Sider El Hadjar : L’ouverture du dossier du partenariat avec ArcelorMittal se confirme

04/04/2023 mis à jour: 23:25
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La gestion du géant de la sidérurgie est passée au peigne fin par les services de sécurité

Les enquêtes se multiplient à Sider El Hadjar. Les arrestations aussi. Plusieurs dossiers compromettant ont été déterrés par les limiers du Service central de lutte contre le crime organisé de Saoula (Alger) au grand bonheur des sidérurgistes.

 Les enveloppes estimées à des centaines de millions de dollars octroyées à Sider El Hadjar, dans le cadre des plans d’investissement, dont les opérations de réhabilitation du HF n°2, la PMA, les aciéries…, sont actuellement passées au peigne fin. Ce qui impliquera les différents directeurs généraux ayant succédé à la tête du malheureux complexe au lendemain du départ mitigé d’ArcelorMittal, laissant derrière lui plus de huit milliards de dinars de dettes.

Un autre dossier encore plus grave, témoignant d’une gabegie sans précédent. En effet, le dossier d’ArcelorMittal Algérie, qui n’a pas livré tous ses secrets, va être inévitablement remonté. En août 2016, ArcelorMittal a cédé au groupe Imetal, dans la forme, la totalité de ses parts sociales, détenues par ArcelorMittal Algérie (AMA), ArcelorMittal Pipes and Tubes Algeria (Ampta) et ArcelorMittal Tébessa (AMT). Cependant, avant de quitter définitivement l’Algérie, sans procès, AMA a laissé derrière elle une dette de plus de 8,28 milliards de dinars.

Datant d’avant 2016, cette importante «ardoise» représente 35% du passif courant du complexe sidérurgique d’El Hadjar. C’est ce qu’a indiqué un rapport officiel dont les chiffres sont arrêtés au 30 septembre 2016. Selon ce document confidentiel, dont El Watan détient une copie, cette dette représente des arriérés de fournisseurs du complexe sidérurgique d’El Hadjar ayant trait aux services, stock et investissement. 

Qui a assumé ces dettes ? Ont-elles été payées par le Trésor public algérien en contrepartie de la cession des actifs d’ArcelorMittal au groupe Imetal, annoncée «gracieuse» ? Ces interrogations ne trouvent toujours pas de réponses logiques. Cela est perceptible déjà dans la forme du contrat de cession et d’achat des actions des trois unités de la filiale algérienne d’ArcelorMittal. Constitué de 12 articles en 12 pages, ce document ultra-confidentiel, dont une copie exclusive est en possession d’El Watan, a été cosigné par Ramesh Kothari, le représentant d’ArcelorMittal Holding AG, et l’ancien PDG du groupe Imetal, Ahmed Yazid Touati. 

D’une légèreté insolite, ce contrat renseigne, on ne peut mieux, sur le manque de considération du signataire algérien envers un fleuron de la sidérurgie algérienne, bradé puis récupéré avec fracas, sans bilan. En effet, point mot sur la clause de l’accord d’octobre 2013, élaboré par des experts sous la conduite de l’ex-ministre de l’Industrie, Cherif Rahmani, prévoyant qu’ArcelorMittal s’engage à rester dans le capital de sa filiale algérienne pour une durée minimum de 7 ans (2020). Il y était prévu qu’«en cas de désengagement, la cession des actifs (49%) se ferait sur la base d’un prix prédéfini dans l’accord. Ce prix est conditionné à la réalisation de bénéfices durant les trois années qui précèdent la sortie». 
 

Victoire à la Pyrrhus. Or, AMA n’a pas résisté à cette longue période, encore moins réalisé des bénéfices depuis. Elle a eu le feu vert de partir sans débourser un sou. Une année après, le complexe sidérurgique Sider El Hadjar était en cessation de paiement et sa trésorerie enregistrait, fin de novembre 2016, un déficit de 12,7 milliards de dinars. 

Avocat d’affaires réputé dans le domaine de l’arbitrage économique, Me Nasr-Eddine Lezzar a estimé qu’il est ahurissant de constater qu’une opération de cette importance soit exprimée dans un contrat aussi squelettique et vide. Les cessions d’actions sérieuses sont formalisées dans des contrats de centaines de pages, auxquels sont ajoutées des annexes techniques comptables. 

Les accords portant sur des opérations et processus de cette ampleur, restructuration de capital, montage de partenariat, cession et/ou transfert de parts sociales, touchant des ensembles industriels, prennent la forme, non pas d’un document unique et isolé, mais sont exprimés dans ce qu’on appelle des packages contractuels, qui incluent un ensemble de documents comprenant les supports des négociations, les procès-verbaux d’accords intérimaires, les due diligence donnant des informations sur les titres de propriété, les comptes sociaux, les créances et les dettes. 

Le contrat de cession ou pacte d’actionnaires ne comporte qu’une annexe. L’indigence et le caractère sommaire du pacte d’actionnaire sont frappants. Tout s’est passé comme si les deux parties se sont débarrassées d’une formalité. De la part d’ArcelorMittal on le comprend, il a consenti une donation, un cadeau empoisonné. La partie algérienne, par contre, a accepté une succession sans inventaire. Pitoyable victoire à la Pyrrhus qui a consisté en une récupération tapageuse, en scandant pour la fierté nationale, d’une entreprise colossale accumulant les déficits de 12 années et croulant sous le poids des dettes. 
 

Renationalisation ou gouffre financier

Détenu auparavant par le groupe ArcelorMittal, la totalité du capital d'ArcelorMittal Algérie (AMA), d'ArcelorMittal Tébessa (AMT) et d'ArcelorMittal Pipes & Tubes Algérie (Ampta) est revenu officiellement dans le giron du groupe public algérien Industries métallurgiques et sidérurgiques (Imetal). Mais à quel prix ? En effet, l’accord signé officiellement en août 2016 entre les deux parties au niveau du ministère de tutelle ne fait qu’entériner les dix résolutions du Conseil des participations de l'Etat (CPE), validées le 25 juillet de la même année, soit deux semaines après. 

Selon le document portant la résolution du CPE, le conseil a décidé, dans sa 7e résolution, «d’accompagner les sociétés reprises – AMA, AMT et Ampta – en attendant la présentation de leurs plans de redressement et de développement actualisés, par des facilités de caisse pour assurer l’exploitation durant les six mois à venir moyennant présentation des plans de trésorerie de chacune des entités pour cette période à la banque domiciliataire BEA et charge, à cet effet, cette dernière de la mise en œuvre de cette décision dans les meilleurs délais». Un gouffre financier, creusé par les décisions irréfléchies du ministre de l’Industrie de l’époque et soutenu, en pleine crise économique, par le CPE qui vient encore une fois racler la trésorerie de l’Etat en ordonnant à la BEA d’assister financièrement le complexe d’El Hadjar jusqu’au début de 2017. 

Le chef du gouvernement semble ignorer que la solution à ce problème ne réside pas dans les moyens mais dans la moralité des ressources humaines. Parallèlement, l’Etat a toujours pompé l’argent du contribuable dans un investissement à l’avenir incertain.

 Devant cette intenable situation, des cadres de Sider El Hadjar n’ont eu cesse de demander à l’Etat de diligenter une expertise légale qui sera assurée par l’Inspection générale des finances (IGF). «Elle portera sur l’utilisation des fonds publics au complexe d’El Hadjar, ainsi que sur l’efficience et la légalité de la restructuration du secteur de l’industrie, le marché du transport du personnel octroyé exclusivement à quelques opérateurs, dont l’ex-maire d’El Hadjar, celui des assurances aussi conclu sans aucun remboursement, la commercialisation douteuse du rond à béton et des bobines, etc.» précisent-ils. Il a fallu attendre l’ère de l’actuel président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour que soit dépêchée, sur son ordre, une commission d’inspection de la Présidence qui, parallèlement à celle de l’IGF, a épluché tous les dossiers. 

La question du partenariat avec ArcelorMittal est en passe d’être traitée. Des ministres et des hauts cadres risquent d’être convoqués pour s’expliquer sur la plus grande arnaque qu’a connue le domaine de l’investissement en Algérie. A suivre…
 

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