Un appel particulièrement via les réseaux sociaux est lancé pour que cesse l’hécatombe à partir du 15 janvier. «Boycottons la chasse, surtout en cette période d’accouplement».
Et si on se réveillait un jour de printemps pour ne plus entendre le chant des oiseaux qui auraient tout simplement disparu ? C’est une image que nous empruntons à Rachel Carson, l’une des mères de l’écologie moderne,qui publie en 1962 «Printemps silencieux» (Silent spring) un livre qui la fait connaître au monde entier et qui a déclenché la naissance des mouvements écologistes.
L’écologue, biologiste marine, militante pour l’environnement, féministe et écrivaine américaine, décédée en 1964, étudie l’impact, jusque sans nos cellules, de l’utilisation des pesticides et particulièrement du DDT dans l’agriculture, mortels pour l’homme et les oiseaux.
L’ouvrage va avoir un retentissement tel que l’emploi des pesticides est interdit et entraîne à la création de l’Agence américaine de protection de l’environnement (Environnemental protection agency). Printemps silencieux traduit dans 16 langues, édité à 2 millions d’exemplaires, considéré comme un monument de l’histoire culturelle et sociale du XXe siècle, n’a jamais été vendu en Algérie.
Si la prédiction de Rachel Carson ne s’est pas produite aux Etats-Unis, Elle risque fort de l’être en Algérie, non pas pour l’emploi des pesticides qui, soit dit en passant, ont un effet dévastateur sur les milieux naturels et leurs habitants, mais pour l’ampleur et les formes qu’a prise chez nous la chasse des oiseaux.
Il ne passe pas un jour sans que la presse ne rapporte des massacres perpétrés sur l’avifaune. On parle de centaines de milliers d’oiseaux, probablement plus qui sont chassés impitoyablement – il n’y a aucune donnée sur cette tuerie qui se déroule dans le silence, loin des yeux.
Phénomène
Tous les oiseaux sont chassés, des passereaux aux grands rapaces. Le phénomène ne concerne plus uniquement le chardonneret élégant qui n’existe plus dans le milieu naturel sous sa variété sauvage.
C’est terminé pour cette variété, perdue à jamais ! On ne connaît plus que des sous-espèces et sous-sous-espèces métissées obtenues par élevage et, aussi surprenant que cela puissent paraître, seulement citadines, avec des chants différents par quartier, nous explique Bendaoud Madjid, oiselier à Alger.
Espèces sauvages, protégées ou pas, et espèces domestiques, rien n’échappe à la décimation des oiseaux d’Algérie. Nos contacts qui scrutent la nature en tous lieux nous ont assuré qu’on ne voit plus dans le ciel les nuées d’oiseaux comme autrefois en cette période hiver-printemps qui est celle de la migration.
Chardonneret mais aussi le tarin des aulnes, le pinson du Nord, le bulbul des jardins, le rossignol, le rouge-gorge, les pies, la mésange charbonnière, le merle et bien entendu les grives jusqu’au moineau domestique et l’étourneau pour ne citer que les plus connus du public. Et pas seulement ce qu’on appelle les passereaux, les petits oiseaux forestiers, mais aussi des rapaces comme les aigles, les vautours, les buses, les milans et les faucons.
La chasse, mot impropre puisqu’il s’agit de braconnage quand elle est hors la loi, et c’est le cas, a pris d’autres formes. Les oiseaux sont devenus un produit marchand avidement recherché par «des amoureux de la nature» dans les nombreux marchés, interdits mais qui se tiennent quotidiennement ou hebdomadairement dans toutes les villes du pays au vu et au su des autorités et, plus nuisible encore, sur la toile en permanence et en live.
Il y a donc une forte demande sur laquelle se sont greffés des circuits informels approvisionnés par des réseaux interlopes aux mains de bailleurs de fonds capables de monter de massives importations frauduleuses notamment du Maroc pour le chardonneret élégant. Un pays tout autant ravagé par la chasse aux oiseaux.
Face à cette explosion de la demande de ces dernières années, beaucoup se sont découvert une vocation de chasseurs d’oiseaux, les oiseleurs. Ils se sont multipliés dans toutes les régions du pays et on en connaît qui organisent de véritables expéditions dès que vient à leurs oreilles l’existence d’une volée d’oiseaux fatiguée d’un long voyage se repose dans un bosquet.
Et on ne chasse plus avec le piège métallique, l’attrape ou le bâton enduit de glu, c’est au filet ornithologique, d’une redoutable efficacité. Une nappe d’environ 50m² vendue pour 2500 DA et que l’on installe en travers de l’itinéraire emprunté par les oiseaux et qui piège dans ses mailles fines et invisibles des dizaines de volatiles.
Le plus dramatique, c’est que l’oiseleur prélève régulièrement les plus rentables et laissent les autres dans les mailles qui finissent par mourir et qu’on jette ensuite aux prédateurs. Lorsqu’il s’agit des grives ou autres espèces commercialisées pour être consommées, elles sont égorgées sur place. Des chasseurs encore plus inconscients oublient de retirer leur engin qui continue de tuer les oiseaux pris dans les rets.
Initiative
Puis, c’est le silence comme le rapportent des agriculteurs de Kabylie qui racontent que dans les oliveraies, on n’entend plus les oiseaux depuis que ces filets venus de la ville ont été installés. Autre méthode employée, le dénichage, le vol des œufs ou des oisillons dans les nids. Dans nos colonnes (El Watan du 20 mai 2021), nous avons rapporté le vol spectaculaire de deux aiglons dans le nid d’un aigle royal dans le Parc national de Tlemcen.
Un nid construit sur le flanc d’une falaise de 30 m de haut et que les scientifiques du parc qui faisaient le suivi ne pouvaient atteindre sans l’aide de la Protection civile et son équipement d’escalade. Bendaoud Madjid, notre interlocuteur oiselier d’Alger, nous a également rapporté que des oiseleurs dévalisaient des nids pour prendre les œufs qu’ils faisaient ensuite couver en élevage par des femelles d’une autre espèce.
Appel
Madjid Bendaoud, excédé par l’ampleur que prennent la chasse et l’élevage illégal des oiseaux, a lancé un appel sur sa page Facebook pour que cesse l’hécatombe à partir du 15 janvier. «La loi n’est pas appliquée», nous dit encore notre interlocuteur. En effet, il y a des lois mais qui s’en soucie ?
L’article 56 de la loi n°04-07 du 14 août 2004 relative à la chasse stipule sans ambages : «La détention, le transport, l’utilisation, le colportage, la vente et l’achat ainsi que la naturalisation des espèces protégées sont interdits».
Et il se trouve que les espèces chassées, quelques rares exceptions, toutes protégées, comme l’indique le décret exécutif n°12-235 du 24 mai 2012 fixant la liste des espèces animales non domestiques protégées.
Quant à la naturalisation en vogue elle aussi, elle est du ressort exclusif des centres spécialisés. L’élevage et la vente des oiseaux sont tout autant encadrés par la loi. Le décret exécutif n°08-201 du 6 juillet 2008 fixant clairement «les conditions et les modalités de délivrance d’autorisation pour l’ouverture d’établissement d’élevage d’espèce non domestiques et la présentation au public de ces spécimens».
En fait, comme pour les produits de première nécessité, les produits agricoles, ou encore les produits d’importation, le marché informel s’est emparé des leviers de commandes et impose ses règles à lui. A notre connaissance, il est impossible aujourd’hui de venir à bout de l’extinction de l’avifaune algérienne sans mener une guerre sans merci à ces réseaux et aussi en formant les forestiers, les gendarmes, les policiers et les douaniers à la détermination des espèces non domestiques protégées.
Notre interlocuteur nous a rapporté l’initiative couronnée de succès au bout de plusieurs années de travail entreprise à Seddouk dans la wilaya de Béjaïa où des enfants ont fait un lâcher de chardonnerets d’élevage dans un massif forestier surveillé par les citoyens eux-mêmes qui ont été suffisamment informés et formés au préalable sur le but de cette action.
Madjid Bendaoudaui nous appris l’existence d’une association d’éleveurs dignes de ce nom, l’Association d’ornithologie algérienne (AOA) qui vient les 7 et 8 janvier d’organiser la 3° édition du championnat national avec la participation de juges de réputation internationale.