et Redha Amrani, de la Fondation Casbah (créée en 1991), qui ont été les premiers à lutter pour la restitution de Baba Merzoug et des crânes des chouhada et à qui, il faut rendre hommage. Belkacem Babaci a été à la radio, le conteur populaire, qui a fait connaître et médiatisé Baba Merzoug.
Ancien scout marin d’Annaba, amoureux du patrimoine et féru d’histoire, je me suis enrôlé pour faire ma part de la préservation de notre mémoire nationale. 
 

-Quelles ont été les actions que vous avez organisées pour porter cette revendication ? 
En 2011, Belkacem Babaci, Fatima Benbraham, et moi-même, nous décidons de regrouper nos efforts en créant le Comité national pour la restitution de Baba Merzoug et des crânes des résistants algériens, comité présidé par la célèbre avocate Fatima Benbraham, devenue l’avocate du vieux captif Baba Merzoug, actuellement âgé de 480 ans, le plus ancien déporté algérien (192 ans). De 2011 à ce jour, les actions du Comité sont multiples et tous azimuts : interviews, émissions à la télévision , à la radio et presse, à travers les médias algériens, français, arabes et autres internationaux ; des conférences sont régulièrement organisées ; chaque année, des requêtes pour sa restitution sont envoyées aux chefs d’Etat algérien et français ainsi qu’à leurs chefs de gouvernement, ministres, Assemblée nationale et Sénat français, Région et département de Bretagne, mairie et médias de Brest, ainsi qu’a des institutions internationales.
 

-Vous voulez aussi organiser une ziyara à Brest ? A quelles fins ? 
Depuis les «Ziyara»  à Brest, des résistants algériens en route pour leur déportation en Nouvelle Calédonie (1864-1882 ) et celle de l’Emir Abdelkader (21 août 1865), le seul homme public algérien à rendre visite à Baba Merzoug, fut Belkacem Babaci accompagné du maire de Brest en 2012. La Ziyara que nous voulons réaliser est une excursion culturelle, à but non lucratif, d’une centaine de personnes, dont 50% de femmes, en majorité des seniors et quelques enfants, par vol spécial charter aller-retour le même jour avec stand-by de trois heures à Brest, pour une durée de cérémonie de 45 minutes. La Ziyara Baba Merzoug, originale et inédite, se veut une visite de recueillement, sans passion ni discours, pour solliciter sa Baraka et lui annoncer sa prochaine libération et son retour à la Maison Algérie, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’Indépendance. La ziyara devant se dérouler le 1er novembre 2021, une première demande de visa pour un séjour de trois heures, n’a pas été prise en charge par le Consulat de France. Une nouvelle demande de visa d’un séjour de trois heures a été déposée, le mercredi 9 février 2022, auprès de Adrien Pinelli, ministre Conseiller près l’ambassade de France.
 

-Vous vous êtes mobilisé plus particulièrement autour de Baba Merzoug, alors que de nombreux autres biens du patrimoine algérien se trouvent encore dans des musées français ou chez des particuliers...
L’urgence a été la restitution des crânes, puis Baba Merzoug, car la symbolique dépasse tous les autres ; bien sûr que le combat continue pour la restitution de tout notre patrimoine. En ce qui concerne les biens chez les particuliers, il y a d’autres moyens de les récupérer : la justice et le rachat. Parmi les particuliers, il faut que la justice algérienne oblige les Algériens à rendre les objets spoliés (canons, etc.).
 

-Nourrissez-vous l’espoir que le président Macron annonce la restitution de Baba Mezoug à l’Algérie ? 
Le Président Macron est conscient de l’importance de la restitution des biens de notre patrimoine ; suggérée par le Rapport Benjamin Stora, la restitution de Baba Merzoug, souhaitée de part et d’autre, est inéluctable. Le président Macron l’annoncera à l’occasion de l’anniversaire des Accords d’Evian et… du «Cessez-le-feu» ou au plus tard, juste après sa certaine réélection, à l’occasion de l’anniversaire de l’Indépendance. Le plus tôt étant le mieux !
 

-Quel sens prendrait cette restitution pour les relations algéro-françaises ?
Scribe de Baba Merzoug qui m’a transmis par télépathie ce message au Président Macron : «Chargez-moi de message d’amitié, je serai le canon de la paix»
Baba Merzoug «Le canon de la Paix», appelé ainsi par Mgr Paul Desfarges, Archevêque d’Alger, symbole fort, sa restitution sera le vecteur de l’apaisement dans les relations entre la France et l’Algérie, tout comme l’a été la restitution par la France à l’Allemagne (Président Mitterand et Chancelier Kohl), le 30 octobre 1984 du canon historique Vogel Greif… 

Propos recueillis par  Nadjia Bouzeghrane

 

Maquette du canon Baba Merzoug au musée de la Marine (France).
Le canon Baba Merzoug
Fabriqué à Dar Nhass à Madina-el-Jazaïr - Alger.
Opérationnel de 1542 à 1666 (124 ans).
Mis hors service 1666.
Portée 4852 mètres.
Longueur 6,25 m.
Poids 12 tonnes.
Calibre (bouche) 25 cm de diamètre intérieur
Boulet (pierre, marbre ou métal) environ 25 cm de diamètre et poids environ 24 kg.

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