Sahara occidental : La défaite du droit international (1RE PARTIE)

07/08/2024 mis à jour: 13:03
1880

«L'Espagne part avec la rétine trempée et le cœur plein d’expériences partagées avec les Sahraouis mais l’Espagne reste toujours avec les Sahraouis dans un lieu spirituel intime»
 

Résumé :
Dans cette contribution, nous allons rapporter  en honnête courtier comment une cause juste que celle de l’auto-determination des peuples est victime des donneurs de leçons occidentaux  qui décident de  la norme du bien du mal, de l’obligation d’allégeance et par-dessus tout de faire passer au nième plan la morale au profit de l’intérêt. 

Nous allons montrer comment la doxa impose un discours qui donne l’impression de la noblesse des causes mais en définitive trompeur ;
 

Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est considéré comme un «territoire non autonome» par l’ONU, en l’absence d’un règlement définitif. Depuis près de 50 ans, un conflit y oppose le Maroc aux indépendantistes du Front Polisario. Le Maroc, qui a annexé le territoire en 1975, contrôle près de 80% du territoire. De son côté, le Front Polisario réclame l’indépendance et souscrit à la proposition de l’ONU d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU. Ce référendum était prévu lors de la signature d’un cessez-le-feu en 1991 mais il n’a jamais été concrétisé.


Voilà un pays africain anciennement colonisé par l’Espagne, après la conférence de Berlin de 1880 où les pays européens se sont partagés l’Afrique et qui, depuis 1960, revendique son indépendance. Malgré les dizaines de résolutions et à l’instar du calvaire palestinien, ce pays est passé d’une colonisation espagnole à une colonisation marocaine avec la complicité de l’Espagne qui a bradé un pays mais aussi avec le soutien massif de la France depuis pratiquement cinquante ans, comme nous allons le montrer.
 

Présentation rapide du  Sahara Occidental 

Le Sahara occidental est un territoire de 266 000 km2 du Nord-Ouest de l’Afrique qui a pour voisin la Mauritanie, l’Algérie, le Maroc et une grande façade atlantique riche. C’est aussi un pays minier qui recèle du phosphate autour de Boukraa et même du fer. Le territoire dispose de 6 200 km de routes, il comporte une route qui longe la côte atlantique.  


En 1884, l’Espagne place ce territoire sous son protectorat. Les Sahraouis ont commencé à revendiquer leur territoire depuis 1960. Le 16 octobre 1975, un avis consultatif de la Cour internationale de justice conclut que les liens des tribus avec le Maroc et la Mauritanie ne sont pas de nature à empêcher un référendum d’autodétermination, en y rendant inapplicable la notion de terra nullius. Dans son avis, la Cour précise : «(...) En revanche, la Cour conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent I’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental, d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien, d’autre part». (1)
 
 

Le basculement de l’Espagne 

le  Sahara espagnol était considéré comme une colonie. A l’époque, le Maroc ne revendiquait  que la province espagnole d’Ifni qui a été libérée au bout de 11 ans. S’agissant du Sahara, l’Espagne a créé un semblant d’autonomie 24/1967; «les Djemaa» . Cependant, les Sahraouis voulaient leur indépendance. Le Sahara  occidental a  été inclus  sur la liste des territoires non autonomes. 

«Le 20 novembre 1975, la loi sur la décolonisation 40/1975 est publiée en Espagne. L’Espagne a signé  les accords de Madrid avec le Maroc et la Mauritanie, le 14 novembre 1975. Comme conséquence immédiate, l’autorisation de l’Espagne donnée au Maroc et à la Mauritanie d’envahir un territoire qui ne leur appartient pas !  Hassan II, roi du Maroc, organise la marche verte (6 novembre 1975). Comme réponse, le 27 février 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) est proclamée par le Front Polisario. Immédiatement, Le Conseil de sécurité des Nations unies par la résolution 380/1975 a condamné l’invasion marocaine et a exhorté le Maroc à retirer immédiatement du territoire du Sahara occidental tous les participants à la marche. Pendant ce temps, la population était bombardé, on a parlé de napalm et de  phosphore blanc. Le 26 février 1976, l’Espagne a informé le secrétaire général qu’à compter de cette date, elle mettait fin à sa présence dans le territoire du Sahara. Elle  se considérait désormais déchargée de toute responsabilité de caractère international relative à son administration». (2) 
 

En 1990, l’Assemblée générale a réaffirmé que la question du Sahara occidental relevait de la décolonisation, processus que la population du Sahara occidental n’avait pas encore achevé. Le 6 septembre 199,1 il y a eu le cessez-le-feu qui devait déboucher sur la mise en place du référendum. (2)


Les raisons du revirement

L’Espagne a une responsabilité particulière, c’était  la puissance  administrante. Rappelons la déclaration suivante de l’ancien ambassadeur espagnol au Maroc, Fernando Arias Salgado : 


«Le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui est «d’après le droit international, une norme de Jus cogens, (droit contraignant), c’est-à-dire qui ne lie pas seulement. L’ONU, en tant qu’institution, était appelée à résoudre des conflits territoriaux qui trouvent leurs origines dans la colonisation». 


Parmi les moyens de pression subis par l’Espagne, celui des émigrés. «L’Espagne a des raisons de craindre le Maroc qui contrôle le flux d’immigrés subsahariens tentant d’entrer sur son sol, comme ce fut le cas en août 2014 lorsque le Maroc a facilité le passage de 1 100 immigrés en 48 heures, probablement en représailles du yacht de Mohamed VI stoppé par la Garde civile espagnole dans les eaux de Ceuta». (2)


 «Dans les années 1980, le Maroc, aidé par la France, érige un mur de défense qui sépare le territoire en deux, les 20% à l’est du mur étant désormais sous le contrôle du Front Polisario. Une guerre d’embuscades avec le Front Polisario prend fin en 1991, à la suite d’un cessez-le-feu.   Un référendum organisé par les Nations unies sur le statut final a été reporté à plusieurs reprises. Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu de 1991, le statut final du Sahara occidental reste à déterminer. Le Maroc a accepté de traiter directement et officiellement avec le Polisario en 2007 en tant qu’un des protagonistes du conflit. Le 30 avril 2008, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 1813 qui renouvelle en substance le mandat de la MINURSO» (2) (3) 


  «L’Espagne a, depuis 2004, clairement abandonné sa politique traditionnelle de neutralité au sujet du Sahara occidental et affirmé son penchant pro-Marocains ainsi que l’indifférence à l’égard de la situation humanitaire critique des Sahraouis. Aujourd’hui, l’Espagne, qui compte près d’un million d’immigrés marocains sur son territoire, a développé des relations politiques, économiques et militaires (ventes d’armes) considérables avec le Maroc. Là encore, le réalisme politique tronque la légalité internationale.  Pourtant à titre d’exemple, la justice espagnole a jugé le Maroc pour génocide. Le 9 avril 2015, le juge Pablo Ruz a inculqué 11 militaires et policiers de haut  pour génocide au Sahara espagnol. Les  hauts fonctionnaires ont été impliqués dans la mort de citoyens sahraouis du fait de torture’ (3).   


  «Il faut signaler enfin la deuxième trahison du peuple sahraoui par l’Espagne le 18 mars 2022. L’Espagne, puissance administrative, considère la proposition d’autonomie proposée par le Maroc comme la base la plus crédible sérieuse et réaliste pour la résolution du conflit. De fait, la reconnaissance du plan d’autonomie marocain que d’aucuns attribuent à un chantage est une conséquence de l’évolution de la situation». (3) 
 

La position de principe de l’Algérie

L’Algérie déclare qu’elle n’a aucune ambition territoriale. Elle l’a déjà énoncé dès le début en présence de Hassan II et de Mokhtar Ould Dada.Le problème à l’époque au début des années 70 était de définir le soutien des 3 pays pour arracher l’indépendance du Sahara occidental. On connaît la suite : la collusion du Maroc et de la Mauritanie pour se partager un pays qui ne leur appartient pas. De fait et bien que cette position est lourde, l’Algérie soutient le principe d’autodétermination des peuples. Elle est pour la mise en application des résolutions (1754 (2007), 1783 (2007), 1813 (2008), 1871 (2009), 1920 (2010), 1979 (2011), 2044 (2012) et 2099 (2013) de lONU concernant l’organisation d’un référendum du peuple sahraoui sous les auspices de l’ONU.  (1)


Quels sont les pays qui ont reconnu la RASD ?

Pour l’Union africaine (ancienne Organisation de l’unité africaine), la RASD est un État membre avec toutes ses prérogatives. Aucun pays  arabe du Golfe ne soutient l’autodétermination du peuple saharaoui. La Ligue arabe soutient explicitement l’intégrité territoriale du Maroc. Nous voyons bien que les pays arabes sont rétifs au droit des peuples à s’auto-déterminer, n’ayant jamais combattu pour leur indépendance qui leur a été octroyée. De plus, les royautés se serrent les coudes car  les peuples ne sont pas gouvernés, ils  ne sont pas des citoyens mais des sujets dans un siècle où les hommes veulent aller sur Mars. Il y aurait  une vingtaine de pays, la Russie, l’Espagne et le Royaume-Uni, les États-Unis font  partie en théorie du “groupe d’amis du Sahara occidental”. 
 

La position de la France toujours ambivalente  

La France est sortie enfin de sa fausse neutralité et annonce son soutien au plan marocain d’autonomie qui est de fait un changement de colonisation  d’abord par l’Espagne ensuite par le Maroc.  Le conflit du Sahara occidental a vu défiler 6 présidents de la Ve République qui, à des degrés divers, ont tous été du côté de l’injustice et de la négation  des droits et des peuples à s’auto-déterminer. Nous allons décrire sans être exhaustifs les positions des six présidents tous alignés du côté du pays colonial. 


Avec le président Valéry Giscard d’Estaing, non seulement il est pour l’invasion du Sahara par le Maroc lors de la marche verte, mais il prête ses avions pour bombarder les populations, comme le signale le gouvernement de la RASD : «Le  ministère sahraoui de la Défense a annoncé, le 18 décembre 1976, dans un communiqué, que deux escadrilles de douze avions Jaguar chacune, accompagnées de quatre Breguet-Atlantic, avaient «mitraillé et bombardé au phosphore et au napalm, le 15 décembre, une unité sahraouie qui regagnait ses bases, après avoir attaqué le train minéralier Zouerate-Nouadhibou. Plusieurs dizaines de combattants auraient été tués, ainsi que quarante-neuf hommes qui avaient été faits prisonniers au cours d’une attaque du train.» (4)


 «Le calcul du président français Giscard d’Estaing est alors stratégique : un Sahara occidental sous contrôle marocain sera plus facilement exploitable par des entreprises françaises qu’un Sahara occidental indépendant. La France n’a pas dévié de cette stratégie et «souhaite à tout prix ne pas froisser Rabat, quitte à piétiner le droit international pour la question sahraouie». (5)  
 

Avec  le président François Mitterrand; c’est un changement de président dans la continuité de l’engagement pro-Marocain. Nous lisons : Cela fait plusieurs années que ma position dans ce domaine est connue.  Telle était ma position lorsque j’étais l’un des responsables de l’opposition politique en France. Telle est toujours ma position en tant que président de la République française. J’ai toujours demandé l’autodétermination sur la base d’un référendum, les procédures de ce référendum étant sous le contrôle d’institutions internationales reconnues, je pense à l’Organisation de l’unité africaine et aux Nations unies. Je n’ai pu que me réjouir lorsque Sa Majesté Hassan II a confirmé, lors d’une conférence de l’Organisation de l’Unité africaine, qu’un référendum sur la base que je viens d’indiquer - ou à peu près - verrait le Maroc s’y rallier et le soutenir. 

L’autodétermination des populations au Sahara :  ceux qui peuvent s’en réclamer parce qu’ils y sont nés, parce qu’ils y ont leurs attaches. Il existe pour cela des documents passés et il existe une réalité actuelle. Il appartient précisément à des gens impartiaux, sous contrôle international, de définir exactement les conditions de ce fameux recensement qui conditionne le référendum » (6)    (à suivre)

 

Pr émérite Chems Eddine Chitour
Ecole polytechnique Alger 1925- 2025

 

1.https://fr.wikipedia.org/wiki/Sahara_occidental
2.https://fr.wikipedia.org/wiki/Sahara_occidental
3.https://saharaoccidental.es/francais/une-breve-histoire-du-sahara-occidental/
4.https://www.lemonde.fr/archives/article/1977/12/20/le-polisario-accuse-l-aviation-francaise-d-avoir-bombarde-au-napalm-une-de-ses-colonnes_2854588_1819218.html
5.https://ouest-tribune.dz/un-enieme-cadeau-concede-a-rabat-estime-la-presse-francaise/ 208
6. https://www.elysee.fr/francois-mitterrand/1983/01/29/conference-de-presse-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-a-lhotel-de-ville-de-marrakech-notamment-sur-le-conflit-du-sahara-occidental-les-productions-mediterraneennes-les-plans-de-paix-au-proche-orient-le-probleme-de-limmigration
 

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