Sacré mouton

15/06/2023 mis à jour: 02:05
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Entre l’Algérien et le mouton, il y a une longue histoire qui mérite de figurer dans les livres des contes universels. Une histoire qui revient chaque année, le temps d’une fête religieuse. De quoi alimenter les débats en public, en privé, dans les marchés, les cafés, les stades et même dans les médias. 

C’est devenu comme une affaire d’intérêt général, marquant cette relation qui nous lie avec une bête, différente de toutes les autres, et continuant, malgré elle, de défrayer la chronique. Une relation dépassant de loin les lignes fixées pour accomplir un rituel en toute simplicité. Ce dernier n’avait pourtant jamais eu cet aspect d’obligation qu’on veut lui attribuer à tort et par ignorance. 

La religion a été bien tolérante. Elle s’est même adaptée aux situations de crise, en autorisant l’emprunt pour l’achat du mouton de l’Aïd, à condition de pouvoir le rembourser. Les gens qui sont dans le besoin en sont dispensés. Mais de nos jours, avec Facebook et autres, les choses ont carrément changé. La vente des moutons se fait par facilité. Des entreprises sont entrées en jeu. Il y a beaucoup d’argent à gagner. 

La bête à sacrifier est devenue un investissement. Les réseaux sociaux, qui se sont emparés de ce créneau juteux, sont en voie de remplacer les marchés. Le tout se négocie sur Facebook. Une visite à la ferme pour conclure le marché et la marchandise sera prête à être «emballée», avec transport et livraison à domicile. 

Malgré toute cette agitation, il y aura toujours en Algérie, ces pauvres gens qui n’auront jamais cette joie de pouvoir acheter le «sacré mouton», sans se saigner les veines. L’inflation en a décidé autrement. La cherté de la vie n’a laissé aucun répit pour les smicards. 

Depuis l’année de la Covid, beaucoup de choses ont changé pour les Algériens. Les pères de famille, déjà harassés par un quotidien devenu de plus en plus difficile, ne savent plus où donner de la tête. La crise sanitaire passée non sans gros dégâts, c’est la nature qui se déchaîne. Cette année, la sécheresse est venue compliquer une situation qui n’était pas au beau fixe. Dans les marchés à bestiaux, les prix de ces bêtes valent entre deux à quatre fois le salaire moyen en Algérie. 

Pour rigoler, on parle même de moutons «grosse cylindrée», dont les prix rivalisent avec ceux des motos. Ces chiffres montent chaque année, atteignant des seuils insurmontables pour les petites et même moyennes bourses. Il y a de quoi s’interroger sur l’avenir de ce rite, qui fera partie désormais des luxes pour le simple fonctionnaire. 

Pour les nostalgiques du bon vieux temps, tout un chacun pouvait s’offrir cette bête selon ses moyens, accomplir le rite pour la joie de ses enfants, sans être contraint à s’endetter. Et puis, il y avait nos belles traditions qui faisaient le bonheur de tous. 

Cette solidarité sociale qui réunissait cinq familles autour d’un taureau, lequel sera partagé en toute équité, ou des voisins qui s’entraident pour l’achat d’un mouton. Et tout le monde était ravi. Pourtant, c’est permis, il suffit de s’y mettre.

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