Selim Betka au café littéraire de Biskra : «Je m’étonne du manque de récits historiques romanesques»

09/03/2022 mis à jour: 00:39
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Invité samedi 5 mars au Café littéraire de Biskra, organisé par le Comité des fêtes de la municipalité, Selim Betka, enseignant de littérature à l’université, et écrivain né en 1963 ayant à son actif plusieurs romans et pièces de théâtre écrits dans une langue arabe usuelle «afin d’atteindre le plus nombre de lecteurs», précise-t-il, est longuement revenu sur ses motivations et sur le processus d’écriture d’un récit historique romanesque, ainsi que sur les obstacles et les embûches auxquels sont confrontés les écrivains voulant se frotter à un tel exercice.

«Certes des critiques littéraires affirment que le roman historique est impossible du fait qu’il peut travestir la réalité et s’entrechoquer avec les résultats des recherches des historiens. Je prône, comme d’autres écrivains avant moi et d’autres critiques littéraires, la récupération et l’utilisation d’un événement incrusté dans la mémoire collective et d’en faire le cadre d’un récit fictionnel avec des personnages, des péripéties et des actions réactualisant et décrivant les faits tels qu’ils pourraient s’être passés avec la description des sentiments, des réactions et des finalités de tel ou tel comportement. Bien sûr, l’intrigue est fictive, mais elle est insérée dans un cadre réel», a-t-il expliqué.

«Nous avons un pays riche de son histoire multiséculaire jalonnée d’événements historiques majeurs provoqués par des héros nationaux ou d’humbles gens, mais on ne retrouve pas ces existences dans la production littéraire romanesque nationale. Les écrivains d’aujourd’hui sont plus versés dans l’égoïsme, l’individualisme et l’intimisme à mon sens et je m’étonne de leur peu d’entrain à s’investir dans le roman historique qui est un champ illimité de récits. En plus de ses qualités intrinsèques, celui-ci est une source en principe intarissable alimentant le cinéma et le théâtre. Dans mon travail de création littéraire, je tente humblement de pallier ce manque», a-t-il ajouté.

Le roman comme thérapie sociale

Auteur de Confinusus, Le bruit des souliers usés, Des ailes et des racines et de Dimanche noir où il raconte l’avant, le pendant et l’après de cette terrible journée du 29 juillet 1956 durant laquelle des militaires français ont mitraillé et tué des civils en plein centre-ville pour se venger d’une attaque perpétrée par des militants de la cause nationale, Selim Betka a reçu un prix décerné par le ministère des Moudjahidine pour la qualité de son œuvre.

«Pour ce roman, j’ai fouillé les archives, lu des dizaines de livres et recueilli les témoignages de personnes encore vivantes. Le romancier est un coureur infatigable dont la fonction est de débusquer les malentendus historiques et de redonner au fait son ampleur et son importance par l’incarnation littéraire de personnages et d’actants agissant dans une unité de temps et de lieu. Walter Scott a défendu sa communauté et ses spécificités vestimentaires à travers ses récits historiques romanesques qui ont eu un impact encore palpable aujourd’hui. Le roman est une thérapie sociale», a précisé le conférencier.

Celui-ci a aussi mis en exergue l’importance du titre du roman en chantier devant «avoir une fonction apéritive et harponner le lecteur en lui donnant l’eau à la bouche», sur la panne d’inspiration et la hantise de la page blanche, sur le premier jet qu’il ne faut jamais jeter, mais plutôt relire, améliorer et redresser, sur La personne derrière la porte, expression synthétisant tous les empêchements et les dérangements de la vie quotidienne dont est victime le romancier et sur la nécessité de densifier la production romanesque nationale pour apaiser les blessures de l’histoire «encore ouvertes et saignantes», dira-t-il.

Mis à l’aise par le ton conciliant, chaleureux et pédagogique de l’orateur, les nombreux présents à cette rencontre littéraire ont pris part au débat afin de mieux connaître cet auteur et la teneur de ses œuvres «méritant un bon éditeur et une meilleure promotion et une diffusion dans toutes les bonnes librairies du pays», ont souligné ses lecteurs et admirateurs qui l’ont écouté lire des extraits de ses histoires d’Algériens pris dans la tourmente de l’oppression coloniale et qui se sont visiblement délectés de cette parenthèse littéraire.

 

 

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