Scénario/ Peut-on faire des omelettes sans prendre soin des œufs et sans trucage ?

26/05/2024 mis à jour: 21:45
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Imedghacen : L’affiche de la 4e édition du Festival international de court métrage d’Imedghacen à Batna qui vient de se terminer. Les visuels sont de plus en plus beaux, les festivals de plus en plus nombreux mais les films sont-ils de mieux en mieux écrits, joués et réalisés ? (photo : dr)

Au moment où se prépare une nouvelle commission des moudjahidine pour l’attribution de budgets à des films autour du 70e anniversaire du déclenchement de la Révolution (1954-2024), soit 10 long métrage et 50 court métrages, il faut encore réaliser que ce sont les films historiques qui sont le plus produits. 

Evidemment, pour des raisons financières, mais avec leurs problématiques propres, sacralisation des héros de la guerre, les marges de confusion entre biopic et documentaires et le peu de libertés accordées aux scénaristes,  comme l’ont montré les interminables péripéties du film Ben M’hidi ou l’impossible scénario sur l’Emir Abdelkader. Et au chapitre comédies, comment écrire ce qui n’a pas déjà été écrit, comment aligner des gags nouveaux sans tomber dans le déjà-vu ? C’est Nasredine Djoudi, comédien dans la série Dar Lefchouch 2 de Djaffar Gacem, réalisant un bon score cette année, qui explique la difficulté : «Entre la comédie et la bsala, il y a un fil très mince.» Pour le drame, ce n’est pas mieux, Idris Bencherchnine, metteur en scène théâtre de cinéma (Spam, La deuxième femme, Anniversaire), est lui aussi lucide «le drama algérien souffre malheureusement d’une crise dans le domaine de l’écriture de scénarios, et le savoir-faire des scénaristes n’est pas disponible sous la forme requise pour éviter de sombrer dans la diarrhée, le processus nécessite d’écrire tous les moindres détails de l’œuvre dramatique basée sur des mécanismes scientifiques systématiques».

 C’est probablement le problème central, le scénario, à voir les films de qualité assez médiocre à des exceptions près, on se rend compte que la quantité est en train de primer sur la qualité. Mais qui sont ces scénaristes qui écrivent le cinéma de demain ? 


Derrière chaque film il y a un texte, des mots et des lettres

«Li ma qrach 3lach yekteb ou ikhesser hibr dwaya ?», se demandait El Hadj El Anka, dans une de ses célèbres qasidates, celui qui ne lit pas pourquoi écrit-il et gaspille cette encre si précieuse à l’époque ?

 De fait, nombreux sont les scénaristes actuels qui n’ont pas de formation en ce sens, mais qui comblent un vide important, le manque de script makers. Payés entre 2 et 4 millions de dinars pour un scénario de long métrage, ils viennent de divers milieux et tentent de s’imposer là où les places sont comptées.

 Dans l’ancienne génération, il y a ceux qui écrivent, produisent, réalisent leurs propres films, comme Merzak Allouache, dont on dit qu’il fait les cascades lui-même, mais aussi des valeurs sûres, comme Abdelkrim Bahloul, l’enfant de Saïda, qui a entre autres écrit Ben M’hidi de Bachir Derraïs et rappelle d’ailleurs (El Watan du 24/09/2023) que «les thématiques principales du cinéma algérien ont été les films sur la Guerre de libération, les films sur l’option socialiste de l’Algérie, les comédies populaires (Inspecteur Tahar) l’émigration, l’évocation des années noires, et nous reste aujourd’hui les luttes des femmes», avouant que «je ne vois pas d’évolution des thématiques, parce que pour qu’il y ait évolution, il faudrait que les cinéastes puissent tourner autant de films qu’ils ont de sujets».

 Il n’est pas seul à révéler le manque de sujets traités, et dans cette génération, on peut aussi citer Djaffar Gacem, pour ses séries comme pour son film Héliopolis, co-écrit avec Salah Eddine Chihani et Kahina Mohamed Oussaïd, en plus jeunes Adila Bendimered ou Salah Issaad et encore plus jeunes Oussama Benhassine ou Samir Ziane, alias Mister X qui anime l’émission Zoom sur les séries TV, où il explique que «tout est dans le scénario, même avec de très bons acteurs, on peut faire un très mauvais film».

 Lui-même d’ailleurs, travaille surtout pour la télévision, «j’adore le cinéma mais il faut se dire la vérité, on a un public de télévision, plus que de cinéma». 

La télévision, oui, toujours elle, qui nous amène à la jeune enfant de Touggourt, Sarah Berretima, devenue célèbre dans ce milieu confidentiel en 2017 avec la série El Khawa qu’elle écrit, puis Timoucha et surtout Damma en 2023, série-phare de Yahia Mouzahem. Venue de la presse écrite après une formation de journalisme à Alger, elle est passée à l’ENTV puis en Egypte où elle suit une formation de scénariste et gagne un prix pour un court métrage,

 Le royaume de mon père. Elle co-écrit Zeyyen sa3dek  pour Nesma TV en Tunisie, Taxi ou khlas de Mohamed Sahraoui et Nassi ou bladi du réalisateur tunisien Mohamed Damak pour revenir en Algérie avec Rayeh djay de Mahmoud Zemmouri et Said 005 de Nassim Boumaiza. Une carrière prolifique malgré son jeune âge, et c’est là où on l’attend, elle prépare son premier long métrage, L’ombre des barreaux, sur l’Algérie des années 80 qui préparait celles des années 90, qu’elle écrit évidemment elle-même. 

Mais c’est donc en Egypte qu’elle a appris le métier, formation qui n’existe pas ici, pas d’école mais des ateliers furtifs de scénarios souvent en marge des nombreux festivals comme pour les RCB de Béjaïa qui se tiendront en septembre et le Festival d’Oran en octobre. «Je suis favorable à des ateliers d’écriture de scénario qui soient dans l’air du temps», explique encore le dramaturge Idris Benchernine, «car ils jouent un rôle majeur dans l’apport de sang neuf, d’idées et de langage dramatique». 

D’ailleurs, pour la dernière édition du Festival d’Oran, il y a 6 ans déjà, Yacine Irving Belatache était venu y organiser des ateliers en tant que professeur en écriture de scénarios qui a enseigné en Chine et en Malaisie avec son statut de professeur en arts cinématographiques à l’université de Californie du sud. 

Surtout, cet Américain d’origine algérienne, dont le père a participé à la Guerre de libération, directeur de la communication de Ben Bella, a collaboré avec tous les studios US et des producteurs comme Joel Silver (L’arme fatale, Matrix), Lawrence Bender (Pulp Fiction, Kill Bill), Jason Blum (Paranormal activity, Insidious, Invisible man), Roland Emmerich (Stargate, Godzilla, Independence Day), également scénariste, et Robert Zemeckis (Forest Gump, Contact, Retour vers le futur), scénariste, réalisateur et producteur. Yacine Irving est un bon communicateur et en termes d’écriture, un grand retour vers le futur, à Oran ou à Alger, c’est tout ce que l’on souhaite.

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