Avec le président Jacques Chirac, la transition Mitterrand-Chirac a fait dans la continuité. La France a constamment soutenu le Maroc. Elle engage l’opération extérieure Lamantin de décembre 1977 à juillet 1978, au cours de laquelle les Jaguar français décollent secrètement de Dakar pour prêter main-forte à la Mauritanie contre les colonnes du Polisario.
En 1981-1982, alors que le président de la République et le patron du SDECE viennent de changer après l’élection de François Mitterrand, le soutien de la France au Maroc reste entier : janvier 1983, les services français épaulent le Maroc dans la construction du premier «mur» (juin 1982), dit du «triangle utile» qui met un terme aux offensives meurtrières du Polisario». (7)
Entre 1982 et 1987, les six murs de protection sanctuarisent 80% du territoire saharien au profit du royaume. Après le double septennat de François Mitterrand et le soutien de ses proches conseillers et ministres «marocophiles», la présidence de Jacques Chirac passe à un degré supérieur de soutien politique et diplomatique à la politique du royaume. Jacques Chirac, invité par Hassan II à assister son fils comme s’il était le sien, intensifie le soutien de la France à Rabat. Le 6 novembre, le roi déclare, avec l’assentiment de la France : «Notre unanimité nationale en faveur de l’option démocratique régionale (…) (est une) solution rendant le projet de référendum tel que prévu dans le plan de règlement onusien caduc, car inapplicable. Avec l’assentiment de la France, le Maroc sort d’un cadre que la démographie saharienne rend aléatoire. Lorsqu’en mars 2003, l’ONU, sur proposition de James Baker, relance la proposition d’autonomie transitoire dans l’attente d’un référendum d’autodétermination, le Royaume réfute le plan de paix et son promoteur démissionne en 2004». (7)
Le Plan d’autonomie rédigé avec l’accord de la France
Pierre Vermeren ajoute : «Le Maroc adresse une proposition à la communauté internationale en février 2007 pour reprendre l’initiative : un plan de «large autonomie» du Sahara, dans le cadre de la souveraineté marocaine. À en juger par le retentissement médiatique, politique et diplomatique qui lui est réservé à Paris, la France le soutient. Elle est dirigée par le tandem marocophile Jacques Chirac-Dominique de Villepin (qui se prévaut de sa naissance à Rabat). La dépêche d’agence, qui tient du communiqué officiel marocain, précise que ce document constitue «l’avant-projet de la proposition de doter les provinces du sud d’une autonomie, dans le cadre de la souveraineté du Royaume, de son unité nationale et de son intégrité territoriale». (7)
Cela va plus loin. Dominique de Villepin, Premier ministre, a bafoué une règle cardinale de la dignité, celle des peuples à disposer d’eux-mêmes. On se souvient, comme le rapporte Amine Ben du site Algérie Patriotique, que : «(…) C’est précisément le soutien sans limite de la France au Conseil de sécurité qui permet au Maroc d’esquiver l’application des résolutions des Nations unies et la mise en œuvre du référendum pour l’autodétermination au Sahara occidental. D’ailleurs, et selon les révélations du journaliste marocain Omar Brousky dans La République de sa majesté, c’est dans le bureau même de Dominique De Villepin, au Quai d’Orsay, que fut concocté le «plan d’autonomie» proposé par le Maroc et la France, affolés par la perspective d’un référendum et la mise en œuvre du plan Baker qui aurait abouti à l’indépendance du Sahara occidental». (8) (9)
L’appui de Paris : un énième cadeau concédé à Rabat
Dans un article sans concession, l’hebdomadaire explique les non-dits de cette reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental qui puise ses fondements dès l’invasion par la marche verte. Nous lisons cette récapitulation globale : les gouvernements français «n’ont cessé de courber l’échine devant les outrances marocaines». «Marianne» a déploré la position de la diplomatie française qui «s’est une nouvelle fois prosternée devant la monarchie marocaine». Dans un long article intitulé «Espionnage, droit international, désinformation… pourquoi la France cède-t-elle autant face au Maroc?», le magazine s’est demandé «de quoi ont peur au juste les Français». L’auteur de l’article rappelle les circonstances entourant l’occupation en 1975 du Sahara occidental par le Maroc, affirmant même que Paris avait soutenu l’invasion militaire marocaine». (10)
«La seconde courbette, et pas la moindre, intervient en 2021, rappelant, à ce titre, l’affaire d’espionnage par le Maroc des téléphones personnels du président Macron et de l’ensemble de ses ministres. «Là encore, la réponse de Paris est molle», Le magazine revient, en outre, sur les attaques de la presse marocaine affidée au Makhzen contre la personne du président Macron et les atteintes à sa vie privée. «Le Maroc utilise également le «chantage» migratoire pour obtenir des «gains diplomatiques», avance «Marianne», précisant qu’en 2022, huit personnes sur dix ayant rejoint illégalement le territoire espagnol étaient passées par le Royaume chérifien. «Une statistique ayant fait plier l’Espagne, contrainte, avant la France, d’adopter la même position vis-à-vis du Sahara occidental. Pour renforcer son occupation au Sahara occidental et prouver sa prétendue «souveraineté» sur ce territoire, le Maroc a usé également de l’arme de la désinformation. Au niveau médiatique, Abdelmalek Alaoui chapeaute la désinformation, obtenant des tribunes dans de prestigieux médias tels que Le Monde et Le Figaro», révèle le magazine français, faisant remarquer que «l’homme est un proche du conseiller du roi, André Azoulay».
Il relève aussi une autre pratique cultivée par l’entourage de la monarchie, celle de «l’invitation de journalistes français pour des publireportages».(10)
«C’est la France du président Giscard qui a conseillé et couvert l’occupation marocaine du Sahara occidental. Quand le Maroc n’a pas pu combattre les Sahraouis, c’est l’aviation française qui a bombardé les Sahraouis civils et combattants. Quand le dossier est arrivé au Conseil de sécurité, c’est la France qui s’est opposée. Et quand le Conseil de sécurité a voulu élargir la Minurso aux droits de l’homme, c’est la France qui s’est opposée. La France a été chassée des pays africains dont elle profitait des richesses. La seule façon d’y retourner, c’est par l’intermédiaire du Maroc, pays soumis à l’Occident. En plus, Macron semble alléché par les richesses du Sahara que le Maroc lui a fait miroiter car tous les Africains se sont enfin réveillés et ont mis fin à l’ingérence de la France et à l’exploitation de leurs richesses par ce pays colonisateur». (10)
La reddition du président Sarkozy
«En effet, lors de sa visite au Maroc du 22 au 24 octobre 2007, Nicolas Sarkozy a déclaré que la France était du «côté du Maroc» au Conseil de sécurité de l’ONU et a souhaité que le plan d’autonomie du Maroc, qu’il décrit comme «sérieux et crédible», puisse servir de base pour la négociation et engendrer une «solution raisonnable». Le président Nicolas Sarkozy a soutenu la proposition d’autonomie en déclarant : «Le plan d’autonomie marocain existe, il est sur la table et il constitue un élément nouveau de proposition, après des années d’impasse. Je veux prendre mes responsabilités en tant que chef de l’État : le Maroc a proposé un plan d’autonomie sérieux et crédible en tant que base de négociation Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France a aussi bloqué les tentatives d’inclure dans la résolution du Conseil de sécurité la protection des droits de l’homme dans le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO)». (10)
La parenthèse avec le président François Hollande
Cette fois, c’est un président de Gauche comme Mitterrand qui enfonce le clou : «Cette fleur n’a pas été la seule concession faite» par Paris à Rabat, citant la mise au placard par le président Hollande d’une procédure judiciaire visant le chef des services marocains de renseignement, Abdellatif Hammouchi, accusé en France de complicité de torture par des militants sahraouis et opposants marocains. (10)
«Cette position de l’État français n’a pas changé sous la présidence de François Hollande. À titre d’exemple, on pourra citer l’opposition de la France à l’inclusion d’un texte présenté par l’ambassadrice américaine à l’ONU, Susan Rice, un texte qui, pour la première fois, chargeait la MINURSO de faire respecter les droits de l’homme au Sahara occidental.» (11)
La Déclaration du Président Macron
Il ne faut pas s’étonner, de ce fait, de la déclaration du président Macron. Il ne fait qu’être fidèle à la politique de la France de deux fers au feu. Se gargariser des droits de l’homme et refuser la dignité à un peuple de s’auto-déterminer ne grandit pas les Occidentaux. Le 30 juillet 2024, en effet, le président de la République française, Emmanuel Macron, déclare : «Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine», ce à quoi l’Algérie répond immédiatement en rappelant son ambassadeur en France. La position actuelle de la France ne doit pas nous étonner surtout si on ajoute deux facteurs : la France chassée des pays du Sahel soustraite au Maroc ses relations et, de plus, les attendus de l’exploitation par les entreprises françaises vont compenser ses pertes africaines.
«Dans le même ordre, souvenons-nous, écrit Damien LeLoup, du «Projet Pegasus» : un téléphone portable d’Emmanuel Macron dans le viseur du Maroc. En 2019, les numéros du chef de l’Etat, de son Premier ministre et de 14 ministres alors en exercice ont été sélectionnés pour une éventuelle mise sous surveillance par le logiciel espion. Contacté par Le Monde, l’Elysée affirme : «Si les faits sont avérés, ils sont évidemment très graves. Toute la lumière sera faite». Le président Macron n’a pas protesté par rapport à ces révélations».(12)
Conclusion de cette deuxième partie
Nous avons décrit rapidement le problème de décolonisation et la place qu’a occupée la France qui, à des degrés divers, par son refus de dire le droit s’est fourvoyée dans une reconnaissance qui n’apporte rien de nouveau et n’aura aucune influence sur la détermination des Sahraouis à se battre, c’est de fait inutilement prolonger la souffrance d’un peuple qui ne demande qu’à vivre sur sa terre. Car le Sahara occidental est la dernière colonie en Afrique ; sa décolonisation reste une question de légalité internationale. Par conséquent, priver le peuple sahraoui du droit à l’autodétermination est une injustice et une violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Tout est permis pour le Maroc : les passe-droits, les manquements à la dignité humaine, tant que les trois membres du Conseil de sécurité veillent au grain et bloquent tout ce qui peut gêner le Maroc.
Dans le prochain article, nous verrons comment réagit la classe politique française, la position des Etats-Unis et d’Israël, celles des Nations unies et de l’Union européenne. Nous donnerons quelques indications sur la façon de fonctionner des lobbys favorables au Maroc.
Pr émérite Chems Eddine Chitour
Ecole polytechnique Alger 1925- 2025
7.Pierre Vermeren 23 avril 2015 https://orientxxi.info/magazine/engagement-de-la-france-sur-le-sahara,0869
8.Chems Eddine Chitour https://blogs.mediapart.fr/semcheddine/blog/260524/de-villepin-alger-courage-et-lucidite-sur-les-convulsions-du-monde 26 mai 2024
9..Amine Ben https://www.algeriepatriotique.com/2018/03/29/contribution-dominique-de-villepin-a-alger-defendre-theses-marocaines/
10.https://ouest-tribune.dz/un-enieme-cadeau-concede-a-rabat-estime-la-presse-francaise/ 2 08
11. https://books.openedition.org/pufr/21250?lang=fr
12.Damien Leloup https://www.lemonde.fr/projet-pegasus/article/2021/07/20/projet-pegasus-un-telephone-portable-d-emmanuel-macron-dans-le-viseur-du-maroc_6088950_6088648.html