R. Sam a essayé, dans un livre sorti aux éditions Identité, de revenir sur l’itinéraire et le travail de Feraoun. Le même auteur a également publié un autre ouvrage intitulé Une vie en mélis-mélos.
Le travail de Mouloud Feraoun est «le plus prolifique mais aussi le plus critiqué et le plus audacieux», précise R. Sam, cet enseignant normalien, ancien inspecteur des collèges et maître assistant à l’université de Tizi Ouzou, qui estime que l’œuvre de Feraoun «retrace toute une série de fatalités qui aboutirent à sa mort».
Son livre l’a intitulé Le centenaire d’un juste, histoire, sans doute, de remettre au goût du jour un travail dont les résonances humaines sont universelles mais qui est resté toujours enraciné dans le terroir kabyle. L’auteur propose ainsi une relecture des romans de Feraoun qui y décèle la genèse d’un genre littéraire où est entremêlé le romanesque à l'autobiographique. «En ce temps où le terrorisme, très ancienne forme de violence politique, utilisée par des groupes ultraminoritaires, déchire l’Algérie en assassinant, en détruisant, en empoisonnant, en cherchant à prendre le pouvoir par la terreur trente ans après l’indépendance du pays, l’on s’interroge sur la portée de nos écrivains comme Feraoun qui, par Le Journal, entre autres, condamnait toute mort d’homme, toute catastrophe écologique, tout esprit de domination, tout groupe essentiellement criminel ayant à se camoufler derrière une telle lutte politique après des années de stabilité relatives vécues par les Algériens», souligne R. Sam pour nous faire revenir à la période durant laquelle il a écrit son ouvrage, à savoir celle des années 1990 «en ces temps sombres où de jeunes et moins jeunes, des journalistes, des écrivains, des intellectuels, des dirigeants, des artistes, des hommes et femmes de tous bords… disparaissaient, assassinés ou carrément égorgés
Il fait ainsi un lien avec ce que raconte Feraoun dans Le Journal et ce qui s’est passé en Algérie durant la décennie noire. Si Feraoun revenait et se remettait à écrire dans son état de verve connue, ne ferait-il pas partie de ces milliers de victimes de cette tragédie ? s’interroge-t-il. «Pour nous et pour tous ceux qui le réalisent aujourd'hui, qui l’aiment pour ses valeurs associées à la vie, il n’est pas mort, et il écrit encore de nos jours avec son franc parler, sa sincérité, sa précarité même. Nous l’imaginons dans cette posture d’écrivain avec Said Mekbel, Tahar Djaout et tant d’autres encore assassinés», lit-on dans le livre de R. Sam qui souligne que l’auteur de La terre et le sang aurait, s’il était toujours en vie, adapté ses écrits «aux exigences d’un temps et d’un tempérament pour dénoncer cette attitude des uns dont l’idéal est actuellement l’argent, les privatisations qui finissent par réduire à néant le secteur public. Il aurait critiqué les secteurs de l’éducation, la santé et la justice gangrénés, ajoute-t-il, par une corruption galopante dans un pays où les citoyens affichent continuellement le désintérêt à l’égard de la politique et des partis créés sans institutions et vision sociales communes».
En somme, on comprend, sous la plume de R. Sam, que les écrits de Feraoun dérangent encore aujourd'hui, plus de six décennies après leur publication car, soutient-il, le fils de Tizi Hibel était visionnaire et si en avance sur son temps. Dans le même ouvrage, l’auteur a illustré également son travail par les témoignages d’écrivains et chercheurs, à l'image de Driss Chraibi, Tahar Djaout, Youcef Necib, Jules Roy et Tassadit Yacine. «Lucide et audacieux, Feraoun a devancé l'événement comme Dib, Mammeri et tant d’autres de leur génération. Sa façon de percevoir, de comprendre, de sentir et d'imaginer demeure celle d'Algériens face ‘’aux vicissitudes d’un destin collectif’’».
Cette expression est celle de Roblès reprise et analysée par l’auteur qui établit également quelques parallèles avec ce qui est écrit par d’autres écrivains à la notoriété internationale bien établie, comme Marcel Proust, Saint-Exupéry et Alfred de Musset. Par ailleurs, dans l’ouvrage, R. Sam met en relief une certaine approche visant à mettre en exergue surtout les extraits du Journal de Feraoun qui concordent avec le terrorisme sanglant qui a coûté la vie à des dizaines de milliers d’Algériens. Il cite, dans son travail, comme exemple, les expressions suivantes : «Des hommes fusillés, des gourbis incendiés, des femmes maltraitées, le règne de la brutalité», «…Croyez-vous qu’une goutte de votre sang vaille autre chose qu’une goutte de n’importe quel sang que vous faites chaque jour répandre sur le sol brûlant d’Algérie».
Ces réactions peuvent être déplacées pour revivre la tragédie du peuple algérien durant la guerre et de mieux comprendre la situation des années 1990 afin de décrire toute l’horreur qu’a semée le terrorisme en Algérie, argumente R. Sam qui a terminé son livre par la biographie et des repères bibliographiques ainsi d’une photo de Feraoun avec Albert Camus en guise d’illustration. Par ailleurs, s’inspirant toujours dans l'esprit de l’écriture de Feraoun, R. Sam a publié un autre ouvrage intitulé Une vie en mélis-mélos. Il s’agit des récits de vie dans un petit village de Haute Kabylie qui met en exergue l’histoire d’un jeune père «subjugué par l’école Cousinet».
D’emblée dans le roman, le narrateur se confond avec le personnage. Puis qu’il s’agit de l’école qui occupe particulièrement la part du lion dans ce livre, l'auteur décrit des scènes liées à des activités pédagogiques comme il fait des crochets sur la vie sociale, familiale du personnage, Brahms (anagramme du nom de l’auteur et qui confond avec lui).
Dans la partie l’ombre de la fatalité, il est question des idées choisies par les élèves pour le journal scolaire. Ainsi, tenant compte de l’actualité nationale et internationale des années 1980 et 1990, les sujets qui ont retenu l’attention des écoliers sont : La guerre en Irak, l'invasion du Koweït par Saddam.
D’autres ont opté pour parler du mouvement national et le rôle de la militante Lisette Vincent du parti communiste algérien et le texte de Camus écrit durant l'ère coloniale Misère de Kabylie. Des choix portés également sur le sport, notamment le match de la JSK et l’ASTO. Un article sur le poème de Boris Vian est aussi proposé par des collégiens. Sont ainsi autant de propositions pour le journal de l’établissement qui doivent être sélectionnées par une commission de lecture mise sur pied à cet effet.
Dans cette ambiance créative et d’initiative, Brahms reçoit l’information de la naissance de son fils aîné. La joie de cet événement l’a contraint d'interrompre son implication dans la commission en question. «A l’annonce de la nouvelle, il lui semblait que c’était le matin ; ce qui n’était pas le cas. Il était quatorze heures. Il passa vite les consignes, mais avec des précisions assez nettes». Il décide de rentrer chez lui, à Larbaâ Nath Irathen, pour partager ce moment de bonheur avec sa famille. Mais, cela n’a pas été facile en raison de l’absence de taxi en «ce moment de froid sous la pluie de Tizi Ouzou». Une aventure de plus pour Brahms qui a réussi péniblement à rentrer chez lui grâce au chauffeur de taxi Maloum qui est revenu, tard, d’une course d’Alger.
En arrivant à la demeure familiale, l’auteur décrit celle-ci comme une maison insalubre et toute délabrée gardant les stigmates de la guerre de libération nationale.
Au fil des pages, il raconte aussi les souffrances des villageois durant la période post indépendance et celle des années 1970. Les maisons étaient comme des taudis surtout que l’aide à l’habitat rural n'était pas arrivée comme l’a souligné l’auteur dans son livre.
Donc, il fallait attendre encore plus que l’Etat accorde des aides pour la construction d’une habitation. «R. Sam a rapporté un certain nombre de nouvelles de chez lui, des récits-nouvelles dont il est ou témoin impuissant ou qu’on lui a racontées dans sa prime jeunesse, une jeunesse passée non loin d'un fort et ses deux fortins construits par les hommes de la colonie dans les années 1860, à Larbaâ Nath-Irathen actuel, berceau de la révolution de novembre où des attentats et toutes sortes de massacres ont été commis. Les faits rapportés, même romancés, sont de réelles cicatrices que le temps n’a pas su effacer. Non ! Cet épanchement est un gage d’amitié avec autrui, avec vous ! Regardez d’où nous venons et vous comprendrez mieux ce que nous sommes», écrit Hassane Halouane, enseignant-chercheur à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, dans la préface du roman Une vie en mélis-mélos qui nous livre des récits réels.