En octobre 1956, Jean-Marie Le Pen quitte l’Assemblée nationale française et rejoint son ancienne unité, le premier régiment étranger de parachutistes, au sein duquel il participe activement à la répression durant la «Bataille d’Alger».
L’ex-cofondateur du Front national (parti d’extrême droite français devenu aujourd’hui le Rassemblement national) et tortionnaire Jean-Marie Le Pen est décédé, hier, à Garches dans les Hauts-de-Seine, à l’âge de 96 ans, a annoncé sa famille. En France, l’ex-chef du parti d’extrême droite a multiplié les polémiques et les scandales en tenant des propos racistes et antisémites. Après sa disparition, des personnalités de gauche, dont Jean-Luc Mélenchon, estiment que «le combat contre la haine continue». «Le combat contre l’homme est fini.
Celui contre la haine, le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme, qu’il a répandus, continue», a déclaré M. Mélenchon. Son bras droit, le coordinateur de La France insoumise (LFI), Manuel Bompard, a lui expliqué que «les hommages dégoulinants de ses héritiers aujourd’hui nous rappellent que ses idées demeurent et que la lutte antifasciste reste d’une actualité brûlante».
En Algérie, Jean-Marie Le Pen est réputé pour avoir commis des exactions contre des Algériens durant la guerre d’indépendance. En octobre 1956, le parlementaire quitte l’Assemblée nationale et rejoint son ancienne unité, le premier régiment étranger de parachutistes, au sein duquel il participe activement à la répression durant la «Bataille d’Alger».
A deux reprises, il reconnaît avoir pratiqué le crime de torture, aujourd’hui considéré en droit international comme un crime contre l’humanité. «J’étais à Alger officier de renseignement. (…) Comme tel, je dois être aux yeux d’un certain nombre de mes collègues ce qui pourrait être le mélange d’un officier SS et d’un agent de la Gestapo.
Ce métier, je l’ai fait», a-t-il avoué dans une déclaration retranscrite au Journal officiel du 12 juin 1957. Dans une interview accordée au quotidien Combat le 9 novembre 1962, reprise par Le Canard enchaîné en 1992, il assume aussi la pratique de la torture.
Des victimes de torture, des exécutions sommaires…
«Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire. Quand on vous amène quelqu’un qui vient de poser 20 bombes qui peuvent exploser d’un moment à l’autre, et qu’il ne veut pas parler, il faut employer des moyens exceptionnels pour l’y contraindre. C’est celui qui s’y refuse qui est le criminel, car il a sur les mains le sang de dizaines de victimes dont la mort aurait pu être évitée», a-t-il affirmé.
Parmi ses nombreuses victimes figurait Ahmed Moulay, 42 ans, torturé à l’eau et l’électricité, en présence de ses six enfants et de son épouse, avant d’être achevé, en mars 1957, dans La Casbah d’Alger, d’une rafale de mitraillette, selon une enquête du journal Le Monde publiée en 2012. Après la mort de son père, Mohamed Moulay, alors âgé de 12 ans, avait retrouvé et caché un poignard dont le fourreau était gravé au nom de Jean-Marie Le Pen.
L’historien Fabrice Riceputi, qui a consacré une enquête à son passé de tortionnaire en Algérie (Le Pen et la Torture, éditions du Passager clandestin/ Barzakh, 2024), a recensé «plusieurs dizaines de victimes de torture, mais aussi d’exécutions sommaires, durant les deux mois et demi de (sa) présence effective à Alger». «Les témoignages montrent qu’il a commandé et pratiqué la torture dans quelques-uns des centres de torture installés par dizaines à Alger, dont la villa Sésini ou la villa des Roses, mais aussi parfois au domicile même de certains ‘‘suspects’’, devant témoins.
L’une des victimes le relie à Paul Aussaresses, qui dirigeait de véritables escadrons de la mort», a révélé récemment l’historien français au quotidien L’Humanité. Dans un post sur sa page Facebook, l’historien est catégorique : «Le poison du lepénisme, ce racisme à la française qui agit aujourd’hui bien au-delà du FN/RN, est né en 1957 à Alger quand Jean-Marie torturait les Algériens.» Le mouvement extrémiste, qui a pu imposer ses idées crasseuses au reste de la classe politique hexagonale, est aux portes du pouvoir…
«Sur le fourreau…»
«(…) Le poignard (de Le Pen, ndlr) atterrit dans le buffet de la salle à manger des Moulay. Il y restera jusqu’en avril 2003, date à laquelle l’envoyée spéciale du Monde à Alger réussit à le rapporter en France. Cette pièce à conviction sera présentée à la 17e chambre, lors du procès en diffamation intenté par Jean-Marie Le Pen contre Le Monde, le 15 mai suivant.
En acier trempé, long de 25 centimètres et large de 2,5 centimètres, il s’agit d’un couteau du type de ceux qu’utilisaient les Jeunesses hitlériennes, fabriqué par des couteliers allemands de la Ruhr, selon l’enquête menée par le journaliste Sorj Chalandon. La lame porte le nom de J. A. Henckels, fabricant à Solingen. Le manche, en partie recouvert de Bakélite noire, est incrusté d’un losange dont l’écusson est tombé dans les années 1970, à force d’avoir été manipulé par les enfants Moulay. Sur le fourreau de ce poignard, on peut lire : ‘‘J. M. Le Pen, 1er REP.’’»
Florence Beaugé, Hors-Série du Monde : «Guerre d’Algérie. Mémoires parallèles»