Le propriétaire veut fermer le journal Liberté et déposer le bilan le 6 avril prochain. La nouvelle, divulguée d’abord sur les réseaux sociaux puis sur des médias en ligne, a fait l’effet d’un séisme et pas seulement dans les milieux médiatiques. L’affliction domine l’opinion. Liberté, âgé de 30 ans, l’âge de l’expérience démocratique de notre pays, a marqué l’Algérie et les Algériens et l’idée de sa disparition ne laisse personne indifférent.
Liberté est une école du journalisme, un rempart démocratique dressé contre l’obscurantisme, l’autoritarisme et la corruption. Si le journal disparaît, c’est un pan de la banquise qui se détache et fond au risque de déséquilibrer sérieusement l’écosystème. L’espace médiatique, celui porteur des valeurs professionnelles, intellectuelles et d’éthique se réduira dangereusement, car ce n’est pas le nombre de médias qui fait le pluralisme médiatique et concourt à informer correctement et à amorcer des débats utiles.
Ce ne sont pas de très jeunes médias sans expérience, dont certains ne pensent qu’à se remplir les poches, qui peuvent aujourd’hui porter la voix de l’Algérie et défendre son image à l’international face aux ennemis, mais bien des titres comme Liberté qui ont une aura, une histoire et un capital de crédibilité.
Liberté est né dans le cadre d’une parenthèse qui a permis l’émergence d’une presse indépendante et combattante, où l’argent sale était exclu ; des entreprises bâties essentiellement par des journalistes de métier, motivés par l’aventure intellectuelle. Hélas, la parenthèse s’est vite refermée.
La crise économique éclatée en 2014, conjuguée à la concurrence du numérique, a ébranlé sérieusement le modèle national de la presse papier. Et au lieu de jouer son rôle et protéger ces entreprises fragiles, outils démocratiques et patrimoine intellectuel, le pouvoir de Bouteflika a refusé machiavéliquement d’actionner l’aide pourtant instituée à travers des mécanismes et des fonds. Pis encore, le pouvoir a davantage rendu la vie difficile aux médias par différents procédés.
C’est à partir de là que Liberté commence à enchaîner des bilans annuels négatifs. Des déficits que la société détentrice des actions n’arrive visiblement plus à supporter. Il doit, cependant, y avoir une solution pour éviter la disparition du titre et la mise au chômage du personnel. Les journalistes y croient en tout cas et agissent dans l’urgence pour sauver le journal. Une mission pas impossible à laquelle les lecteurs et l’opinion, conscients de l’enjeu, peuvent contribuer. Le ministère de la Communication aussi est interpellé pour empêcher la disparition du titre, et il ne s’agit pas d’accorder une faveur, mais d’actionner l’aide publique. L’Etat est responsable du pluralisme médiatique, et sauver Liberté est un impératif journalistique et démocratique.